Alors que le vendredi 21 janvier marque la journée mondiale des câlins, comment va-t-on après presque deux ans de pandémie ? Le point avec Rachel Bocher, chef du service de psychiatrie au CHU de Nantes.
Il y a eu le confinement dur du printemps 2020, celui, plus souple mais plus long, de l’automne 2020. Le couvre-feu, le masque, le pass sanitaire et la distanciation physique qui dure depuis bientôt deux ans.
Alors que depuis 1986, le 21 janvier a été décrété Journée mondiale des câlins par un pasteur américain, Rachel Bocher, chef du service de psychiatrie au CHU de Nantes nous aide à faire le point sur la manière dont le Covid et les gestes barrière ont affecté notre santé mentale.
Après deux ans de pandémie, quel est l’état psychologique dans la population ?
Au CHU, nous constatons depuis deux ans une très nette augmentation des patients qui sont jeunes, avec des demandes qui portent sur les troubles anxieux, les troubles dépressifs, les idées noires.
Nous rencontrons des gens qui n’avaient pas d’antécédents, mais qui souffrent d’une absence de visibilité sur leur avenir professionnel, affectif ou sentimental. Ce ne sont pas forcément de grosses pathologies, mais plutôt des patients qui vont présenter des équivalences dépressives sous la forme de somatisations douloureuses, manque de vitalité, troubles du sommeil ou du comportement alimentaire, ou encore des problèmes d’addiction.
Est-ce qu’on peut quantifier ce phénomène ?
Sur une consultation comme la nôtre, nous recevons environ 30% de demandes supplémentaires. C’est compliqué car nous pouvons répondre à une demande de soins, mais nous ne pouvons pas suivre tout le monde sur le long terme.
Cela veut dire qu’il faut trouver des relais, mais aujourd’hui, c’est compliqué. Les psychiatres sont saturés, les psychologues aussi. En septembre dernier, les assises de la psychiatrie ont permis de lancer une expérimentation pour rembourser les premières consultations chez les psychologues, mais je ne sais pas si ça a vraiment permis d’améliorer l’accès aux soins.
La grande différence avec le confinement de 2020, c’est qu’aujourd’hui, les gens sont en demande. Il y a deux ans, nous disions aux patients : "Il faut apprendre à venir nous voir, il faut apprendre à demander de l’aide". Aujourd’hui, ça y est, ils ont appris, mais le problème, c’est qu’on ne peut pas répondre à tous.
Dans cette crise sanitaire qui dure depuis deux ans, qu’est ce qui manque le plus à vos patients ?
Sans doute l’absence de visibilité. Les patients ne savent pas ce qu'ils vont faire au niveau de leur boulot. Lorsqu’ils ont des enfants, ils ne savent pas dans quel monde ces derniers vont grandir. Certains ne savent pas s'ils vont revoir leur famille, avec les restrictions liées au contexte sanitaire. L'incertitude est permanente.
C’était presque plus simple en 2020, quand il y a eu un confinement pendant deux mois. La situation paraissait sous contrôle, et les règles étaient claires. L'incertitude sur l’avenir, associée à un virus imprévisible, c’est cela qui donne un cocktail explosif.
Comme au printemps dernier, les jeunes ont-ils toujours du mal à se retrouver ?
Aujourd’hui, les jeunes sont dans la vie, ils font la fête. Du moins, la plupart d’entre eux ont la capacité de faire face. Mais il y a aussi ceux qui restent dans un état apathique, qui laissent le temps filer, sans prise sur le lendemain.
Ils ne font plus de projets, car il n’y a plus rien qui les accroche. Pour les adultes, lorsqu’on a peur, on peut quand même avancer. Mais à vingt ans, on ne sait pas toujours que les lendemains peuvent être meilleurs.
Les jeunes qui lâchent et qui font la fête vous inquiètent moins que ceux qui sont dans cet état d'apathie ?
Oui, mais c’est aussi parce que le variant Omicron fait aujourd’hui moins de dégâts que les précédents. Ce qu'il faut, absolument, c’est que les gens se vaccinent. Il faut pouvoir reprendre une vie normale.
Revoir les amis, la famille, se retrouver pour dîner, avoir des projets, voyager. Cela m'inquiète bien moins que des jeunes se retrouvent en soirée que de voir des personnes qui restent enfermés chez elles, avec cette peur ou cette phobie sociale née de la pandémie.
Il y en a beaucoup ?
Ce sont ceux que nous voyons passer dans le service de psychiatrie du CHU de Nantes. Souvent, c'étaient des jeunes prédisposés, qui avaient des difficultés scolaires ou des difficultés de contact.
La pandémie a renforcé ces défenses phobiques. Mais les choses peuvent se normaliser, car il s’agit de troubles réactionnels. Par contre, il vaut mieux qu'on les rencontre afin de pouvoir les aider à sortir de ces modes de défense obsessionnels, et de cette anxiété permanente qui les empêche d'avancer.
Il faut apprendre à vivre avec le risque lié au virus ?
Oui. Mais le risque est inhérent à la vie. Vous pouvez avoir un accident de voiture. La maladie n’est pas le seul danger. Les risques et les peurs, il y en a des milliers.
Face à la pandémie, nous avons les médecins, les gestes de distanciation, les vaccins, qui permettent de faire face. Pour beaucoup de personnes malades en ce moment, avoir le Covid se résume à une simple grippe. Vivre en société, c'est concilier les risques et les peurs.
Ce 21 janvier, c’est la journée mondiale des câlins. Depuis deux ans, le manque de contact se fait-il ressentir ?
Le médecin que je suis vous dira que le câlin, c'est indispensable. On a besoin d'être aimé pour grandir et pour vivre. Mais dans cette période difficile, on doit sélectionner. Oui, il faut faire des câlins à des gens de votre entourage très proche, les enfants doivent avoir leur part de câlins, c'est évident. Les grands-parents aussi.
Par contre, il ne faut pas commencer à aller faire des câlins à n'importe qui. L'affection et l'amour, ce sont des éléments forts et structurants. Il faut savoir les diffuser aux gens qu’on aime, mais sans se gaspiller.
Et pour les célibataires, les rencontres amoureuses ont-elles été empêchées par le Covid ?
Les jeunes patients que je rencontre ne m'en ont pas parlé. Ils y vont quand même. Je pense que ce sont surtout les personnes âgées qui souffrent de l'absence de contact. Elles sont d’autant plus isolées qu’on les a dit fragiles et qu’on a dit à la population de ne pas aller les voir.