Pierre-Laurent Ledoux, réalisateur du documentaire "Les murmures du Palais", nous livre son témoignage sur le tournage particulier de ce huis clos dans le quotidien de deux juges aux Affaires Familiales du Tribunal de Nantes. À voir le lundi 29 Janvier après le Grand Soir/3.
Au cœur des séparations, le tribunal de Nantes nous ouvre ses portes et son quotidien. Deux juges ont accepté de dévoiler les dessous de leurs audiences au réalisateur Pierre-Laurent Ledoux, qui a accepté de répondre à nos questions. Entre l’enchaînement des dossiers et la volonté d’une écoute attentive, les protagonistes tentent de rendre la justice des Affaires Familiales. Pris par un retard conséquent mais soucieux de ces histoires intimes, ils jugent chaque jour de ces tranches de vies qui pourraient être les nôtres…
- Pourquoi s’être concentré exclusivement sur la juridiction des Affaires Familiales ?
Mon intérêt pour les affaires familiales a sans doute été guidé par ma propre histoire personnelle. Choisir plusieurs juridictions, c’était prendre le risque de se perdre, de vouloir trop en dire et de ne rien raconter du tout. Il faut savoir que les affaires civiles représentent la majeure partie du travail d’un tribunal et que les affaires familiales représentent une grande partie du contentieux civil. Les affaires familiales, c’est un juge, un greffier et un petit bureau qui reçoit un certain nombre de confidences. Une très grande proximité en somme, une atmosphère qui nous éloigne des fantasmes de l’imagerie commune qui voudrait comme au pénal (médiatiquement plus représenté), que le juge officie dans une grande salle d’audience coincé derrière son estrade. Les affaires familiales, c’est aussi vous, moi, votre voisin, votre frère ; un condensé de notre société, de ses difficultés sociales, éducatives, économiques… c’est-à-dire monsieur et madame tout le monde.
C’est riche d’idées, d’émotions, de difficultés mais de solutions aussi.
N’importe qui peut être touché directement ou indirectement par la séparation et tous ou presque nous avons connu la fin d’une relation. A un moment du film, un des personnages déclare : « la famille, c’est important pour la plupart d’entre nous ». Le nœud du problème est là, je crois, la famille, c’est le privé, l’intime, ce que parfois vous ne raconteriez même pas à votre meilleur ami. Alors imaginez, devoir en faire étalage même brièvement, même succinctement devant un juge, un parfait inconnu, c’est très dur, il me semble. Et si vous deviez juger de cette intimité, comment jugeriez-vous ? C’est une question que je me suis posée. Comment la loi, son cadre et sa rigueur nécessaires faisaient pour accueillir cet affect. Un autre personnage du film m’a dit : « on n’a pas la prétention de dire la vérité, on a une vérité judiciaire qui est celle du dossier et de ses pièces ». Je pense que c’est important de garder ça à l’esprit. Pour être juge aux affaires familiales, je crois qu’il faut beaucoup plus que bien connaître la loi. On décrit parfois notre institution judiciaire dans les médias (aucune institution n’est parfaite), mais on ne regarde pas d’assez près les personnes qui la composent. Moi, c’est ça qui m’intéresse, les gens, ce qu’ils sont. Et les juges que j’ai rencontrés, ils ne sont sans doute pas parfaits non plus, mais je crois qu’ils ont quelque chose de profondément humain, une écoute, une forme de finesse… Et c’est ce qui les rend attachant, loin d’une image conventionnelle. J’ai l’impression qu’il faut bien connaître la loi et avoir ce petit plus pour pouvoir être juge aux affaires familiales. Après, je ne suis pas juge et je me garderais bien de parler pour eux, mais ce que je peux vous dire, c’est que si on s’approche suffisamment des personnes, des juges comme des justiciables ou des avocats, ils ont tous quelque chose à nous apprendre, à nous transmettre… Il y avait tout ça aux affaires familiales, cette diversité complexe, et c’est ce qui m’a attiré voilà tout !
- Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors du tournage ?
Comment vous dire…, je ne sais pas si ce sont les difficultés lors du tournage qui sont les plus importantes. Le plus dur se passe en amont, juste avant. Ce n’est pas évident de trouver un Palais, un juge qui vous ouvre ses portes, surtout qu’on ne fait pas toujours bonne presse à la justice. Et puis, les audiences des affaires familiales ne sont habituellement pas filmables. Alors, il faut tenter de convaincre et de fédérer tout un ensemble de personnes autour d’un projet de film. C’est valable pour tout documentaire et ce n’est pas toujours simple. Après, pour ce qui est du tournage, il faut savoir que les justiciables n’étaient pas prévenus à l’avance de notre présence pour conserver le naturel et la spontanéité du réel. Une affiche d’information était posée sur la porte des juges et nous prenions un peu de temps avant l’audience pour expliquer le projet aux justiciables. Du coup, nous nous sommes souvent retrouvés à la porte du bureau à attendre qu’un couple accepte notre présence. Je m’étais douté qu’il ne serait pas évident d’avoir l’accord des couples, c’est pourquoi j’ai filmé plusieurs jours d’audiences sur une durée d’un mois pour avoir suffisamment de matière. Ensuite, pour les rencontres avec les avocats ou les médiations, il fallait que les deux parties acceptent et réussir à trouver une date dans notre période de tournage. Il est plusieurs fois arrivé à Chloé Renault (l’assistante de réalisation) qu’une personne se rétracte ou qu’une date change, ce qui ne permettait pas d’avoir un planning de tournage stable. Mais c’est un peu ça aussi le documentaire, l’imprévu du réel qu’on cherche à capturer et auquel il faut s’adapter…
D’un point de vue plus technique, le plus important, c’était de respecter les justiciables, de veiller constamment à leur anonymisation et de ne pas gêner le travail des juges.
J’avais imaginé un dispositif « d’ombres chinoises », des couples toujours filmés de dos. De cette manière, ils étaient préservés et je donnais au spectateur la possibilité de se projeter à travers eux. Pour Nicolas Contant (le chef opérateur) et moi-même, l’évidence, c’était d’utiliser deux caméras. La première filmerait les juges de face et la seconde, plus mobile, irait chercher l’imperceptible dans ces couples filmés de dos. Ce n’était pas un choix facile, le bureau d’audiences est assez petit et il n’y a aucune place pour se dissimuler. Deux caméras, cela faisait remarquer notre présence mais comme les gens nous faisaient dos, ils ont fini assez vite par nous oublier. De plus, l’espace étant réduit, nos mouvements étaient considérablement limités ; il y a eu quelques ratés au début puis nous nous sommes adaptés. La même question s’est posée avec Raphaël Bigaud (l’ingénieur du son), percher ou équiper les justiciables de micros était impossible car trop intrusif. On a d’abord pensé à poser des micros dans le faux plafond mais ça n’était pas faisable alors on a trouvé une autre solution qui offrait un confort de travail plus compliqué mais qui permettait d’avoir suffisamment de son. L’idée générale, c’était d’utiliser le moins d’équipement possible et de se faire très discret. Je crois qu’on a plutôt bien réussi.
- Quelle histoire familiale ou anecdote vous a particulièrement marquée lors du tournage ?
J’ai bien quelques anecdotes marquantes mais elles appartiennent à des personnes qui n’ont pas souhaité être filmées alors je préfère ne pas les révéler ici. Sinon, la plupart des histoires qui m’ont happé sont dans le film, il faut le voir !
Lorsqu’on rentre pour la première fois dans une audience et que l’on est un néophyte en justice, on est surtout alpagué par la rapidité et l’enchaînement des dossiers.
C’est assez difficile de suivre, il se passe énormément de choses, je n’ai pas accès aux pièces du dossier et les personnes ne racontent que des brides de leur histoire… Au départ, on remarque les personnes qui s’expriment le mieux où celles qui paraissent très affectées, et on peut être assez convaincu. Puis, vous vous adaptez au rythme, vous arrivez à cibler des problèmes et des situations récurrentes, à entrevoir des réponses, et il vous apparaît que c’est très délicat de juger. J’ai été assez admiratif de l’investissement des juges, c’est une des choses que j’ai notées. En ce qui concerne les affaires, vous rendez compte assez vite que même s’il y a de grandes similitudes et que certaines questions reviennent souvent, elles sont toutes singulières. Avec François Tourtet (le monteur), on a essayé de rendre ça, cette richesse et cet enchaînement continu. Je ne sais pas si nous avons réussi, mais c’est ce qui m’a marqué, une cadence soutenue, une diversité et une émotion un peu contenue… Voilà, si j’ai été touché personnellement par quelque chose, ce serait un peu par tout ça.
Diffusions
- Lundi 29 janvier après le Grand Soir/3 sur France 3 Pays de la Loire, Paris Ile de France et Auverge Rhône-Alpes- Vendredi 2 février à 8h50 sur France 3 Pays de la Loire
Disponible en replay durant 1 mois sur notre site.