Certains pensent que c'est une banque réservée aux agents municipaux, d'autres que cet établissement finance des infrastructures communales. Faux. Le crédit municipal autrefois appelé "le mont de piété" ou encore "le clou", est un service bancaire qui délivre du cash contre le dépôt d'un bien. Celui de Nantes a été créé il y a deux siècles !
Elle est assise dans la salle d'attente. Serré sur ses genoux, son sac à main. À l'intérieur, les bijoux de la famille. Notamment une broche dont elle espère tirer grand prix.
C'est la deuxième fois qu'elle vient ici. Cette dame, retraitée, qui ne voudra pas même nous glisser son prénom de peur qu'on la reconnaisse, ne cache pas, en revanche, ses difficultés financières. "Avec mon mari, lui aussi retraité, on a beau économiser sur tout, on n'y arrive plus..."
Sa volonté de discrétion, c'est parce que son fils, bientôt trentenaire, qu'elle héberge ne sait pas qu'elle vient "au clou" pour récupérer des sous.
Elle a honte. Honte de ne pas réussir à boucler les fins de mois. Honte de devoir se séparer, pour un temps, des quelques biens hérités de sa famille. Et en même temps, quelle autre solution s'offre à elle ?
Myriam, elle, en a fini avec cette honte qui la tenaillait au début. Elle fréquente le crédit municipal depuis sa vingtaine. Elle a beau travailler, gagner 1500 euros par mois, elle y revient plusieurs fois par an. Notamment au moment de la déclaration d'impôts.
Aujourd'hui, c'est son anniversaire. Myriam a besoin d'argent pour organiser une petite fête, acheter un gâteau...se faire plaisir.
Ce qu'elle apprécie ici, "c'est l'accueil, le coté humain des gens" qui vont évaluer son bracelet et ses bagues, puis lui donner l'argent correspondant à la valeur des objets. Elle espérait 250 euros, elle en obtiendra 280 à la faveur d'un cours de l'or qui n'a jamais été aussi haut depuis des décennies. Une somme qu'elle s'engage à rembourser dans les six mois au taux d'intérêt de 0,82% par mois.
Dépanner les personnes en difficultés financières
C'est cela le crédit municipal. Un recours financier pour les plus fragiles...mais pas seulement. "Pour certains, nous sommes une banque. Ils nous utilisent comme telle, pour retirer de l'argent, parfois pour compléter un prêt bancaire dans le cadre d'un projet " explique Jean-François Pilet, le directeur du crédit municipal de Nantes et de ses agences (situées à Rennes, Tours et Angers). " Une fois, un chef d'entreprise est venu déposer des lingots d'or, il y en avait pour 160 000 euros. Là, typiquement, c'était pour financer un projet économique, un investissement...mais ce type de dépôt est anecdotique et reste extrêmement rare ".
De fait, sur les 10 000 prêts en cours recensés par le crédit municipal de Nantes, le gage moyen est de 900 euros et à 90% il se fait contre un dépôt de bijoux. "C'est en quelque sorte un service public" poursuit-il.
Un service public bancaire doté d'une éthique.
Les taux de remboursement sont ici particulièrement bas. Comme l'indique Christophe Bonneau, responsable du service de prêts sur gages, " nous ne sommes pas là pour juger les gens, et le but ce n'est pas de faire de l'argent mais de les dépanner et si nos clients ont du mal à rembourser nous leur proposons aussi de rallonger leur délai de remboursement ".
Le crédit municipal, un miroir d'une société qui se précarise
Au moment de la pandémie, confinement oblige, le crédit municipal a vu les demandes de prêt sur gage baisser de 7%. Normal, les gens, ont largement réduit leur consommation. Mais depuis l'été 2021, les demandes affluent de nouveau.
La faute à l'inflation ? "Il est encore trop tôt pour le dire. mais il n'est pas impossible que cela prenne la tournure de ce qui s'est passé après la crise des subprimes en 2008 où il y avait eu une augmentation très forte sur toute la France" décrypte Jean-François Pilet.
"Par le prêt sur gage, on voit les difficultés de nos concitoyens...et en ce moment, force est de constater que nos services fonctionnent plutôt bien. Il y a une tendance à l'augmentation du nombre de prêts. C'est un signe. On le voit aussi dans l'autre domaine que nous gérons : le micro-crédit. Nous sommes contraints d''accepter moins de dossiers du fait de la dégradation des situations individuelles".
Que deviennent les biens prêtés?
Bijoux, tableaux, chandeliers, grands crus, petits meubles...sont entreposés dans un coffre fort, le temps que les propriétaires viennent les reprendre.
Neuf clients sur dix, viendront rechercher leurs objets. "Les gens y tiennent, ils ont souvent une valeur sentimentale" indique Christophe Bonneau.
Pour les 10% d'objets restants, le crédit municipal organise une fois par mois, en moyenne, des ventes aux enchères. Afin de rentrer dans ses frais.
►Mont-de-piété, ma tante, le clou, les autres noms du crédit municipal.
- Le mont-de-piété, monte di piétà, est apparu au XVème siècle en Italie, c'était un établissement charitable, géré par l'église. À cette époque percevoir une rémunération pour un prêt d'argent était un péché, il s'agissait de lutter contre l'usure. En France le premier mont-de-piété est créé en Avignon en 1614.
- À Nantes, naissance du crédit municipal en 1813. Il existe 18 crédits municipaux en France et une cinquantaine d'agences.
- Chez ma tante : au XIXe siècle, c’est le lieu où François Ferdinand d’Orléans, (prince de Joinville) a prétendu avoir oublié sa montre. L’histoire dit que pour honorer une dette de jeu, ce joueur invétéré serait allé déposer sa montre au mont-de-piété . Et pour en justifier l’absence, il aurait déclaré l’avoir oubliée chez sa tante.
- L’expression « mettre au clou » a une origine purement littérale : les objets laissés au prêteur sur gage étaient simplement fixés au mur à l’aide un clou, afin de les mettre hors de portée de celui qui avait demandé le prêt.