Dans son rapport de 2024, l'association des Petits Frères des Pauvres alerte sur le nombre croissant de personnes âgées pauvres. Si les Pays de la Loire s'en sortent moins mal que d'autres régions, il y a quand même, derrière de nombreuses portes, des misères affectives, matérielles et sociales souvent silencieuses.
Jean-Michel Bortone aime laisser la porte de sa chambre ouverte. Espérant sans doute qu'une visite viendra rompre sa solitude dans cet établissement de convalescence, au nord de Nantes.
Après une opération à la jambe gauche et une chimiothérapie, il attend ici de savoir ce qu'il va advenir de lui. Il était jusqu'à maintenant dans une résidence pour personnes âgées, son avenir s'écrira ensuite dans un EHPAD. Il n'a pourtant que 67 ans. Mais son état de santé ne lui permet plus de vivre seul.
"On se prive de tout"
Jean-Michel vit avec une retraite de 970 €, aides de l'État comprises. Lorsqu'il était dans son précédent logement, avant cette opération, après avoir payé son loyer et les charges, il ne lui restait que 40 € les bons mois.
"On se prive de tout, dit-il. Je n'achète plus de fringues, mais je m'en fous. Ça devient une habitude." L'important pour lui, c'est de rester propre.
"J'avais une chaîne en or. J'ai tout vendu, raconte-t-il. Comme disait mon père, quand tu as un plat de pâtes et un toit pour dormir au-dessus de ta tête, que demander de plus ?"
D'origine italienne, l'homme a vécu à Marseille puis en Italie, dans les Pouilles. Baroudeur, accumulant les petits boulots, il a fini par revenir en France.
"Le baroudeur était fatigué et a trouvé un endroit pour se reposer" dit-il.
Jean-Michel est devenu fataliste. Il fait partie de ces personnes de plus de 60 ans qui vivent sous le seuil de pauvreté et qu'accompagne l'association des Petits Frères des Pauvres.
Deux millions de personnes âgées pauvres
En France, 2 millions de personnes âgées de plus de 60 ans vivent sous le seuil de pauvreté (1216 € mensuels pour une personne seule).
C’est l’une des conclusions du rapport 2024 de l’association des Petits Frères des Pauvres qui, chaque année, dresse un état des lieux de la pauvreté chez les seniors et les personnes âgées.
Parmi ces personnes, plus des deux tiers (69 %) a dû se passer dans l’année soit de chauffage, soit de nourriture, soit de rencontres, faute de moyens.
Le taux de pauvreté des personnes âgées en hausse
Cette pauvreté dans la population de plus de 60 ans est un phénomène qui a toujours existé, certes, mais l’inquiétude porte sur le fait qu’elle se développe depuis quelques années.
"Après s’être stabilisé pendant plusieurs années autour de 8 %, le taux de pauvreté des personnes âgées est en hausse depuis 2015 pour atteindre aujourd’hui les 11 % et jusqu’à 18 % pour les aînés vivant seuls", constate l’association des Petits Frères des Pauvres.
Personne ne devrait faire de son repas une variable de son ajustement économique.
Emilie SarrazinDirectrice Fraternité régionale Ouest
En Pays de la Loire, l'association estime que la proportion de personnes de plus de 60 ans vivant sous le seuil de pauvreté est inférieure à la proportion nationale. Mais les chiffres sont biaisés par le nombre de retraités plus aisés venus s'installer dans l'ouest.
Un isolement de plus en plus fort
Pourtant, cette pauvreté est bien là, qui augmente ici aussi, mais n'est pas toujours visible.
"Il y a des ruptures familiales, professionnelles, de santé, parfois les trois à la fois, explique Emilie Sarrazin, directrice régionale ouest des Petits Frères des Pauvres. Il y a un isolement de plus en plus fort des personnes âgées qui crée des situations de précarité."
Ceux qui dénoncent les fraudes aux aides sociales feraient bien de mettre en face de ce chiffre celui des aides qui ne sont pas réclamées et qui est bien supérieur.
"On s'est rendu compte que certains ne déclenchent pas tous leurs droits à la retraite, explique Emilie Sarrazin. Ne pas déclencher des aides, c'est une forme de résignation."
L'isolement accentue la pauvreté
Il y a parfois de la pudeur à ne pas faire état de sa pauvreté, mais il y a aussi les travers d'une société de plus en plus numérisée qui dresse des murs, faisant d'une demande d'aide un parcours du combattant truffé de pièges. Et il y a aussi des situations toutes bêtes. Des problèmes auditifs, pas de mutuelle pour s'équiper d'appareils et donc, l'impossibilité de prendre son téléphone pour faire valoir des droits.
Et l'isolement est une donnée de plus. Car si la pauvreté facilite l'isolement, à l'inverse, l'isolement facilite la pauvreté. On ne rencontre plus personne, on n'est plus dans les circuits de solidarité, d'aide aux démarches.
"Je ne savais pas qu'on pouvait être aussi seul, avoue Emilie Sarrazin qui est arrivée il y a un an et demi à la direction des Petits Frères des Pauvres dans l'ouest. Ce sont des gens qui subissent leur vie, que la vie a cognés, mais qui ont une dignité admirable." Et de citer une personne âgée rencontrée récemment et qui lui a avoué : "J'ai 12 euros de reste à vivre chaque mois. Ça va."
"Ils n'ont pas pu sortir la tête de l'eau de leur vie."
Selon ce qu'elle a pu constater, il y a chez ces personnes âgées pauvres beaucoup de profils différents. Beaucoup de femmes au parcours de vie professionnelle un peu haché, notamment des femmes d'agriculteurs en Mayenne. "Beaucoup sont nés dans la pauvreté. Ils n'ont pas pu sortir la tête de l'eau de leur vie", résume-t-elle.
Emilie estime qu'il faudrait faire systématiquement le point en fin de carrière pour expliquer ce à quoi on peut avoir droit.
Relever le minimum vieillesse
Dans ses préconisations, l’association des Petits Frères des Pauvres demande de relever le minimum vieillesse. Il faut savoir que ce minima social est aujourd’hui inférieur de plus de 200 euros au seuil de pauvreté.
L’association évoque également les difficultés que rencontrent les personnes âgées pour avoir accès à leurs droits du fait d’une administration qui se numérise de plus en plus, d’interlocuteurs difficiles à joindre, d’outils non adaptés et propose "d’améliorer la formation des agents France Services et des secrétaires de mairies à l’accueil des personnes âgées."
"J'en ai marre !"
Jean-Michel aimerait bien récupérer son matériel informatique resté dans le logement qu'il occupait avant son hospitalisation.
Mais ce qui lui manque le plus, dit-il, c'est une compagne "pour ne pas se retrouver tout seul dans une pièce. partager les peines et les bons moments".
"Dans 10 ou 20 ans, je vais dire amen à tout le monde. J'en ai marre" souffle-t-il.
"Ce qui est fou, c'est la charge mentale qu'il faut pour s'en sortir dans ces situations", constate Emilie Sarrazin qui veut cependant garder espoir, même si elle constate qu'il n'y a pas de ministre des personnes âgées dans le nouveau gouvernement.
"Il faut inventer, conclut-elle, des nouvelles formes de solidarité, des nouvelles façons d'habiter, des nouvelles formes d'aides. On est tous capables de faire un peu de prévention par rapport à ça."
Dans l'ouest de la France, il y a une donnée qui aide à ralentir le phénomène de paupérisation des personnes âgées : le tissu associatif. Une richesse qui vaut de l'or.
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