La commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants a fait escale à Bastia, hier, jeudi 25 mai. Une réunion publique au cours de laquelle ont notamment été dévoilés les témoignages de victimes. Le juge pour enfant Edouard Durand, président de cette instance, détaille les chiffres et les préconisations portées.
Fondée en 2021, la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants vise à "accompagner un changement de société, pour permettre à la France de s'engager de manière déterminée pour une protection des mineurs", par la formulation de recommandations visant à mieux prévenir les violences sexuelles, mieux protéger les enfants victimes, et lutter contre l'impunité des agresseurs.
Depuis deux ans maintenant, ses membres sillonnent le territoire national, à la rencontre des victimes, de leurs proches et des acteurs de terrain. Dernier arrêt en date : Bastia, hier, jeudi 25 mai, où s'est tenue une réunion publique, au cours de laquelle a notamment été partagé le témoignage de victimes.
Edouard Durand, juge pour enfant président de cette commission, a accordé un entretien à France 3 Corse ViaStella.
En mars dernier, vous rendiez un rapport contenant des chiffres édifiants : 160.000 enfants seraient victimes de violences sexuelles chaque année en France, et dans un cas sur trois, le père serait l'agresseur. Ces données vous ont-elles surprises ?
Edouard Durand : Je suis juge des enfants. Cette violence je la connais par chaque enfant victime de viol ou d'agression sexuelle que j'ai rencontré. Mais ce chiffre dit une réalité : dans toutes les villes, dans tous les villages, les viols des enfants, l'inceste, les viols dans la famille, c'est une réalité massive.
Suite à ce bilan, vous avez réalisé un rapport intermédiaire dressant une vingtaine de préconisations. Pouvez-vous en détailler la philosophie générale ?
Edouard Durand : Ce que nous voulons, c'est renforcer la culture de la protection, et la protection, c'est une chaîne. La chaîne commence par le repérage : aller chercher les enfants victimes, poser la question des violences à tous les enfants.
Ensuite, c'est le traitement judiciaire, renforcer les capacités de lutter contre l'impunité des agresseurs et de rendre justice aux victimes.
Troisième étape, le soin, des soins spécialisés en psycho-traumatisme, parce que les victimes que nous recevons nous disent ce que nous appelons le présent perpétuel de la souffrance : des souffrances qui durent toute la vie. Or des soins existent, ils doivent être dispensés.
Enfin, c'est la prévention, parce que nous voulons vivre dans un monde où les enfants grandissent en sécurité.
Dans le traitement judiciaire, quel est l'obstacle aujourd'hui à ce que les victimes d'incestes soient reconnues, et leurs agresseurs condamnés ?
Edouard Durand : 70 % des plaintes déposées pour des violences sexuelles faites aux enfants sont classées sans suite. C'est donc particulièrement au moment de l'enquête pénale qu'il faut arriver à prendre davantage au sérieux la parole de l'enfant qui révèle des violences. Et également, tous les actes d'enquête sur l'entourage.
On sait que la pédo-criminalité par les nouvelles technologies explose, il faut donc aller vérifier tous les instruments technologiques pour voir ce qu'en font les personnes mises en cause.
Vous avez entamé avec la CIIVISE un tour de France, avec donc cette étape à Bastia. Votre objectif, c'est de venir directement recueillir la parole des victimes ?
Edouard Durand : Oui, la CIIVISE, c'est d'abord un espace de reconnaissance et de solidarité, comme le montre la réunion publique que nous avons tenu à Bastia. Nous sommes allés à Strasbourg, à Lille, ou à Nantes, nous serons le mois prochain à Nice, parce que partout, comme à Fort-de-France ou à la Réunion où nous irons bientôt, chaque adulte qui a été victime de violences sexuelles dans son enfance a le droit que la société dise : nous vous croyons, nous aurions dû vous protéger. C'est ce que fait la CIIVISE.
L'inceste a toujours existé, mais c'est peut-être la libération de la parole des victimes qui a évolué ces dernières années. Vous le constatez dans ces réunions publiques que vous donnez ?
Edouard Durand : En réalité, les enfants victimes de viols et d'agressions sexuelles et les adultes qu'ils sont devenus ont toujours parlé. Ce qui change, c'est la libération de l'écoute. La capacité de la société et des professionnels de se dire : un, ça existe, c'est vrai ; deux, nous sommes responsables de la protection de nos enfants ; trois, les agresseurs sont dangereux, il faut faire respecter la loi.