Elles s'appellent Élisa Bordillon, Topette ou Hélène Pouzin. Vous ne les connaissez vraisemblablement pas, et pourtant, elles ont marqué leur époque avant de tomber dans les oubliettes de l'histoire. Aujourd'hui, elles reposent au cimetière de la Miséricorde à Nantes, où des comédiennes ont entrepris de leur redonner vie, le temps d'un spectacle.
L'un des plus célèbres lycées nantais aurait pu s'appeler "Lycée Élisa Bordillon", du nom de la première femme qui l'a dirigé. Au lieu de quoi on a préféré lui donner le nom d'un avocat, qui fut maire de Nantes pendant deux ans, Gabriel Guist'hau.
À lui, les honneurs et la gloire, la possibilité de laisser son nom gravé dans le marbre. À elle, la poussière et l'oubli. L'histoire est ainsi faite, par les hommes, pour les hommes
Un archaïsme patriarcal que déjoue, à son niveau, Laure Fonvieille. En exhumant des vies. Des vies de femmes. Qu'elle remet sur le devant de la scène.
Nous avons toutes et tous un héritage culturel, un patrimoine qui vient de nos pères et un matrimoine qui vient de nos mères
Laure Fonvieille, metteuse en scène
"La mort est dans la boite", mais elle en sort régulièrement
Laure fait du théâtre documentaire. Une vocation qui relève autant du militantisme féministe que de son désir de nous faire partager les récits des morts...des mortes plus précisément.
Son spectacle est né d'une drôle de coïncidence. En 2010, Laure Fonvieille cofonde une compagnie amateur. Pour participer à un festival, il lui faut vite lui trouver un nom. Elle s'inspire alors d'une scène de "l'écume des jours" de Boris Vian, où la mort sort d'une boite pour arracher le cœur de Jean-Sol Partre. La compagnie s'appellera donc "La mort est dans la boite".
Quelques années plus tard, la responsable du service patrimoine funéraire de la ville de Rennes fait appel à la troupe devenue professionnelle.
Pensez donc, avec un nom pareil, ces gens là ne doivent pas avoir peur de se balader dans les cimetières ! Or justement, le service cherche à valoriser le patrimoine historique, les tombes et les caveaux et souhaite recourir à des comédiens.
C'est donc d'une commande qu'est né "Celles d'en-dessous". Un spectacle qui n'aurait du être qu'un "one shot", sauf que Laure s'est prise au jeu.
"Je ne pensais pas que cela me plairait autant. J'adore faire parler les mortes, leur faire raconter leur histoire. Dans les cimetières, il y a plein de femmes remarquables. C'est aussi politique que de remettre des femmes à l'honneur, des femmes connues à leur époque puis tombées dans les oubliettes. Il faut que nous puissions garder cette mémoire, pour leur rendre hommage"
"C'est à chaque fois, un voyage dans le temps"
Pour restituer ces vies, Laure plonge dans les livres d'histoire, rencontre des associations, des scientifiques, des archéologues, et parfois aussi les descendantes et les descendants de ces illustres devenues inconnues. "Ces discussions nous permettent aussi de cerner le caractère de notre sujet, au delà de sa seule biographie", indique Laure.
La quête des informations, la recherche des tombes, prend parfois des allures inattendues. "Par exemple, pour trouver la tombe d'Élisa Bordillon, on a du arpenter le cimetière de la Miséricorde pendant près de deux heures. Pour Topette, fille de la bourgeoisie nantaise devenue chanteuse de rue, ce sont les gardiens du cimetières qui nous ont mis sur la voie. Sans eux, je n'en n'aurai jamais entendue parler !"
Joué à Strasbourg, à Rennes et maintenant à Nantes, "Celles d'en-dessous" a permis d'évoquer les parcours d'une sérial killeuse, de victimes du génocide Rwandais, de résistantes ou de déportées. "Et puis, à chaque fois, nous aimons aussi mettre en avant une illustre inconnue, une femme ordinaire décédée il y a peu, pour rendre aussi hommage à une femme "ordinaire" de notre époque"
J'aime créer des visions, des irruptions de vies , au détour d'une tombe, lors d'une balade dans un cimetière
Pour chaque femme exhumée, Laure cherche la vérité d'une vie, l'exactitude, le ton. Elle met en scène ce que chacune d'elle a pu être, vivre ou transmettre, le temps d'une séquence d'une dizaine de minutes. Son souci du détail passe notamment par les costumes que la jeune metteuse en scène puise dans le dressing du TNB et qu'elle ravaude, qu'elle adapte. Car Laure Fonvieille est aussi costumière et brodeuse. Elle replace ainsi chacune des femmes dans son siècle, son époque, indiquant au spectateur d'où elle parle.
Pour incarner ses personnages, leurs tranches de vies, Laure Fontvieille convoque celles du dessus, des comédiennes, dont la plupart vivent et travaillent dans la ville où se situe le cimetière choisi.
Ainsi, à Nantes Sophie Renou incarne Elisa Bordillon (directrice du premier lycée pour jeune filles à Nantes), Emmanuelle Briffaud est Pauline Isabelle Utile (cofondatrice de LU), Camille Kerdellant devient Topette (chanteuse de rue avec sa sœur Carafon), Hélène Vienne évoque Yvonne Pouzin (Phtisiologue, première femme médecin des Hôpitaux de France), Manon Payelleville fait revivre Colette Robertin (l' "illustre inconnue" nantaise).
"Celles d'en-dessous" dimanche 20 mars à 14h30 au cimetière Miséricorde de Nantes.
Le spectacle est d'ores et déjà complet, mais rien n'empêche d'aller faire une balade au cimetière de la Miséricorde, ce dimanche.