En début de semaine dernière, Sergio Mattarella s'est rendu à Casal di Principe, dans la région de Campanie, pour la XXVIIe journée de commémoration des victimes innocentes de la mafia. Au même moment, une manifestation d'ampleur sur le même thème était organisée dans la capitale lombarde...
Le crime organisé s'étend sur les îles et pays de Méditerranée. En Italie, le long combat contre les différents organisations criminelles (Cosa Nostra en Sicile, Camorra napolitaine, Sacra Corona Unita dans les Pouilles ou encore 'Ndrangheta en Calabre) a connu une véritable révolution en Italie fin 1962, avec la création de la Commissione parlamentare antimafia, et de diverses structures spécialisées, comme la Direction des enquêtes et le parquet antimafia. S'en suivront des périodes marquantes, comme le "maxi-procès" de Palerme, en 1986-87, qui aboutira à la reconnaissance historique de la mafia sicilienne par la justice et condamnation de 19 "parrains".
En 1992, l'attentat contre les juges Falcone et Borsellino, d'une violence inouïe, provoqua l'indignation de tout un pays, signe annonciateur d'un possible changement des mentalités.
Au-delà de l'action des différents services judiciaires, les instances politiques italiennes tentèrent donc également de prendre le taureau (ou plutôt "la pieuvre", le surnom de la mafia) par les cornes, n'hésitant plus à prendre la parole pour provoquer une prise de conscience de la population. De ces initiatives naîtront des mouvements citoyens comme Addiopizzo, rassemblement de commerçants contre le racket, véritable impôt mafieux démocratisé dans toute la "botte", jusqu'en Sicile.
L'hommage de Sergio Mattarella...
C'est le cas au plus haut niveau de l'État, puisque le président lui-même a choisi de se rendre dans la ville natale du curé Giuseppe Diana, tué par la Camorra en 1994.
Un discours poignant et virulent
S'adressant aux étudiants de l'Institut Guido Carli, qu'il a qualifié "d'enfants de la renaissance", il a déclaré : « la lutte contre la mafia concerne tout le monde ; personne ne peut rester indifférent, car l'indifférence à l'égard de la mafia est proche de la complicité".
Alors que Mattarella se trouvait dans l'un des lieux les plus célèbres d'Italie pour la camorra, à Milan, 2 mois après l'arrestation très médiatisée en Sicile du boss en cavale Matteo Messina Denaro, plus de 50.000 personnes ont manifesté pour honorer la mémoire des victimes de la mafia. La manifestation a été organisée par l'ONG Libera, fondée par le père Luigi Ciotti en 1995. Le slogan de la manifestation était : "Il est possible" de vaincre les mafias.
Fédérant près de 1 000 associations dans l’ensemble de la péninsule, Libera œuvre dans différents domaines : la formation, l’éducation à la citoyenneté, la légalité, la diffusion de l’information, l’accompagnement des victimes. L'idée d'une journée pour unir la mémoire et l'engagement au nom des victimes innocentes des mafias est née au milieu des années 1990, époque marquée par une flambée de violence criminelle exceptionnelle dans l'histoire du pays...
Ce type d'initiatives, qui peuvent paraître de prime abord un peu dérisoires, favorise donc la libération de la parole publique, la création d'associations et de collectifs, qui constituent au final une réelle menace pour le crime organisé...
Quid de la Corse ?
En Corse, les choses commencent aussi à "bouger", ne serait-ce que par la reconnaissance publique de l'existence d'une structure criminelle organisée sur l'île, que certains n'hésitent plus désormais à appeler mafia...
Les élus territoriaux ont consacré, en novembre dernier, une session de l'Assemblée Régionale à la lutte anti-mafia, engendrant la naissance d'une commission permanente et d'ateliers pour établir en premier lieu un diagnostic précis, avant d'auditionner des experts et de réaliser des études.
L'objectif à terme : proposer des solutions envisageables dans chacune des 5 thématiques déterminées, à savoir "Éthique et politiques publiques", "Secteurs économiques particulièrement exposés", "Drogues, commerces illicites", "Dérives mafieuses" et "Enjeux éducatifs, culturels et sociétaux".
La société civile n'est pas en reste, avec la naissance de collectifs comme "mafia nò, a vita iè", ou "Massimu Susini". La parole se libère, l'omerta fait place à la contestation, et même à un début de "révolte populaire"...
Les effets concrets de ces évolutions, tant politiques que civiles, tardent toutefois à se manifester...