À Bastia, la préfecture a décidé de renforcer les patrouilles de police autour de l’association Fratellanza, qui accueille des personnes sans domicile fixe. Une mesure actée après la réception de riverains, qui se plaignent depuis plusieurs mois des nuisances causées par certains bénéficiaires.
18h, la patrouille de police entame sa surveillance autour de Fratellanza, rue Luce de Casabianca. Ici, sont accueillies toute l'année, sept jours sur sept, des personnes en grande précarité.
Problème, depuis plusieurs mois maintenant, des riverains accusent certains sans-abris qui fréquentent l'association de comportements agressifs. Parmi les troubles cités, notamment, des insultes, des incivilités, ou même des cas d'alcoolisme sur la voie publique.
"Je crains l'agressivité du matin au soir. Ils sont toujours sur les trottoirs, à vous empêcher de rentrer dans votre immeuble, assure cette femme, qui vit à quelques pas seulement des locaux de l'habitation. On a du mal à vivre dans la tranquillité."
Des riverains exaspérés
Une exaspération dont s’est emparée Core in Fronte. Le 5 avril dernier, le mouvement indépendantiste avait d'ailleurs organisé un rassemblement de soutien devant l’association Fratellanza.
"Nous sommes descendus pour exprimer notre soutien à la population du quartier, et dire aussi, puisqu'aujourd'hui la police municipale et nationale ne fait rien, qu'on ne tolérera plus aucune agression, quelle qu'elle soit, envers les habitants du quartier", tranche Laurent Filippi, militant de Core in Fronte et lui-même résidant de la rue Luce de Casabianca.
Pourtant, les riverains mécontents ont été reçus à plusieurs reprises. Par la mairie de Bastia d’abord, puis par la préfecture la semaine dernière. Pour les rassurer, celle-ci a renforcé le dispositif de sécurité aux abords de l'association.
Là où ça va disjoncter, c'est plus avec les personnes qui sont alcoolisées.
La police connaît bien ceux qui ont élu domicile dans les rues avoisinantes. "Pour la plupart, ça se passe très bien, parce que ce sont des personnes qui essayent de s'en sortir. Là où ça va disjoncter, c'est plus avec les personnes qui sont alcoolisées, indique Francesca, agente de la sécurité publique. Mais on les recroise des fois quand elles sont sobres, et tout se passe bien, ils ne dérangent personne, ne se battent pas entre eux..."
"Si on constate de l'ivresse publique manifeste, on place en dégrisement, poursuit le commissaire Vianney Derquenne, de la police nationale. Si on constate des infractions délictuelles ou criminelles, on place en garde à vue. Et si on a à faire à des contraventions, à ce moment-là, on pratique des verbalisations."
De façon générale, les autorités affirment avoir pris au sérieux la problématique, et avoir mené de nombreuses actions depuis plusieurs mois.
Des bénéficiaires en grande précarité
L’association reçoit une soixantaine de personnes par jour. La plupart sont sans emploi et sans domicile, parfois sans papiers, et viennent y trouver de quoi s’habiller, se nourrir, ou se doucher. Une population qui est aussi de plus en plus jeune.
C'est le cas, par exemple, de Mélina. À 21 ans, elle s’est retrouvée à la rue. "Je viens ici pour qu'ils m'aident à faire mes papiers, pour manger le soir, vers 18h30, et dormir en foyer", explique-t-elle. Sébastien, 32 ans, n'a de son côté plus aucun revenu disponible. En recherche active de travail, il se rend ici pour pouvoir "au moins manger gratuitement". Une dépense en moins pour tenter tant bien que mal de sortir la tête de l'eau, et de pouvoir retrouver la vie active.
Je voudrais qu'on voie la misère avant de voir un sale alcoolique qu'on devrait renvoyer je ne sais où.
L'association Fratellanza est installée dans le quartier depuis 30 ans. Pour ses responsables, les incidents relevés au cours des derniers mois ne sont le fait que d’une petite poignée de bénéficiaires.
"Derrière tous ces gens, il y a de la misère. Et moi, je voudrais qu'on voie la misère avant de voir un sale alcoolique qu'on devrait renvoyer je ne sais où. Ce sont des blessures de l'âme, de la vie, qui font que pour eux, c'est compliqué. Mais ça peut arriver à chacun d'entre nous", insiste Florence Retali, responsable de l'équipe mobilité et précarité de Fratellanza.
"Si nous n'étions pas là, où s'il n'y avait pas une structure comme la nôtre ici, ce serait encore pire, complète Jean-Claude Vignoli, co-fondateur de la structure. Ces gens seraient livrés à eux-mêmes, et je pense que dans Bastia, il y aurait beaucoup plus de violences qu'actuellement."
À 19h30, les portes de l’accueil de jour ferment. Certains iront dormir au centre d’hébergement, mais d’autres restent dans la rue. En 2023, Fratellanza a reçu plus de 500 primo-arrivants.