L'expérience a été plus qu'impressionnante pour Ronan Moinet. Cet artiste a passé une semaine, sur une petite plateforme, en haut d'un très vieux chêne dans le jardin du Grand Blottereau à Nantes. Seul... enfin, pas si seul que ça.
Lorsqu'il en parle, on sent que Ronan n'est pas encore tout à fait revenu parmi nous.
Pendant sept jours, celui qui se définit comme auteur-artiste-interprète, a vécu dans le houppier d'un chêne, dans une zone interdite au public du plus grand parc de Nantes, le parc du Grand Blottereau, à l'est de la ville.
Il y avait installé une plateforme de 3 mètres de diamètre (le sol d'un trampoline) avec pour seul abri, au dessus, une petite toile de tente et un hamac.
Sept jours sans communication avec les hommes. "Une expérience performative" que décrit Ronan Moinet avec beaucoup d'émotion et d'enthousiasme. Et pourtant, ce ne fut pas toujours un Eden méditatif.
"Comment un arbre perçoit le monde ?"
Ingénieur agronome de formation, Ronan Moinet, 32 ans, a migré vers l'artistique et ce sont deux rencontres littéraires qui l'ont fait imaginer ce voyage sylvestre.
Philippe Descola tout d'abord. "Mes observations sur le terrain auprès des sociétés amérindiennes d’Amazonie m’ont amené à constater que ces populations ne faisaient pas de distinction entre la nature et la société, les non-humains y sont vus comme des personnes", expliquait en juin 2020 cet anthropologue dans le journal du CNRS.
Abraham Poincheval ensuite. L'artiste alençonnais est spécialiste des expériences d'enfermement. "Autant de moyens d’explorer le monde et la nature humaine", dit-il.
"Je lisais tout ça cet hiver, raconte Ronan Moinet qui a voulu vivre sa propre expérience de mise à l'écart de notre quotidien bien terre à terre. Et j'ai voulu faire le lien entre les deux. Comment un arbre perçoit le monde ? Je voulais me mettre, pas à la place, pas sur, pas à côté, mais avec un arbre."
L'auteur-artiste-interprète a donc pris contact avec le service des espaces verts de Nantes qui lui a proposé de vivre son "expérience performative" en haut d'un chêne plus que centenaire, isolé, loin du public, dans la zone de production du parc du Grand Blottereau.
A près de 25 mètres de hauteur, Ronan a vécu du 19 au 26 avril, sans communiquer avec ses semblables si ce n'est un drapeau jaune qu'il hissait le matin et un drapeau rouge le soir, pour faire savoir que tout allait bien.
"Les écureuils étaient à un mètre de moi"
"J'ai le sentiment que pour changer notre rapport au vivant, il faut questionner sa place aux côtés des autres êtres vivants" explique Ronan qui a vécu dit-il, "plein d'histoires avec des écureuils et des Pique-épeiches", cet oiseau que l'on entend parfois frapper l'écorce de son bec pour y repérer les insectes dont il se nourrit. "A la fin, raconte Ronan, les écureuils étaient à un mètre de moi, sur la branche d'à côté."
Pour son séjour dans le houppier, notre voyageur immobile avait emmené des provisions, mais pas de festin. "C'était frugal, dit-il, mais c'était bien."
Que restera-t-il de ces sept jours extraordinaires pour ce passionné du végétal mais aussi de musique (avec Thomas Cochini, son comparse de La Botanique) ? Une série d'enregistrements sous la forme de podcasts pour lesquels Ronan cherche l'appui d'un producteur. "J'aime beaucoup raconter des histoires et partager, dit-il. J'ai une grande volonté de partager ce qui s'est passé."
De quoi donner envie de grimper aux arbres. Quoique.
"J'avais envie de crier"
On se souvient de l'orage qui a frappé la région et notamment Nantes dans l'après-midi du dimanche 24 avril. Et Ronan était en haut de son chêne. Il a entendu puis vu l'orage arriver. Il était bien placé. Trop bien.
"Je comptais le temps entre les éclairs et le tonnerre, raconte-t-il, comme on le fait en montagne. 10 secondes, puis 8 secondes, puis 4 secondes. Ça sentait un peu le roussi. J'ai vu que les oiseaux qui habitaient là se sont tous barrés."
L'artiste a alors sérieusement réfléchi à la suite de son expérience. Devait-il faire comme le végétal qui ne peut fuir et rester planté là, au risque de servir de paratonnerre ?
"Il y a eu un éclair qui a pété pas loin, se souvient-il, encore impressionné. L'air tremblait. J'ai fini par descendre. J'avais envie de crier, j'avais les larmes aux yeux."
Lorsque le danger s'est écarté, Ronan est remonté. Trempé. "J'ai passé une nuit suivante assez longue et horrible".
Mais cela faisait partie de l'expérience.
"Le rapport au temps, explique Ronan Moinet, est assez objectif dans nos journées, mais quand on vit sous les éléments, une journée, ça peut être quatre journées à la fois, pluie, soleil, orage..."
Pendant ces sept jours, Ronan a eu l'impression de partir à l'autre bout du monde, dans la forêt amazonienne avec pour voisins, des arbres, des oiseaux, des insectes et un peu des bruits de la ville.
Et la certitude que l'arbre perçoit aussi l'être humain.