Figure politique de Nantes et de Loire-Atlantique, économiste féru de culture, David Martineau impressionne par sa personnalité et fascine par l’agilité de son corps privé de membres. À travers son portrait, le documentaire "À Bras-le-corps" interroge notre rapport à la norme physique et notre regard sur la différence.
Plus qu’un film sur le handicap et l’inclusion, "À Bras-le-corps" est une réflexion politique. Pas seulement en raison des mandats exercés par David Martineau, ancien adjoint au logement puis à la culture à Nantes, aujourd'hui conseiller départemental de Loire-Atlantique en charge de l’habitat. Ou plutôt si, en remarquant ce qui ne figure pas dans ce parcours-là : une délégation sur les questions de handicap.
Élu au Conseil Municipal de Nantes en 2008 en même temps que lui, Ali Rebouh témoigne : "Moi j’étais le petit jeune beur et David la personne porteur de handicap. J’avais dit de façon feutrée que je ne voulais pas qu’on m’assigne aux questions de quartiers ou à l’immigration mais David lui a dit tout de suite "Moi je ne suis pas là pour être le handicapé de service".
Ce refus de l’essentialisation donne au documentaire de Laurent Boileau sa dimension sociétale. Et c’est par le sensible que le réalisateur a décidé de nous guider sur le chemin d’une introspection nécessaire. Dès les premières images, nous voilà interdits d’être indifférents, contraints de puiser dans nos ressources pour penser le corps de cet homme. Face à lui, dans le cadre de l’écran qui nous rassemble, pas de regard furtif, pas d’évitement possible. "À Bras-le-corps" est un film sur David Martineau et nous.
Pour autant, Laurent Boileau nous épargne le piège du voyeurisme, il préfère nous apprendre à regarder la dissemblance sans ciller. Pour ce faire, il équilibre son film entre le réel brut d’un corps hors-normes montré sans détours et la production de scènes oniriques où la peau d’autres corps se fait support pour accueillir la projection d'images sorties des archives personnelles et familiales.
Equilibre aussi entre les témoignages factuels du quotidien de David Martineau et les monologues que lui adresse à temps réguliers le performeur et poète Nicolas Vargas, pour que dans le tumulte des mots qui se cherchent dans sa voix, notre réflexion sur la différence se fraie un chemin.
Dos-à-dos avec Martineau dans une mise en scène dépouillée, Vargas s’interroge tout haut sur la curiosité qu’il suscite, sur la gêne aussi, points de départ possibles d’un récit commun à inventer qui suppléerait la sidération muette du regard. Il lance : "Qui tu es ? Comment tu fais ?" La question lui revient comme un boomerang : "Qui je suis ? Comment je fais ? Et toi ?" Le film peut alors démarrer sur les bases qui conviennent : égales.
On peut alors évoquer ce qui met David Martineau en mouvement, la vie politique. En charge du logement et de l’habitat au Conseil Départemental de Loire-Atlantique, il occupe la présidence du bailleur social Habitat 44 et celle du groupe majoritaire "44 à gauche" à l’assemblée départementale. L’action publique concrète et proche du terrain d’une part, la responsabilité de promouvoir et faire vivre l’union d’une gauche diverse d’autre part : deux faces complémentaires d’un engagement parvenu à maturité.
Parler et écouter vrai, il l’a appris au gré de ses mandats. Dans le quartier Malakoff de Nantes dont il a eu la délégation d'adjoint au Maire, il dit avoir mesuré le rôle capital de l’élu, "parfois dernier lien entre les habitants et la République". Durant son mandat d’Adjoint à la Maire de Nantes en charge de la Culture ensuite quand, novice dans le milieu il fait face au scepticisme, avec son parcours pas franchement du sérail qui l’avait emmené de l’OCDE à Bercy puis à l’INSEE.
Cette première relation qu’on peut avoir face au corps de David, c’est un éventail de questions
Phia Ménard
Phia Ménard, autrice et directrice de la compagnie Non Nova se souvient dans un sourire : "On s’est demandé, mais qui c’est qui ce mec ? Est-ce qu’on a mérité une punition ?" Quelques années plus tard et devenue son amie entretemps, elle lui sait gré "d’avoir su écouter, comprendre et faire un bilan. Du coup ça a fait bouger les lignes".
Faire comme tout le monde avec un corps différent
Avec la créatrice Nantaise, le réalisateur Laurent Boileau tient une passeuse de choix pour mettre en mots la façon dont nous regardons David Martineau. "Cette première relation qu’on peut avoir face au corps de David, c’est un éventail de questions" confie Phia Ménard. "Je me souviens en fin d’un premier rendez-vous, on sort fumer une cigarette et là, il y a cette fascination pour quelqu’un qui maîtrise parfaitement son corps. Pour moi qui travaille sur le corps, c’est d’évidence une relation qui se noue avec beaucoup de respect. Avec ce corps dans son étrangeté il nous montre qu’il ne cherche pas l’empathie, mais le dialogue, à être humain comme vous et moi".
La réflexion nous renvoie à la séquence inaugurale de "À Bras-le-corps", David Martineau visionnant sur l’écran d’un cinéma désert Elephant Man de David Lynch, et la tirade de John Merrick restée fameuse "I am not an animal, I am a human being… I am a man" ( "Je ne suis pas un animal, je suis un être humain… je suis un homme")
Devant la caméra de Laurent Boileau, la mère de David raconte les jours qui suivent sa naissance : "Quand il y a une naissance, il y a toujours un cadeau. Quand mon mari puis moi sommes revenus au travail, il n’y a rien eu. On m’a accueillie très gentiment quand je suis revenue travailler dans mon école, mais on ne m’a pas parlé de David, et il n’y a pas eu de cadeau. Ça montre la gêne par rapport au handicap".
Mais l’enfant fait avec son infirmité, empile les cubes à l’âge de 6 mois, joue avec les jouets de ses frères aînés, veut faire tout comme eux. Ses parents pensent l’aider en l’équipant de prothèses de jambes, mais à l’adolescence, il s’oppose, et renonce. "L’acceptabilité d’un handicap comme le mien passait par le fait de le masquer." Circulez, il n'y a rien à voir ?
"Cet appareillage n’était pas vraiment destiné à me faire développer une autonomie, tu as chaud, ça diminue tes mouvements. Les prothèses de jambes que je portais, plus je grandissais plus elles étaient hautes plus ton centre de gravité est élevé et plus c’est difficile de te déplacer avec". Un jour où ses parents étaient absents, il enterre les prothèses dans le jardin. Définitivement.
Ce n’est pas lui qu’on regarde, c’est nous
Faire avec son corps comme il est, c’est bien sûr faire comme tout le monde. Le fauteuil est un moyen de locomotion, pas une extension. "Tu es un homme maquillé de ferraille" lui dit Nicolas Vargas au milieu du film.
Une aisance du corps dont se souvient Guy Gillot, ancien principal adjoint du Lycée Stendahl de Nantes où le jeune David était scolarisé. "Il nous offrait la banalisation de son handicap. Il faisait avec et nous il fallait qu’on fasse avec aussi, pour qu’il grandisse".
Dans une séquence chorégraphique pudique et sensuelle, Laurent Boileau aborde la question de la relation amoureuse avec son personnage. "Aller séduire les jeunes filles quand on est adolescent et porteur de handicap, c’est moins simple que quand on est le beau gosse du lycée qui fait du surf avec ses grands cheveux blonds".
Mes enfants ont été des accélérateurs d’intégration, ils ne sont pas nés pour ça mais ils ont eu aussi ce rôle-là
David Martineau
Moins simple sans doute, mais pas impossible. David Martineau s’est marié, il a eu deux enfants, aujourd’hui jeunes adultes. "Mes enfants surtout quand ils étaient petits me ressemblaient comme deux gouttes d’eau et ça ne laissait aucun doute sur la façon dont ils avaient été conçus. Ils ont été des accélérateurs d’intégration, ils ne sont pas nés pour ça mais ils ont eu aussi ce rôle-là".
Des enfants qui se montrent d’un pragmatisme tranquille quant au handicap de leur père, entre inconvénients de certains lieux de vacances inadaptés, et avantage de ne pas faire la queue dans les parcs d'attraction. "Si j'invite des gens, je préviens ceux de mes amis qui ne l’ont jamais vu" confie sa fille en toute simplicité.
C’est que, comme le dit Phia Ménard "Le corps de David nous fait énormément travailler et c’est sa puissance, c’est un vrai miroir. Ce n’est pas lui qu’on regarde c’est nous, en nous disant : si on était ce corps, qu’est-ce qu’on vivrait ?"
"Je ne nie pas mon handicap insiste David Martineau, et quoi qu’on en dise il ne s’efface pas dans le regard des autres, je m’en rends compte à chaque fois que je prends le tram. Mais être handicapé, ce n’est pas un handicap pour la vie, on peut développer un projet de vie intéressant."
Dans une ultime séquence poétique, Nicolas Vargas et David Martineau dos à dos au début, côte à côte au milieu du film, se font face désormais. "C’est un film sur qui on est, sur ce qu’on montre, l’image de l’autre comme un cinéma" conclut Vargas. Ainsi s’accomplit l’ambition de "À Bras-le-corps" qui en moins d’une heure nous aura appris à voir en David Martineau un homme entier, un homme complet.
"A bras-le-corps", un film de Laurent Boileau
Une coproduction Nomades – France 3 Pays de la Loire
Diffusion jeudi 17 novembre à 22h45
Rediffusion à 9h05 le vendredi 18 novembre
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