Après avoir accompagné les autres pendant des années, Nico Torracinta se lance en solo, armé de chansons aériennes, baignées de folk et de mélancolie. Une réussite à découvrir d'urgence dès ce soir à 20h30 sur la scène de l'Alb'Oru.
Par la porte entrebâillée de la salle de concert du centre culturel s’échappent les premières notes d’une reprise d'un morceau de Nick Drake. Sur la scène, Nico Torracinta, un imposant casque sur les oreilles, interrompt le morceau pour demander plus de guitare dans ses retours à l’ingénieur du son. Autour de lui, le groupe, formé pour l’occasion, en profite pour jeter un nouveau coup d’œil à l’ordre des morceaux du concert à venir, dont les noms ont été tracés hâtivement sur une feuille de papier.
Depuis une semaine, Nico Torracinta est en résidence à l’Alb’Oru. Et il est bien décidé à ne rien laisser au hasard. L’enjeu est de taille. Ce vendredi, pour la première fois, le musicien de 29 ans va monter sur scène.
En première ligne.
Des salles de concert, Nico Torracinta en a pourtant écumé des dizaines. Dans l’ombre, sur le côté de la scène, il a enluminé de ses solos de guitare les morceaux de d’I Messageri, d'A Filetta, de l’Alba, de Patrizia Gattaceca et de beaucoup d’autres.
L’ombre, c’est un endroit qui semblait convenir parfaitement à ce musicien discret, timide parfois, le visage le plus souvent possible dissimulé derrière de longues boucles blondes.
"J’étais en retrait, je pouvais me concentrer uniquement sur mes parties de guitare. Là, il faut assumer d’être dans la lumière. C’est prenant, c’est gratifiant, mais c’est stressant en même temps… Mais là, je suis tellement fier de jouer, pour la première fois, mes propres chansons devant un public. Je pensais vraiment qu’elles resteraient dans mon grenier, en Balagne, sur des maquettes…"
Un aveu accompagné d’un sourire presque gêné.
La musique, Nico est tombé dedans quand il était petit. A quatre ans, il avait déjà sa première guitare. "Mais je pense que c’est à dix ans que j’ai vraiment commencé à jouer sérieusement. J’ai grandi dans un environnement musical. Mon père est musicien, et il nous faisait chanter, mon frère, ma sœur et moi."
Ce qui fait les chansons, ce n'est pas juste les solos
L’étape suivante, c'est l'adolescence. Les bars, les groupes de reprises, le Pietrabugno Bar, le rock. Et puis les tournées avec les groupes et les chanteurs corses. Qui s’arrachent le jeune musicien, et son aisance sidérante à la guitare. Dans tous les styles.Un jour, son prof de guitare, Freddy Olmeta, l’un des musiciens les plus respectés et les plus redoutables de l’île, lui fait découvrir l’album Grace, de Jeff Buckley. "Ca m’a époustouflé. Il n’y avait pas un solo de guitare, tout passait par les voix, les paroles. Et je me suis rendu compte que c’est ça qui faisait une chanson, et pas juste des riffs ou des solos. Ca a changé beaucoup de choses."
Ce que ca a changé, ce sont d'abord les disques sur sa platine. Johnny Cash, Nick Drake, John Martyn, Bob Dylan s'y invitent de plus en plus
Et puis son répertoire. Au cours des innombrables animations qu’il enchaîne dans les bars et les clubs, Nico Torracinta, peu à peu, trouve le courage de s’emparer du micro. Pour interpréter des morceaux de ces artistes. Jusqu'à y prendre goût.
Ca m'a donné envie d’écrire des chansons. Pour les chanter, moi. C’est tellement une rencontre avec soi-même, quand on écrit pour soi, et qu’on sait qu’on va chanter ce qu’on écrit....
Ses compositions, qu’il va présenter pour la première fois en concert ce soir à l’Alb’Oru, Nico Torracinta les a nourries au fil du temps, et de ses voyages. Ces deux mois passés à Londres, en 2016, lui ont permis de se coltiner à la réalité de ce monde. Au gré des clubs qu’il fréquentait, chaque soir. Sur les scènes où il montait, pour croiser le fer avec les meilleurs guitaristes de la ville.
Je pense que je serais différent, complètement, si je n’avais pas passé ces deux mois à Londres.
Au point, apparemment, de décider d'écrire, et de chanter, en anglais. "Je ne suis pas sûr que ça vienne de là. C’est assez paradoxal, cette histoire... Je suis européen. Je suis corse. Je suis vraiment un méditerranéen en fait. J’ai compris là-bas qu’il ne servait à rien de vouloir imiter. Et pourtant j’ai choisi de chanter en anglais. Je me suis dit au contraire que ça pouvait être intéressant d’exprimer ce que j’étais, ma culture, mon territoire, dans une langue qui n’était pas la mienne. Ca force à être plus honnête dans son écriture".
J'ai compris que ça ne sert à rien de vouloir imiter
Nico Torracinta sait bien que ça fera grincer quelques dents, et qu’on pourra lui reprocher de ne pas avoir voulu chanter en corse. Quand on le lui rappelle, un sourire candide passe sur ses lèvres."Mais moi-même je me pose la question ! Même si au fond de moi, je sais pourquoi. Chanter en corse, c'est quelque chose de très difficile techniquement, et encore plus avec ma tessiture de voix. Les voix graves ne chantent pas beaucoup de lead, et c’est un peu cette constatation qui m’a emmenée vers l’anglais. Quand j’ai commencé à reprendre de la folk, je me suis rendu compte que les tonalités m’allaient parfaitement."
A quelques mètres de nous, à la cafétéria de l’Alb’Oru, le groupe de Nico Toraccinta déjeune. Des musiciens qu’il a choisis, avec lesquels il joue depuis longtemps, et qu’il connaît par cœur. Un en particulier, Fanou, son jeune frère. Un guitariste jazz et manouche de haute volée, qui tourne dans toute l’Europe, et qui a laissé de côté sa guitare quelques temps pour prendre la basse, et accompagner son frère dans cette nouvelle expérience.
Est-ce que le désormais chanteur/guitariste/auteur/compositeur voit ce premier concert, chez lui, devant les siens, comme un tournant ?
Le regard de Nico se perd dans le vide quelques instants, entre l’excitation et l’appréhension.Ca va être le début de quelque chose. Et la fin de quelque chose, aussi. Ces chansons, que je porte depuis des mois et des mois, elles vont enfin sortir de ce grenier, pour aller à la rencontre des gens…
Et puis il empoigne sa guitare et retourne sur scène, pour soigner les moindres détails, à quelques heures du concert.
Quitte à se jeter dans l'arène, autant faire ça bien.