Une étude menée sur dix lagunes de Méditerranée a traqué 72 pesticides de 2017 à 2019. L’étang de Biguglia est celui qui montre le moins de traces d’intrants chimiques. Malgré tout, l’étude montre "un risque chronique fort sur 50% des périodes suivies".
Pendant deux ans, entre 2017 et 2019, le laboratoire Environnement Ressources Languedoc Roussillon de l'Ifremer, basé à Sète a immergé des échantillonneurs dans dix lagunes du pourtour Méditerranéen en France.
En Corse, l’étang de Biguglia a été choisi du fait de sa proximité avec le principal cours d’eau qui s’y jette, le Bevinco. L’étude le compare avec les étangs de Canet, de Bages-Sigean, de l'Ayrolle, de la Palme, de Thau, de Vic, du Méjean, de l'Or (tous situés en Occitanie) et de Berre (près de Marseille).
Toutes les lagunes suivies présentent un risque chronique fort pour a minima 50% des périodes suivies.
"Toutes les lagunes suivies présentent un risque chronique fort pour a minima 50% des périodes suivies. Et 8 lagunes sur 10 présentent un risque chronique fort pour 100% des périodes suivies au cours de l'étude. Seuls les étangs de La Palme et de Biguglia ont présenté des périodes de risque chronique peu préoccupant", note le rapport "Observatoire des lagunes (Obslag) Pesticides", publié mercredi par l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse et l'Ifremer en partenariat avec l'Université de Bordeaux.
22 substances en moyenne observées dans l'étang de Biguglia
En moyenne, les traces de 22 substances ont été trouvées dans l’étang de Biguglia, réserve naturelle située dans deux sites Natura 2000. Les mélanges retrouvés dans l’eau sont différents de ceux observés sur le continent."C'est par exemple la seule lagune où le métolachlor et ses métabolites ne dépassent pas leurs valeurs seuils, et c'est aussi la seule lagune où l'ametryn et la tébuconazole les dépassent", note l’étude. L’ametryn est un herbicide, le tébuconazole un fongicide qui, en grande quantité, pourraient avoir des effets néfastes sur la biodiversité.
Un risque ponctuel
Mais pour tempérer cette observation, Dominique Munaron, chercheur en chimie de l’environnement de l’Ifremer à Sète, souligne que les fongicides découverts, utilisés en agriculture ou dans le traitement du bois et des façades ont présenté un "risque potentiel plus élevé à l’automne 2017" et que cette tendance n’a pas été observée par la suite."Il est possible qu’il y ait eu une période de traitement conjointe à des événements climatiques qui ont fait que se retrouvent dans la lagune plus de substances à un moment donné", observe le chercheur.
Pour lui, "on ne peut pas dire que Biguglia soit un mauvais élève". "Il existe un risque ponctuel mais l’étang est en très bon état par rapport à cette problématique."
Un des principaux résultats de cette étude c’est qu’on retrouve des substances à peu près partout où on les a cherchées
"Un des principaux résultats de cette étude c’est qu’on retrouve des substances à peu près partout où on les a cherchées, souligne Dominique Munaron. Ce qu’on n’avait pas jusqu’alors montré parce qu’on n’avait pas les outils pour le faire. On peut arriver à les doser dans des eaux très diluées comme les eaux lagunaires ou côtières. C’est une pierre de plus à notre connaissance pour mieux comprendre et mieux protéger les lagunes."
Quels effets sur la biodiversité ?
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les conséquences de la présence de pesticides dans ces étangs ne sont pas forcément connues. "Avec l’Inrae (l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) on est en train de mener une expertise collective sur les effets des pesticides sur la biodiversité. La problématique a déjà été étudiée mais on va pouvoir faire un bilan des connaissances sur le sujet", explique Dominique Munaron.Pour lui, il est très important d’améliorer nos connaissances sur les lagunes car "elles rendent d’énormes services écosystémiques". "Les lagunes sont des écosystèmes à l’interface entre continent et mer, insiste-t-il. Ils sont très riches d’un point de vue écologique. Ils abritent généralement des faunes et des flores très diversifiées. Et ils ont tendance à accumuler les contamination du bassin versant, ce qui les rend très sensibles."
Cette étude modifie notre regard ; elle met en lumière l'urgence de prendre en compte les cocktails de pesticides et leurs effets sur ces milieux naturels
"Avant cette étude, l'état chimique de ces lagunes était considéré comme "bon" puisqu'aucun des 22 pesticides prioritaires suivis d'ordinaire tous les trois ans (...) ne dépassait sa valeur-seuil", précise aussi Karine Bonacina, directrice régionale de l'agence de l'eau Rhône Méditerannée Corse. "Cette étude modifie notre regard ; elle met en lumière l'urgence de prendre en compte les cocktails de pesticides et leurs effets sur ces milieux naturels".
Les scientifiques espèrent qu’une meilleure connaissance des pesticides présents dans les lagunes permette d’agir en amont sur leur utilisation, qu’elle soit d’origine agricole, urbaine, ou industrielle.