La mafia... La gangrène de l'Italie... La pieuvre étend ses tentacules sur tout le pays. Elle a plusieurs noms et, à Naples, c'est la camorra qui fait la loi. Politiques, police et associations tentent de lutter, mais le combat est âpre... Patrick Zachmann, photographe et réalisateur nous raconte l'histoire tragique d'une famille napolitaine dans "Un pezzo di Papà", documentaire inédit à voir ce soir sur votre chaîne régionale.
Des années 80 à nos jours, une ville sous emprise.
Le film débute par une lettre. Celle d'un photographe italien de 25 ans adressée à un "collègue" français de plus de 40 ans son aîné. Un courrier chargé d'émotion et de souvenirs, à la fois pour le lecteur et pour son auteur. Andrea Mormile, c'est son nom, et c'est aussi celui d'un policier, assassiné en 1982. Le jeune homme est son petit-fils, et il s'adresse, de manière épistolaire, à celui qui était devenu l'ami de l'inspecteur.
Les "années de feu", une période sanglante de guerre des gangs
La "Società dell'umirtà", autre nom de la branche mafieuse napolitaine, est née au début du XIXe siècle. Elle est la plus vieille organisation criminelle d'Italie. Les véritables origines de l'organisation sont discutées et mystérieuses, mais la "structuration" intervient à la fin du XIXe, où l'on passe des "simples voleurs et trafiquants" à une implantation dans le monde administratif et politique.
S'en suivra ensuite une baisse d'influence, jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement les années 70 : la fin des constellations de "petits clans" pour un regroupement, voué à gérer le nouvel "eldorado" du marché de la drogue.
C'est en 1982 que Patrick Zachmann débarque dans le chef-lieu de la Campanie, pour un reportage photographique sur le combat contre la mafia.
D'abord confronté au mieux à l'indifférence des policiers, au pire à leur hostilité, il finit par se lier d'amitié avec un jeune inspecteur des brigades mobiles, une unité d'action, soudée, chargée d'intervention parfois spectaculaires contre les trafiquants et de lutte contre les homicides.
La situation de l'époque est des plus tendues. Deux branches dominantes, la "Nouvelle camorra organisée", dirigée par le clan Cutolo, et la "Nouvelle Famille", qui compte des ramifications dans toute la Campanie. Une guerre de territoire sanglante, sans pitié, éclate, faisant des centaines de morts de 2 côtés, mais aussi chez les civils. Au-delà de ce conflit, la contrebande, mais aussi et surtout le racket et le trafic de drogue gangrènent la ville.
Ce contexte, le jeune photographe ne le réalise pas complètement. Hébergé par Andrea, dans le "cocon" familial de l'inspecteur, il se sent comme en sécurité, qu'il participe à des interventions risquées, ou à des poursuites en moto, au sein de la brigade des "Falchi", les faucons, un groupe d'intervention rapide qui n'hésite pas à "sortir" les muscles. De "descentes" en saisies, le danger grandit pour les forces de l'ordre, mais aussi pour le photographe, jusqu'au choc de "son" premier meurtre. Devant la violence de la scène de crime, mais aussi la réaction des familles, et la froideur des "carabinieri", il réalise qu'il s'est peut-être laissé griser, et prendra peu à peu conscience des risques qu'il court au quotidien.
Le danger ne semble pas non plus inquiéter le jeune inspecteur, même si c'est tout à son honneur. La jeunesse, le courage et un soupçon d'inconscience le rendent presque intouchable à ses propres yeux. L'anecdote du "Loup de Vaino", un malfrat arrêté chez un barbier, par hasard, en mode "cow-boy", alors que sa fille cadette, alors âgée de 5 ans était sur les lieux, illustre cet état d'esprit. Il est de plus très apprécié par les gens des quartiers, qui lui font confiance et comptent sur lui pour les aider, et auprès de qui il se sent un peu "redevable"...
Et, malheureusement, ce qui devait arriver arriva.
Le 3 septembre 1982, Andrea tombe dans un guet-apens Il est criblé de balles sous les yeux d'un de ses meilleurs amis avec qui il avait rendez-vous.
À cette époque, Patrick Zachmann, qui commençait à "accuser le coup" de la tension liée à son quotidien, est rentré en France. Il n'apprendra l'assassinat que plusieurs semaines après...
La photographie comme une thérapie
Ce 3 septembre, il ne l'a pas vécu là-bas, mais il ne s'en détachera jamais vraiment. Cette lettre du petit-fils de son ami, il la voit peut-être comme une occasion de vaincre ce traumatisme. Il prend donc la décision de revenir en Italie, mais cette fois-ci avec une caméra.
Quelle trace a laissé l'événement dans la cité napolitaine ? Que sont devenus sa famille, ses amis, ses collègues ? De témoignage en témoignage, on s'aperçoit que chacun a réagi à sa façon : l'un de ses fils est devenu policier, quand l'autre a sombré dans la drogue, avant de reprendre le dessus grâce à sa femme et ses enfants... Le petit-fils est quant à lui devenu photographe : est-ce vraiment une coïncidence ?
Mais pour tous, "Madonnà", le livre qui regroupe les clichés du photographe, est une bénédiction... Au-delà du témoignage sur la vie de celui qui est aujourd'hui vu comme un héros dans toute la ville, et même au-delà, ces photos, images "manquantes" pour ceux qui l'aimaient, sont un véritable cadeau. Une bouée à laquelle se raccrocher, un "morceau de papa". Ils lui en seront reconnaissants, pour toujours...
3 questions au réalisateur du documentaire, Patrick Zachmann
Après avoir reçu la lettre, qu’est-ce qui vous a décidé à revenir en Italie, et pourquoi avec une caméra plutôt qu’avec votre « outil » de prédilection ?
Après avoir reçu le message du petit-fils de mon ami policier anti-mafia, ce qui m'a procuré beaucoup de joie, j'ai décidé de retourner à Naples pour retrouver sa famille, sa veuve que je n'avais jamais revue depuis 1982, ses enfants devenus adultes et surtout l'aîné de ses fils devenu policier dans la même brigade que son père assassiné par la camorra.
Entre le petit-fils, Andrea, devenu photographe comme moi, et Paride, policier comme son père, cela faisait beaucoup de coïncidences pour être le fruit d'un simple hasard. Je pensais qu'il y avait la matière à un film. J'avais besoin d'une caméra et d'un micro pour recueillir les témoignages de chaque membre de cette famille traumatisée, et je voulais insérer mes photos de l'époque en Noir et Blanc dans la réalité de la ville, filmée en couleur...
Aviez-vous pris conscience de l’importance de votre livre pour la famille d’Andrea, et de l’impact qu’il a pu avoir sur son petit-fils, dans sa vie personnelle et professionnelle ?
Ce livre a été en effet important pour eux mais je crois, que ce qui a été extrêmement important pour chacun des membres de la famille, c'est de découvrir des photographies du mari, du père et du grand-père disparu... Ce sont ce que j'appelle, des "images manquantes" dans nos mémoires familiales.
C'est ce processus de restitution de ces images que j'ai trouvé extraordinaire émotionnellement dans cette expérience, à la fois humaine et professionnelle.
Pour le jeune Andrea, devenu photographe, d'après ce qu'il m'a confié, voir mon livre avec la dédicace à son grand-père a été en effet important dans son itinéraire.
Selon lui, le fait d'être devenu photographe, comme moi, n'est pas le fruit du hasard...
Est-ce que la mafia à selon vous la même emprise sur la ville de Naples, 35 ans après votre premier voyage ?
La mafia napolitaine s'est transformée. La ville aussi. Les vieux "boss" sont morts ou en prison, et il n'y a plus la violence incroyable que j'ai connue en 1982. Cela ne signifie pas qu'elle n'est plus présente. Elle a diversifié son champ d'action, s'est internationalisée, et exerce toujours son pouvoir criminel mais souvent par des "hommes en cravate".
La camorra a aussi compris qu'elle pouvait tirer d'énormes bénéfices grâce au tourisme. Des quartiers jadis impraticables par des étrangers sont aujourd'hui totalement sûrs, et emplis de touristes...
"Un pezzo di Papà", un documentaire inédit de 66 minutes à voir ce mardi 30 janvier à 21h40 sur France 3 Corse ViaStella.
Rediffusion vendredi 2 février à 16h40, et disponible dès le lendemain de la diffusion en replay sur notre plateforme France.TV, en cliquant ici...