Une cinquantaine de jeunes insulaires ont occupé les lieux, ce samedi 24 avril, pour dénoncer un projet speculatif, "inaccessible à la majorité des Corses", et ne respectant pas le littoral, selon eux.
Deux ou trois d'entre eux se sont attardés. Pendant que le gros des troupes emprunte le chemin escarpé qui rejoint le chantier de la future résidence Pietra Mare, ils restent sur le trottoir de la route du Cap, à Pietranera. Et accrochent une grande banderole dos à la mer. Histoire de signaler leur présence aux automobilistes.
Inscrit dessus, à la bombe, un slogan, en Corse. Qui résume pourquoi ils ont sont dans le Cap Corse, ce matin :
"A Terra, un hè a vende".
En contrebas, dans un renfoncement, le chantier. A l'abri des regards, diraient certains.
Leurs camarades, une cinquantaine de jeunes insulaires, âgés de 25 à 30 ans prennent possession des lieux. Ils prennent soin de le préciser en préambule, ne sont là au nom d'aucune association, ou de structure politique.
Le but, occuper le chantier, qui a débuté il y a quelques mois. Entre un tractopelle et un préfabriqué en tôle. A quelques mètres à peine de la mer.
Connivence coupable
Et c'est bien le problème, nous explique Stéphane, l'un des manifestants : "un projet pareil, ça dénature le littoral, et le terrassement du chantier, qui a lieu actuellement, mêlé à la potentielle montée des eaux, met en péril l'une des plages du village. Comment on peut construire, et laisser construire, une chose pareille..."
Derrière lui, des draps blancs, achetés sur le chemin, ont été déployés. Et les discussions vont bon train, pour savoir ce qui va être bombé dessus. Les jeunes réunis sur le chantier veulent dénoncer une connivence coupable, et ne veulent oublier personne.
Au final, on opte pour "Eletti, Statu, Maffia, Speculatori".
La construction de cette résidence "de haut standing", comme le clament les promoteurs sur leurs supports promotionnels, fait débat depuis plusieurs semaines. Elle divise le conseil municipal, et les habitants de Pietranera, comme nous vous le racontions dans un article précédent.
Un projet qui divise
Les manifestants, ce matin, ont de toute évidence choisi leur camp. Dans un communiqué, ils pointent du doigt "la prédation et la dépossession de la terre corse par des groupes d'investisseurs étrangers (...) avec la complicité d'affairistes locaux. Ne cessant de s'enrichir, ces groupes participent activement à l'accroissement des inégalités sociales".
U Troppu Stroppia !
"La situation est de plus en plus alarmante", glisse Stéphane, qui s'interroge : "Avec la prolifération de ce genre d'endroits, est-ce que je vais pouvoir me loger en Corse, est-ce que mes enfants trouveront à se loger ?"
Avec des T3 à 450.000 euros et des T5 à 850.000 euros, effectivement, la question semble légitime...
C'est le moment que choisit une dame qui, elle, a pu s'offrir ce genre de bien. Elle filme la manifestation de la route avant d'interpeller les occupants du chantier.
J'en ai acheté un, d'appartement, moi ! En quoi ça vous dérange ?
"J'en ai acheté un, moi, je l'ai payé ! Et je suis Corse. C'est légal, tout est légal ! C'est la continuité du littoral, c'est comme ça. En quoi ça vous dérange ?" On sent, chez la quinquagénaire une vraie exaspération. Et une envie, en débarquant en terrain hostile, de clamer qu'elle est dans son bon droit.
Un combat perdu d'avance ?
Le ton menace de monter assez vite, mais les leaders de la manifestation recadrent vite les choses, et les plus véhéments choisissent d'ignorer ce qu'ils considèrent comme "des provocations". L'un des occupants monte rejoindre la future propriétaire, un trac en main, pour lui expliquer la démarche. Pas sûr que cela ait abouti, mais tout débordement a été évité.
Un jeune Bastiais d'une vingtaine d'années, dépité, hausse les épaules. "Le problème c'est que, effectivement, c'est légal. Et qu'on soit là ou pas, l'immeuble sera construit. Notre présence, aujourd'hui, a pour but de poser une seule question : comment faire pour pouvoir lutter contre ça ?
Ce terrain est une dent creuse, elle a un parking à gauche, et une maison sur la droite, alors ils peuvent construire. En dénaturant le paysage. En détruisant une plage", complète Stéphane. "Nous, tout ce qu'on peut faire, c'est condamner ce genre de dérives. U troppiu Stroppia. Mes parents ont 50 ans, et déjà, ils ne reconnaissent pas leur Corse. Alors demain, à quoi elle va ressembler, si on continue comme ça ?"