Apprentis étrangers : un couple de patrons se bat pour Ibrahima, menacé d'expulsion

Alors que les métiers du bâtiment peinent à recruter, Alain et Véronique Écobichon, se mobilisent pour pouvoir embaucher Ibrahima. Malgré un CAP de carreleur et un titre de meilleur apprenti départemental, Ibrahima Barry est en effet menacé d'expulsion.

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Alain et Véronique Écobichon, gérants d'une entreprise spécialisée dans la pose de carrelage à Pontchâteau, étaient loin d’imaginer, qu’un jour, ils se prendraient la question de la politique migratoire en pleine face.

Ils ne pensaient pas devoir multiplier les courriers, solliciter leur député, la préfecture et même l’Elysée…et attendre fébrilement une réponse qui ne vient pas.

Tout cela pour avoir le simple droit d’embaucher le salarié qu’ils ont formé. Ibrahima, un jeune homme d’origine guinéenne. 

Un apprenti carreleur modèle, une fierté pour son patron

Alain, Véronique et Ibrahima se sont rencontrés en 2017.

"À l’époque, raconte Alain, j’ai été sollicité par une association pour prendre un jeune exilé en stage découverte dans le cadre d’un parcours d’insertion". Le stage est concluant. "Et je lui ai proposé un contrat d’apprentissage, validé bien sûr par le CFA et la chambre des métiers".

Ibrahima a quelques difficultés à parler le français mais Alain sent chez lui une forte envie de s’intégrer, "il a été très bien accepté par les compagnons, les salariés de l'entreprise, d’abord parce qu’il est très sympathique et surtout parce qu’il est motivé".

Alain ne s'est pas trompé. Ibrahima s'avère être un élève modèle, curieux, volontaire. 

Lors de sa deuxième année de CAP, le jeune garçon décide même de préparer, pendant le week-end, le concours de "meilleur apprenti de France". Le principe, chaque candidat planche sur le même ouvrage, seules les couleurs changent. Ibrahima obtiendra une médaille d'argent départementale.

"Il a donné de son temps pour ce concours. Des heures et des heures de travail, en dehors de l’entreprise, sur son temps libre. Il l’a fait parce qu’il avait envie que ses compétences soient reconnues mais aussi pour nous faire plaisir. Vous l’auriez vu avec sa médaille, tellement fier de la montrer à ses copains…et pour nous, quel bonheur !" se rappelle Alain.

Alors évidemment, lorsqu’en janvier 2020 tombe l’OQTF, l’obligation de quitter le territoire français, et donc l'interdiction de travailler, émise par la préfecture aux 18 ans d’Ibrahima, Alain et Véronique ne comprennent pas.

Le silence de l'administration 

"Nous on ne connaissait rien à toutes ces questions-là. Pour nous, dès lors que le CFA et la chambre des métiers avaient donné leur accord, qu’Ibrahima s’intégrait parfaitement, il n’y avait pas de problème" raconte Véronique.

"Tout se passait bien, insiste Alain. Ibrahima a obtenu son CAP, il, il avait même commencé ses études de Brevet Professionnel. Et puis tout s’est arrêté.

On l’a éjecté d’un contrat, d’une formation, de notre entreprise, sans nous écouter.  C'est incompréhensible pour nous.

Véronique et Alain Ecobichon

"Dès lors qu'un salarié est content dans une entreprise et que le patron est content de lui, ce qui est le cas pour Ibrahima, peu importe la nationalité ", poursuit Véronique.

Au début, le couple a essayé de faire valoir son droit à embaucher Ibrahima. En suivant les règles à la lettre. En gardant la foi dans le système. 

"Vous savez, on est des gens paisibles obéissants, on n'est pas des révolutionnaires dit calmement Véronique. Mais on est une équipe et Ibrahima en fait partie". 

On espérait arriver à se faire entendre en envoyant des courriers. J’ai écrit aux députés, à la préfecture, même à l’Elysée.

Véronique Ecobichon

"À tous, j'ai demandé que l'on prenne en compte la situation de l'entreprise. Il faut voir que ces derniers mois, l'activité a repris...mon mari est obligé de retourner sur le terrain car nous manquons de salariés depuis qu'Ibrahima ne peut plus travailler chez nous", raconte Véronique.

"Dans mon courrier, j'ai expliqué à la Préfecture que si nous avons formé Ibrahima c'est dans la perspective de l'embaucher. À la clé, il aura un contrat de travail, ça correspond à un vrai besoin...je n'ai même pas eu de réponse" .

Tentative de suicide

Face à l'inertie des pouvoirs publics, au refus de la préfecture de prendre en compte le contexte économique de leur entreprise, Véronique et Alain se raccrochent à l'espoir que la Loi Ravacley, du nom de ce boulanger de Besançon qui a fait la grève de la faim pour que son apprenti soit régularisé, soit votée. Peine perdue.

C'est un dramatique événement qui va précipiter l'engagement du couple. Et son souhait de médiatiser leur situation et celle d'Ibrahima.

"Depuis qu'il ne travaille plus chez nous, Ibrahima a des problèmes de sommeil. Le médecin lui a prescrit des anxiolytiques. Dans une volonté d'oublier ses problèmes, le mois dernier, il a pris toute la boite de médicaments, poursuit Véronique, aux urgences, ils m'ont dit qu'il avait fait une tentative de suicide". 

Là on est arrivé au bout du bout, c'est insupportable de voir quelqu'un que vous avez formé, que vous avez côtoyé au quotidien pendant deux ans, qui fait partie de votre équipe, tomber ainsi dans le malheur !

Véronique Ecobichon

Ibrahima, loin d'être un cas isolé

Parce qu'ils ne savent plus quel levier actionner, parce qu'ils sont las de ne pas être écoutés, le couple se rapproche de l'association Patron.nes solidaires.

C'est une toute jeune association, créée suite à la grève de la faim de Stéphane Ravacley.

Depuis le début de l'année, environ 80 patrons nous ont contacté pour nous faire part de leur impuissance et de leur souhait de garder leurs apprentis. C'est un vrai problème

Corentin Germaneau, co-fondateur de Patrons Solidaires

 " Notre objectif explique Corentin Germaneau, lui-même chef d'entreprise et co-fondateur de l'association, c'est de soutenir des patrons comme Alain et Véronique dans leurs démarches. Aujourd'hui, les préfectures ne font pas du droit mais de la politique. Ce que l'on défend, c'est que les employeurs de ces jeunes exilés puissent être des interlocuteurs face aux préfectures qui décident de leur avenir".

"Les patrons ont une valeur économique, ils engendrent des taxes pour l'état, poursuit Corentin Germaneau, ils forment des apprentis or, ils ne peuvent pas continuer à les faire travailler alors que cela correspond à un besoin. Ce n'est pas cohérent. Les régularisations sont possibles mais il faut que les patrons se décident à parler et à dénoncer ces situations. Nous, nous souhaitons faire entendre leur voix et lutter contre ce gâchis".

Gâchis, c'est ce même terme que souffle Véronique Ecobichon à propos d'Ibrahima. Depuis janvier 2020, dans l'impossibilité de travailler, le jeune homme vit en clandestin. 

"Vous imaginez la dextérité qu'il aurait si il avait pu continuer à poser du carrelage et de la faïence ?!" s'exclame Véronique, c'est avec le temps que vous arrivez à réaliser les ouvrages les plus délicats...ca s'apprend au contact des autres compagnons, dans l'entreprise...là, Ibrahima a perdu deux ans et nous aussi. Quel dommage !"

Samedi à Nantes, un débat discussion, en soutien à Alain et Ibrahima

L'association Patron.ne.s Solidaires sera sur Nantes pour une rencontre avec le président Stéphane Ravacley et Patricia Hyvernat, vice-présidente. Tous deux grévistes de la faim pour l'insertion des exilé.e.s dans le milieu professionnel.

Cet événement a pour but de soutenir Alain Écobichon, patron de Murs Sols Création, entreprise dans le carrelage à Pontchâteau, qui se bat pour la régularisation de son apprenti Ibrahima Barry.

L'objectif de cette rencontre publique est de donner la parole à d'autres patron.ne.s et apprenti.e.s qui vivent la même situation en Loire-Atlantique. Les acteurs et actrices de la vie administrative, politique et humanitaire liée à l'immigration seront invité.e.s à prendre la parole.

LIEU : LE SOLILAB / 8 RUE ST DOMINGUES - NANTES

QUAND : SAMEDI 20 NOVEMBRE 2021 / de 14h à 16h

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