"On ne peut pas tolérer ce genre de comportements" : vives réactions et solidarité des médecins après deux agressions de praticiens en Corse

L'URPS médecins libéraux de Corse et les conseils de l'ordre des médecins de Haute-Corse et de Corse-du-Sud s'indignent contre les agressions par des patients dont auraient été victimes deux praticiens insulaires au cours du mois de juin. Des incidents qui seraient de plus en plus nombreux.

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Le docteur Antoine Grisoni, président de l'Union régionale des professionnels de santé (URPS) médecins libéraux se dit "consterné". Depuis le début du mois de juin, deux médecins établis en Corse auraient été agressés dans le cadre de leur exercice. Des actes inacceptables, contre lesquels l'URP et les conseils de l'ordre des médecins de Haute-Corse et Corse-du-Sud s'insurgent vivement.

La première agression concerne le docteur Antoine Albertini, installé depuis 44 ans à Querciolo, indique le président de l'URPS médecins libéraux.

"Notre confrère se trouvait dans son cabinet, quand la famille d'un de ses patients décédé brutalement est venue l'agresser verbalement. Dans un premier temps, il s'agissait de la famille proche, donc le médecin ne s'est pas immédiatement alarmé, considérant que c'était une réaction née d'un mélange de colère et tristesse à laquelle nous pouvons être confrontés dans le cadre de notre métier. Et puis d'autres personnes les ont rejoint en employant un ton assez menaçant", relate le docteur Antoine Grisoni. "Finalement, ce sont les patients qui se trouvaient dans la salle d'attente qui sont intervenus en défendant l'accès du cabinet à ces gens. S'ils n'avaient pas réagi, il y aurait eu un risque conséquent que cela aille beaucoup plus loin", souffle-t-il.

Le second cas concernerait cette fois un autre médecin, exerçant à Folelli. Là encore, il aurait été violemment pris à parti par un patient. Dans les deux cas, l'intervention des forces de l'ordre, face à l'escalade des tensions, a été nécessaire.

"La douleur et la tristesse des patients n'excusent pas de pareils comportements"

"Ce qui s'est passé n'est pas tolérable, martèle Antoine Grisoni. Dans un contexte actuel de pénurie de médecins, notamment dans le rural, de soignants éprouvés, épuisés par deux années de crise sanitaire, on ne peut pas s'en prendre à eux de la sorte. La douleur et la tristesse des patients n'excusent pas de pareils comportements. On ne va pas dans le cabinet d'un médecin, ou même en dehors de son cabinet, pour s'en prendre à lui en le menaçant, ou en l'agressant. Si on pense qu'une erreur a été commise, il y a des procédures qui existent, on a la possibilité de porter plainte, de saisir l'ordre des médecins."

Le docteur Albertini a lui porté plainte à la suite de cet événement. L'URPS, aussitôt informée des faits, en a fait de même "en tant qu'organisation professionnelle", précise Antoine Grisoni. "Nous avons décidé d'appliquer une tolérance 0, précise-t-il. Maintenant, à chaque agression de ce type, nous porterons également immédiatement plainte - avec accord du praticien -."

Si on pense qu'une erreur a été commise, il y a des procédures qui existent, on a la possibilité de porter plainte, de saisir l'ordre des médecins.

Antoine Grisoni, président de l'URPS médecins libéraux

Hausse exponentielle des déclarations d'incidents

Car au-delà de ces deux malheureux faits, les agressions de médecins ont augmenté de manière exponentielle, tant au niveau régional que national, au cours des vingt dernières années, constate le président de l'URPS médecins libéraux. 

Le rapport d'observatoire de la sécurité des médecins de 2020, qui recense nationalement les incidents remontés par les praticiens, fait ainsi état de 955 déclarations survenues au cours de l'année 2020. C'est moins qu'en 2019 - 1.084 incidents déclarés - et en 2018, triste année record avec 1.126 cas enregistrés. Mais ces chiffres sont largement au deçà de ceux relevés au début des années 2000 : 638 cas en 2003, 439 en 2004, et une moyenne de 595 cas par an entre 2003 et 2009, contre 999 cas par an en moyenne entre 2014 et 2020.

Si la Corse était en 2020, toujours selon ce rapport, la région la moins touchée par ces incidents, avec seulement 3 déclarés en 2020 contre 166 en Hauts-de-France, région en tête de classement, "tous les faits ne sont pas toujours remontés", glisse le docteur Antoine Grisoni, qui met aussi en avant le contexte des cabinets dans le domaine rural "où tout le monde se connaît, et où l'on a tendance à vouloir régler cela à l'amiable plutôt que devant la justice".

Lorsque vous venez dans un endroit qui est difficile, où il y a déjà un manque de médecins, on ne peut pas en plus supporter ce genre de comportements.

Antoine Grisoni, président de l'URPS médecins libéraux

En plus de perturber l'activité du médecin, ces agressions peuvent également avoir un impact sur la prise en charge sanitaire d'un territoire, souffle le président de l'URPS médecins libéraux. "Dans le cas d'installations nouvelles, ou pas d'ailleurs, on peut avoir des professionnels qui décident de quitter les lieux." Il prend pour exemple le cas d'un médecin généraliste menacé et empoigné par le col de sa blouse par un de ses patients, en février dernier, à son cabinet de Lumio.

Le mis en cause, âgé de 71 ans, se serait énervé après que le docteur ait décidé de faire passer un autre patient en urgence avant lui. Une action qui avait entraîné un rassemblement de soutien et un dépôt de plainte du praticien, qui a depuis quitté la région, et est reparti au Canada, indique Antoine Grisoni.

"Bien sûr, on ne peut pas dire que cet incident est forcément la seule raison de son départ, mais ça a pu aider. Lorsque vous venez dans un endroit qui est difficile, où il y a déjà un manque de médecins, on ne peut pas en plus supporter ce genre de comportements. Résultat, cela peut altérer la prise en charge de la population, par manque de professionnels sur le terrain."

Dépôt de plainte systématique

Tout au long de son activité professionnelle, le docteur Antoine Grisoni n'a lui-même jamais été agressé par un patient. "Il y a eu des tensions verbales, où j'ai parfois eu à faire état de forte autorité pour faire comprendre à certaines personnes qu'elles dépassaient les bornes, et que dans ce cas, il vaut mieux mettre fin à une relation de soins, mais jamais d'agressions. Je connais en revanche beaucoup de confrères pour qui cela est arrivé, à différents degrés de gravité, avec parfois même des violences physiques. Il est assez rare que ces faits débouchent sur des plaintes, mais cela devient de plus en plus fréquent. Depuis ma prise de poste à la présidence de l'URPS, j'ai été confronté à cinq dossiers de ce genre. Il y a vingt ans, on n'en entendait jamais parler."

L'URPS incite désormais l'ensemble des médecins qui se retrouveraient confrontés à de pareils incidents à porter systématiquement plainte. "Il faut une instruction, une enquête, il faut que le praticien puisse montrer qu'il n'accepte pas ce comportement et que la personne qui en est à la source comprenne qu'elle n'avait pas à le faire. Ce n'est pas une question de condamnation pénale. C'est une question que cela ne reste pas silencieux et invisible."

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