DOCUMENTAIRE. Sur terre ou ailleurs, éloge de la jeunesse de Nantes et du Monde

Réunis autour d’un projet de spectacle, jeunes Nantais et jeunes exilés croisent les récits de leurs parcours. Le réalisateur Marc Picavez les a suivis dans cette création sensible. Son documentaire "Sur Terre ou Ailleurs" est diffusé lundi 25 octobre sur France 3 Pays de la Loire.

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Autoportrait d’une jeunesse invisible qui ne compte plus le rester très longtemps !

Ce lundi 25 octobre vers 22h45, dans la case documentaire "La France en vrai" les 13 antennes régionales de France 3 donnent la parole à la jeunesse de toute la France dans une collection documentaire inédite, Jeunesse (in)visible. 

13 autoportraits de ces jeunes des zones rurales qui déploient des trésors d'inventivité pour émerger dans une société qui les marginalise.

Près de deux jeunes sur trois grandissent loin des métropoles, au risque de l’isolement et du manque d’horizon. Parmi eux, 60 % habitent des villages, des zones pavillonnaires ou des villes moyennes. Qu’est-ce qui unit ces enfants du Lot, du Puy-de-Dôme ou des Vosges ? Pour eux, tout est plus complexe, les codes, l’accès aux entreprises, aux transports, aux études, aux loisirs, à la projection de soi dans la société. Pourtant, comme tous les autres jeunes du pays, cette jeunesse rurale se met en scène sur les réseaux sociaux et cherche à rester en prise avec la société. 

Sur terre ou ailleurs, de Marc Picavez

C’est par un long mouvement panoramique qu’on les découvre : sur un plateau, un spectacle se crée. Une jeune femme à la guitare électrique improvise quelques notes, deux DJ les enveloppent de nappes sonores. En fond de scène, une projection vidéo fait office de décor. Une dizaine de jeunes danseurs explorent l’espace, dirigés par la chorégraphe Anne Reymann. L’énergie monte, les gestes s’accélèrent, un groupe prend forme dans le mouvement de la danse.

C’était l’été de l’année 2019 et cela semble si loin. En résidence au Théâtre Universitaire (TU) sur un campus Nantais déserté, ces jeunes et moins jeunes de 16 à 30 ans inventent un récit inspiré de leurs vies. Qu’ils commencent dans un quartier Nantais ou qu’ils soient marqués par la violence d’un exil, leurs parcours respectifs se rejoignent ici et maintenant, sur cette scène où il s’agit de se révéler comme un groupe, une génération. "Avec vos individualités, parcours et cultures différents, il vous reviendra de construire le monde de demain ensemble, et vous avez plein de choses à raconter pour demain" leur assène la vidéaste Catherine Charlot.

C’est elle qui les a réunis dans ce projet artistique qui allie danse, musique, poésie et art numérique. Catherine est sur tous les fronts, avec le collectif  Marie et Alphonse qu’elle anime et qui propose aux jeunes Nantais des quartiers Nord des formations numériques et des rencontres avec les métiers de l’image et du spectacle.

Dans ce cadre, le labo-école Renga développe des projets de création au croisement de la culture numérique et de la danse. Il tire son nom d’une forme poétique japonaise antérieure au Haïku, écrite à plusieurs auteurs. Le spectacle, construit avec l’apport des jeunes d’ici et d’ailleurs sera baptisé Renga 5-7-5

Catherine Charlot est aussi une militante investie dans l’aide aux jeunes exilés en quête de régularisation et dénués de tout : hébergement, démarches administratives, elle est un point d’appui pour beaucoup. Un point d’ancrage surtout pour l’un d’entre eux, Charles.

Originaire de Douala au Cameroun, Charles s’est posé à Nantes à 17 ans après avoir traversé plusieurs pays d’Afrique, être passé en Espagne via Ceuta. Garçon timide, orienté dans des études qui ne lui conviennent pas, Charles vivait un peu à l’écart des autres mais dès le début du projet se révèle être un danseur talentueux. Et s’il devenait danseur professionnel ?

Filmé dans ses évolutions à roller toutes en élégance, scandant en voix-off pour lui-même une résolution poétique, Charles s’affirme pourtant : "Je suis celui qui au départ ne connaît rien, mais qui persiste. Regarde le public, ce sont les tiens. Petit à petit, ton histoire se dessine. Hier n’est pas comme aujourd’hui, aujourd’hui ne sera pas comme demain."

Comme le suggère son titre "Sur terre ou ailleurs", le documentaire de Marc Picavez nous rappelle l’urgence pour la jeunesse de trouver une place, conforme à ses valeurs et à ses aspirations.

Le tournage du film avait commencé avant la pandémie, mais les préoccupations, pour ne pas dire les angoisses de la génération née après 2000 étaient déjà là : constat de nombreuses injustices, crainte de l’effondrement, difficulté à s’émanciper. "Comment tu veux que je m’accomplisse ?" confie Sahra à une amie, sur les hauteurs de la butte Sainte-Anne à Nantes. Sahra voudrait dire à ses parents qu’en amour elle préfère les filles, mais elle n’y parvient pas. "Ne pas oser dire quelque chose, ne pas oser porter quelque chose, c’est le comportement d’un enfant à vis  à vis de ses parents." peste-t-elle contre elle-même.

Sahra est la figure marquante du film, et une pièce essentielle du projet Renga 5-7-5. Elle a grandi à Roubaix, sa famille a déménagé à Nantes l'année de ses 15 ans. Les mots lui viennent facilement, dans la conversation comme dans l’écriture. Elle slamme, rime, chante, veut devenir une star, pour la scène elle s’est rebaptisée Sahara. Elle a 20 ans, sa détermination lui a permis d’enregistrer un premier EP et de se produire au festival Tissé Métisse à la Cité des Congrès de Nantes en 2019. Pourtant derrière cette assurance se cache une jeune femme qui se débat dans des questionnements intimes douloureux où ses choix amoureux et la relation à sa mère tiennent une grande place.

"C’est vraiment bizarre la vie sur Terre" lâche Sahra en allumant une cigarette, assise sur un muret. "Sur Terre ou ailleurs je suppose" répond la copine.

Par petites touches, Marc Picavez passe de la voix douce de Charles à l’exubérance de Sahra, de séquences de groupe en répétition à des scènes plus intimes : le temps d’un repas partagé dans un hébergement collectif, Charles et Iassaga évoquent une enfance dont on est à sorti brutalement le jour où on a quitté ses parents et bravé tous les dangers ; Sahra quant à elle prend date : "Un jour je serai libre, je ne peux pas laisser ce jour ne pas arriver". Le premier confinement quelques mois plus tard viendra bouleverser ses plans, et fragiliser plus généralement toute la jeunesse.

Car c’est bien une génération entière qui a été frappée de plein fouet par la pandémie, survenue durant le tournage du documentaire, comme si une prédiction sombre sur l’avenir de la planète s’accomplissait brusquement. Un mal pour un bien ? "Peut-être qu'enfin mon existence commence" confie Sahra à Catherine dans un échange par Skype. "Au cours de ma vie je vais vivre de grands évènements historiques, l’épidémie de coronavirus sera le premier." assure-t-elle.

Joué avec succès à la rentrée 2019 au TU de Nantes, puis au Centre Chorégraphie National (CCN) lors du festival Trajectoires, le projet Renga 5-7-5 portait en sous-titre "éloge de la jeunesse".

C’est également le propos de "Sur Terre ou Ailleurs" qui en l’espace de 52 minutes parvient à saisir l’énergie et les doutes de ces jeunes femmes et jeunes hommes qui se demandent si ce monde leur appartiendra un jour, oiseaux poussés hors du nid comme Charles ou hésitant à s’envoler comme Sahra coincée entre l’enfance et le monde des adultes.  

Désarmants et désarmés, ils incarnent les années 20 de notre siècle, le vingt-et-unième.

durée de la vidéo : 00h07mn11s
©France Télévisions

Sur Terre ou Ailleurs un documentaire de Marc Picavez produit par Les Films du Balibari.

 

 

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