L'île, comme toutes les régions touristiques, se trouve confrontée chaque année à l'épineuse question du logement des saisonniers. Pour accueillir cette main d'œuvre indispensable, les professionnels du tourisme sont de plus en plus nombreux à leur réserver des chambres ou à faire construire des petits studios pour les loger à des tarifs très compétitifs.
L'été en Corse. Transats sur la plage, apéritifs en terrasse, glaces à déguster en se promenant... Et derrière la carte postale, une réalité : celle des travailleurs saisonniers, et leurs difficultés à se loger.
La problématique a de quoi inquiéter les professionnels, notamment ceux de l'hôtellerie-restauration qui peinent à trouver de la main d'œuvre sur place. "Aujourd'hui c'est devenu pour nous indispensable de loger une partie de nos collaborateurs, afin de faire nos saisons tout simplement", témoigne Romain Francisci, hôtelier à l'Ile-Rousse et adhérent de l'UMIH, l'union des métiers et des industries de l'hôtellerie.
Loger les saisonniers, ce n'est pas nouveau. Ce qui l'est, en revanche, c'est le manque de logements disponibles et la flambée des loyers, dus notamment à la multiplication des locations saisonnières comme Airbnb.
C'est aussi ce qui assure d'avoir des gens fiables autour de nous tout au long de l'année.
Alors Romain Francisci a pris le contre-pied et a transformé des appartements qu'il louait aux touristes en hébergement pour son personnel. Certains sont logés à titre gratuit pour la saison, quelques autres y habitent toute l'année, à un tarif très avantageux. "La société a quelques biens immobiliers, avec des collaborateurs qui sont locataires sur l'année entière, explique-t-il. Maintenant, c'est assez exceptionnel, mais c'est aussi ce qui assure d'avoir des gens fiables autour de nous tout au long de l'année."
Pour ce patron qui travaille de janvier à décembre, fidéliser une main d’œuvre compétente justifie de sacrifier une partie de ses revenus tout en augmentant ses charges.
Mariana Reis-Fernandes est employée à l'hôtel en tant que femme de chambre de début avril à fin octobre mais est logée toute l'année. Elle n'y voit que des avantages. "Ça me convient parce que je suis proche de mon travail et je suis proche du centre-ville, donc pour moi c'est le mieux. En plus je n'ai pas le permis, donc si j'habitais un autre endroit, ce serait difficile."
Acheter, construire, réserver des logements pour les saisonniers
Supprimer une partie des chambres du parc locatif, louer des appartements à l'année ou encore acheter des terrains pour y installer des mobile-homes... Autant de stratégies mises en place par les patrons de l'hôtellerie-restauration pour loger leurs saisonniers. D'après l'UMIH de Corse, les demandes de logements individuels équipés a minima de cuisinette ont explosé de la part des saisonniers, surtout depuis le Covid.
Alors les professionnels du secteur s'adaptent, comme dans cet hôtel de Calvi. "Il a fallu investir assez lourdement pour pouvoir avoir aujourd'hui des prestations de qualité qui correspondent aux normes actuelles, indique Jean-Jacques Cianfarani, l'hôtelier, lui-même également membre de l'UMIH. Même au-delà, puisque nous avons tout intérêt à leur proposer plus de qualité et de prestations, pour s'assurer leurs services, qu'ils aient envie de venir dans des conditions optimales."
C'est indispensable d'avoir un logement avec le lieu de travail. Sinon c'est très compliqué, les loyers sont énormes, les listes pour les logements sociaux sont hyper longues.
Ici, les six chambres de l'aile réservées au personnel ont été rénovées pour devenir trois studios en cours de finition. L'un est déjà occupé et n'a plus besoin désormais que d'un système de climatisation. Un critère déterminant pour son locataire, Alex Aristizabal, qui exerce en tant qu'employé polyvalent. "C'est indispensable d'avoir un logement avec le lieu de travail. Sinon c'est très compliqué, les loyers sont énormes, les listes pour les logements sociaux sont hyper longues. C'est très important, même basique", insiste-t-il.
Les deux autres studios devraient bientôt trouver preneurs. Plusieurs propriétaires d'établissement ont déjà montré leur intérêt pour y loger leur personnel.
Des logements parfois trop chers et toujours pas assez nombreux
Chez les saisonniers, il y a ceux qui sont logés, et puis il y a les autres. À Aleria ils sont nombreux à avoir trouvé refuge au domaine de Casabianca. Tous sont originaires de l'Union européenne, et tous sont des travailleurs précaires. La plupart viennent ici garer leur camion aménagé. Certains, au gré des contrats, occupent les quelques chambres que compte cet ancien hangar agricole. S'ils sont là, c'est à défaut de mieux.
"On a fait des demandes de logement [pour ceux qui dorment ici] qui n'ont pas abouti, raconte Florence Retali, de la brigade mobile « Fratellanza ». Parce que les démarches sont complexes, on demande beaucoup de papiers, et tous ne les ont pas à jour, il manque des impôts, ça prend des mois pour faire tout cela... En plus, nous manquons cruellement de logements dans la région et on n’aboutit à rien finalement."
Nous n'avons pas trouvé de maisons pendant l'hiver, alors imaginez maintenant qu'arrive l'été et donc tous les touristes...
Lorsque nous l'avons rencontré en février dernier, Giulia, contractuelle dans le service à la personne, venait d'accoucher. Avec son conjoint, lui en CDI, elle a cherché un logement dès l'annonce de sa grossesse, sans succès. À la naissance de leur fille, le couple a pu compter sur la solidarité d'un de leurs compagnons d'infortune, qui était revenu s'installer au squat pour laisser son logement à la famille.
"Les seules solutions qu'on a trouvées, c'est dans les campings. Mais maintenant l'été arrive, et on parle de 60 euros par jour, détaille-t-elle. Donc oui, nous ne rencontrons pas de difficultés financières parce que nous travaillons tous les deux mais ce n'est pas jouable dans ces circonstances. Nous n'avons pas trouvé de maisons pendant l'hiver, alors imaginez maintenant qu'arrive l'été et donc tous les touristes..."
Début juin, Giulia et sa famille ont trouvé une solution précaire le temps de la saison. Mais ils sont toujours à la recherche d'un logement décent.
Le reportage de Maïa Graziani, Typhaine Urtizverea, Capucine Laulanet, Alexandra Lemesle, et Nina Sanchez :