En Corse, la culture pop japonaise trouve de plus en plus son public. Les œuvres mangas et leurs intrigues captivantes ont su fasciner une jeune Bastiaise, la transportant dans un univers fantastique. Une passion qui l'a poussée à organiser une convention axée autour de la culture nippone cet été à Biguglia (Haute-Corse).
C'est un univers qui l'a sauvé. Jade Bourdiec a une dizaine d'années lorsqu'elle découvre la culture japonaise.
À l’époque, Jade est au collège et subit les moqueries de ses camarades de classe. "J'étais régulièrement harcelée, car je souffre d'un autisme léger, je suis très discrète et cela n'a pas toujours été facile", se souvient d'une voix hésitante, la jeune fille aux cheveux rose et bleu. Se plonger dans les mangas et s'attacher aux personnages des bandes dessinées lui permet de souffler un peu et de s'aérer l'esprit. "Je me suis accrochée. Cet univers m'a beaucoup aidé, je me sentais moins seule et davantage comprise par rapport au reste de la société".
Incarner un personnage
Alors que dans le centre-ville de Bastia, la mode est plutôt jean, blouson noir et basket, Jade, elle, ne passe pas inaperçue dans la rue. Maquillage fluorescent à paillettes, pull rose fluo et cheveux décolorés, la passionnée de culture japonaise revendique un style bien à elle et se passionne pour le cosplay : l'art de se déguiser en personnages de fiction issus de mangas ou jeux vidéo.
"Je sais que ma façon de me maquiller peut déranger. Je me sens parfois jugée, mais depuis une dizaine d'années, je trouve que personne ne s'habille avec des couleurs, il n'y a aucune diversité", regrette la jeune fille. "On ressemble tous à des moutons". Si la culture pop japonaise passe par le style vestimentaire, c'est aussi un état d'esprit, qui ressemble davantage à la jeune Bastiaise.
L'effervescence des arts
Année après année, elle participe à des événements autour de cet univers où les arts s'entrelacent : le cinéma, la musique, le manga, la mode... Jade y rencontre "des gens qui lui ressemblent, qui la comprennent enfin". Elle dit même qu'elle a changé sa façon de réfléchir. En grandissant, "je ne porte plus trop de préjugés sur les gens qui m'entourent. En lisant des mangas, j'ai compris qu'on était tous différent et qu'il ne faut pas chercher à être pareil. Si on se ressemble tous, il n'y a plus de beauté dans le monde".
Après le collège, en difficulté scolaire, la jeune femme se tourne vers un CAP couture, une voie qui lui permet aujourd'hui de fabriquer ses propres déguisements. Elle récupère des tissus dans des boutiques et dans des friperies lors de ses passages sur le continent pour se créer des personnages.
Le Japon : une culture du respect
Cet amour pour la culture pop japonaise est partagé par des milliers de jeunes aujourd'hui. Comme en témoignent ces chiffres : 200.000 visiteurs en quatre jours de festivités cette année lors du Japan Expo à Paris. Un enthousiasme partagé aussi sur notre île. Le centre culturel de L'Alb'oru, au sud de Bastia, organise chaque année une grande convention bastiaise dédiée au manga et à la culture japonaise.
Un rendez-vous annuel auquel Jade participe. Mais l'an passé, âgée d'à peine 22 ans, elle décide de monter, elle aussi son projet. "Après avoir participé à la Japan Expo de Paris, j'ai eu envie d'organiser un événement comme celui-ci chez moi, à Bastia". Jade mène des recherches, contacte sur internet ceux qui partagent sa passion, notamment à Ajaccio, où il y a une grande communauté.
La convention : sa revanche sur la vie
Pendant un an, elle se démène pour trouver les exposants qui participeront à sa convention. Elle tente de récolter des fonds afin de financer ce projet d'une grande ampleur. L'été arrive, son événement "Pop Sakura" a bien lieu, le pari est réussi. "C'était vraiment une magnifique journée. Les participants venaient me voir, ils faisaient la queue pour me remercier et me dire qu'ils se sentaient libres grâce à cet événement", se remémore-t-elle, avec un grand sourire.
Une vingtaine d'exposants, dont des petits créateurs, participe à ce rendez-vous à la salle des fêtes de Biguglia, où près de 1.000 personnes se sont déplacées. "C'est un univers où tout le monde se sent bien et a sa place. Dans le monde réel, des jeunes sont parfois mis de côté, comme ma fille qui se sent rejetée par tout le monde. Quand ils se retrouvent entre eux, c'est une explosion de joie", confie, avec beaucoup d'émotions, Anne, la maman de Jade. "C'est une grande fierté et un soulagement que ma fille ait trouvé sa voie, vu le parcours chaotique qu'elle a eu, c'est une revanche, car elle revient de loin".
Jade ressort de cet événement grandi, fière et la tête pleine de projets professionnels. Elle aimerait à l'avenir ouvrir un magasin en Corse avec des mangas et des costumes de cosplay, mais elle pense aussi à écrire son histoire dans un manga pour raconter son vécu, pas toujours facile. "Cela pourrait aider ceux qui ne sont pas forcément bien".
Enfin, la jeune passionnée travaille déjà sur sa deuxième convention dédiée à la culture nippone. Elle aura lieu au mois d'août 2025. Jade espère attirer autant de monde que lors de son premier événement, comme pour affirmer qu'elle a enfin trouvé sa place.