Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : bas les masques

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées. Ce jeudi, elle nous parle masques, couture, et de Sandrine aux doigts de fée.

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► Retrouvez le chapitre 29 :
  • CHAPITRE 30 : Bas les masques !


Ce mercredi, j’ai vu Nicolas revenir défait de sa première sortie en dehors du périmètre restreint de notre quartier. Il avait dû pousser jusqu’à la rocade pour se rendre à un rendez-vous médical. Il a découvert un monde dont les habitants avancent masqués. Ou trop de gens avancent tout court pour quelqu’un qui n’en avait pas vu autant depuis un mois. Il faut dire que le cabinet où se rendait mon voisin est situé à 500m d’une grande surface.

Il était sonné, Nicolas, de cette vie qui continue. Il a d’un coup eu le sentiment que son confinement à lui ne servait à rien. Comme le contre coup d’une réalité qu’il ignorait. Il m’a dit, « j’avais l’impression d’être un extra-terrestre ». Et même qu’on le regardait bizarrement parce qu’il n’était pas masqué.

Sa vision globale de la notion de foule est sans doute exagérée par le monde débarrassé de toute vie sociale qui est le sien depuis 31 jours, mais il n’empêche, le sentiment bizarre qu’il a ramené à la maison a ravivé mes craintes personnelles. Je ne me vois pas vivre dans un monde où chacun porte un masque. Ou plutôt, l’idée que je m’en fais génère des angoisses et un refus total.
 


A bouche découverte…

J’ai le sentiment de me dessécher depuis quelques jours, au sens propre comme au figuré. Hier, après la visite de Nicolas, je suis partie chercher ma part de vie sociale chez mon pharmacien. Je ne l’avais plus vu depuis un moment (bien avant le début du confinement). Son « comment allez-vous ? » chantant, a sonné comme un « je suis content de vous voir ». Même s’il portait un masque derrière les protections en plexi nouvellement installées (qui resteront après, non ?), je lui ai dit en souriant (sans masque), « j’ai l’impression d’être dans ma normalité en venant vous voir ».

Une autre cliente se trouvait à faire des achats dans l’officine avec son bébé. Elle n’a pas parue inquiète de ma présence (distancée) et de l’absence de masque sur mon visage : elle n’en portait pas non plus. Elle était souriante et décontractée. J’ai dû trouver les retrouvailles avec mon pharmacien et sa clientèle agréables au point de lui commander les deux boites d’ampoules de radis noir qui manquaient à mon opération détox, et que j’irai chercher demain.

Sur le chemin du retour, j’ai reçu le coup de fil d’un copain journaliste. Je lui ai demandé des nouvelles de sa maman. Il m’a raconté qu’au début elle ne respectait pas bien le confinement, qu’elle sortait faire ses courses, mais qu’elle était rentrée dans les rangs quand elle a commencé à comprendre de quoi il en retournait. « Sauf que maintenant elle a peur… elle a peur, mais, en même temps, quand elle a réalisé que les personnes âgées devraient respecter le confinement au delà du 11 mai, elle a commencé à déprimer… c’est compliqué ».

Oui, il a raison, c’est compliqué. L’envie de sortir, la crainte aussi, tout se mélange et donne un côté schizophrène dont les annonces d’état n’ont pas le monopole.
 



Et la tête, alouette…

Alors, dans ce monde de dingue, on se nourrit des choses qui passent. Ou plutôt des personnes qui viennent égayer une journée. Sandrine est repassée hier au pied de mon immeuble pour déposer des masques en tissus (rappelez-vous, la dernière fois, j’en ai gardé un aux motifs étoilés pour Nicolas). En fait, je fais relai colis. Elle me livre ses créations (parce que, personnellement, je serais bien incapable de confectionner un masque en tissu), je réceptionne et assure la distribution.

L’avantage, c’est que j’ai à chaque fois quatre étages à me mettre dans les jambes. C’est la contribution de chacun à mon sport quotidien. La semaine dernière, lorsque j’assurais une de ces livraisons en bas de mon immeuble, une voiture est passée, celle de mon ami gênait, j’ai dit, « deux secondes, il récupère ses masques et il s’en va ». J’avais les dits masques en tissus dans une protection transparente à la main, la personne (dans un véhicule de service) m’a dit, « oh, vous faites des masques ? ».

Après avoir précisé, que non, ce n’était pas moi la dame aux doigts de fée, je me suis retrouvée avec une commande que j’ai transmise à Sandrine. L’homme pensait que c’était payant, j’ai répondu, « non, Sandrine assure le service gratuitement, c’est de l’entre-aide ». C’était un jeune père de famille, toujours (professionnellement) en service, qui voulait s’équiper pour le quotidien.
 


"Si vous savez confectioner un calot, je veux bien"

Il doit passer ce matin (il sera certainement passé quand vous lirez ce papier).  Mais, pour le coup, il y avait autre chose dans la livraison hebdomadaire de Sandrine. Vous vous rappelez de Delphine, l’infirmière de réa ? (oui, la voisine de ma mère !). J’avais dit que je passerais lui amener des gâteaux au chocolat, mais lorsque j’ai échangé ensuite avec elle par message, elle m’a dit, « on en mange trop !... par contre, si vous savez confectionner un calot, je veux bien ».

J’étais désolée, je ne savais pas fabriquer de calot. J’ai tourné la déception dans ma tête plusieurs jours. J’ai même pensé à emprunter la machine à coudre de ma mère et m’y mettre (j’aurais demandé à Nicolas de me déchiffrer le mode d’emploi et les tutos… j’ai toujours du mal avec les modes d’emploi et les tutos), mais j’ai renoncé. Je me suis dit que ne pas y arriver ne ferait qu’en rajouter à mon énervement. Et puis, j’ai pensé à Sandrine. J’ai demandé, « tu saurais faire ça, toi ? ». Elle m’a répondu, « je peux essayer en tout cas ».

La dernière fois que je suis montée chez ma mère, j’ai donc sonné chez Delphine… un calot à la main ! (Et oui, ça y est, je le connais en vrai le sourire de Delphine, il ne passe plus seulement par ses yeux !).  En fait, c’était un premier essai, notre infirmière devait en tester le coté pratique et le valider : c’est fait ! Alors, j’ai trois calots supplémentaires à lui monter ! Dans ces créations là, Sandrine a poussé le clin d’œil jusqu’à se servir pour moitié de la housse de couette que je lui avais donnée pour l’aider dans sa tâche (modeste contribution d’une fille pas très douée pour la couture).

 

Peut-être que je les regarde un peu plus tendrement, ces masques et ces calots quand ils sont confectionnés par Sandrine. Parce que je ne me vois pas avancer dans une vie qui en ferait l’attribut du quotidien (des masques en tout cas). Et pourtant, faudra-t-il s’y résoudre le temps de trouver un vaccin ?  Hier, quand j’ai vu revenir Nicolas, j’ai compris qu’on pensait désormais beaucoup à la vie d’après… 
 
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