Laure Marivain se bat en justice pour que soit reconnu pleinement le préjudice causé par les pesticides qui l'ont contaminée alors qu'elle était enceinte et exerçait le métier de fleuriste. La cour d'appel de Rennes examinait ce mercredi 9 octobre la plainte déposée en ce sens.
"J'ai promis à Emmy que j'allais me battre, non seulement pour elle, mais aussi pour les autres" le visage grave et la voix au bord des larmes, c'est une maman digne et indignée qui répond aux questions des journalistes ce mercredi 9 octobre avant le début de l'audience de la cour d'appel de Rennes qui doit statuer sur sa plainte.
Emmy est décédée à l'âge de 11 ans, après des années de lutte contre la leucémie.
Elle souffrait d'une leucémie aiguë lymphoblastique.
Selon la cellule d'investigation de Radio France qui a révélé l'affaire avec le journal Le Monde la petite Emmy est "le premier enfant dont le décès est reconnu par le Fonds d'Indemnisation des Victimes des Pesticides (FIVP)"
Une fleuriste contaminée à son insu
Sa maman Laure Marivain habite dans la banlieue nantaise.
Pendant de nombreuses années elle a exercé le métier de fleuriste et de grossiste en fleurs.
Notamment lors de sa grossesse de la petite Emmy, fin 2009.
En janvier 2015 après un passage au service des urgences du CHU de Nantes le diagnostic tombe : Emmy est atteinte de "leucémie aiguë lymphoblastique B".
Après de nombreuses rechutes, des examens médicaux innombrables et plusieurs interventions chirurgicales la fillette meurt en mars 2022.
J'ai découvert de fil en aiguille qu'en fait, toute la chaîne qui tournait autour de la fleur, du monde horticole, c'était tout simplement catastrophique. Pas de réglementation, pas de limite maximale de résidus de pesticides
Laure Marivainmaman d'Emmy, décédée des suites d'une leucémie
Un mois auparavant, sa maman, alertée par ses recherches sur les risques d'exposition lié à sa profession, avait contacté l'association Phyto-Victimes qui vient en aide aux professionnels victimes des pesticides.
Un combat mené par son fondateur et ancien président l'agriculteur Paul François internationalement connu pour son combat contre la firme Monsanto.
Claire Bourrasseau est responsable du bureau d'aide aux victimes de l'association Phyto-Victimes.
Depuis Cholet (Maine-et-loire) où elle habite, elle explique le déroulement de cette affaire tragique.
Un long parcours semé d'embûches
"Malheureusement un mois après nous avoir appelé en février 2022 la petite Emmy décédera" s'attriste Claire Bourrasseau.
"Durant toute l'année 2022, on a essayé de monter le dossier pour aller en justice. Il a fallu récupérer les pièces médicales, il a fallu aussi prendre contact avec notre avocat pour savoir comment on pouvait monter le dossier " explique la responsable du bureau d'aide aux victimes de Phyto-Victimes.
"Pour les enfants c'est quelque chose qui est tout nouveau, ça a été mis en place par les pouvoirs publics avec le Fonds d'Indemnisation des Victimes des pesticides en 2020" détaille-t-elle.
Le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticide (FIVP) rend sa décision et l'annonce à la famille Marivain en juillet 2023 : le lien de causalité entre le métier de fleuriste de sa maman et le décès d'Emmy est "reconnu à l'unanimité".
"Il faut aussi que pour les autres victimes qui viendront après, ça puisse être des dossiers qui fassent jurisprudence" souligne Claire Bourrasseau.
Selon cette membre de l'association d'aide aux professionnels victimes des pesticides, malheureusement, Emmy ne sera probablement pas la seule enfant à décéder des suites de l'ingestion de pesticides par ses parents dans l'exercice de leur fonction.
"Aujourd’hui, on est un peu dans la même situation que lorsque l'association a été créée : les premières années quelques dizaines de dossiers par an et là en 2023 on était à 670 demandes pour les professionnels" Claire Bourrasseau, responsable du bureau d'aide aux victimes de Phyto-Victimes.
Un procès pour témoigner
Avec son mari Paul, la maman d'Emmy a saisi la cour d'appel de Rennes pour contester le montant de l'indemnisation accordée aux deux parents par le Fonds d'Indemnisation des Victimes des Pesticides.
Elle se bat pour une meilleure indemnisation "prenant en compte l'ensemble de leurs souffrances et de leurs préjudices".
Son avocat, Me François Lafforgue plaide : "Aujourd'hui, nous demandons une juste indemnisation des préjudices subis par Emmy, puisque aujourd'hui, aucune offre n'a été faite concernant le préjudice subi par cette petite fille qui est considérable. Seuls les parents ont été indemnisés".
L'indemnisation prévue pour les ascendants directs prévue par les statuts du FIVP est de 25 000 euros par parent. Maitre François Lafforgue évoque de son côté la somme de "plusieurs centaines de milliers d'euros pour le préjudice total subi"
Bien au-delà d'une indemnisation qui ne pourra pas ramener leur enfant, le combat des parents d'Emmy est d'alerter sur un sujet de santé publique méconnu qui pourrait faire de nombreuses victimes.
Un enjeu de santé publique
Si le chemin des agriculteurs pour faire reconnaître leur statut de victimes des pesticides est toujours très long, celui des fleuristes ne fait alors que commencer, soulignent plusieurs spécialistes de la santé.
En France, plus de 85 % des fleurs vendues sont issues de marchés étrangers où les règles d'utilisation de produits phytosanitaires ne sont pas encadrées.
À pratiquer mon métier, que ce soit fleuriste ou même quand j'étais représentante en fleurs sur le MIN de Nantes, rien n'était visible sur mes mains. Et c'est là où je me dis, mais justement, c'est invisible, mais ça va bien au-delà. Pour moi, on parle d'empoisonnement, en fait.
Laure MarivainMaman d'Emmy, décédée des suites d'une leucémie
Selon une étude scientifique menée en 2018 en Belgique sur des fleuristes, ceux-ci se trouvent même exposés à davantage de risques liés aux pesticides que les agriculteurs en raison de leur temps d'exposition et de leur absence d'information.
L'étude (en anglais) est consultable ici.
L'avocat des parents de la petite Emmy qui est également celui de l'association Phyto-Victimes est très clair sur le sens de cette démarche judiciaire.
"La démarche est double. D'une part, obtenir une plus juste indemnisation des préjudices subis par Emmy et par l'ensemble de sa famille, et d'autre part, pointer le risque pris par les fleuristes qui sont exposés quotidiennement à tout un tas de pesticides et de résidus de pesticides" analyse Me François Lafforgue.
"En manipulant les fleurs et les plantes, et ils peuvent soit contracter des maladies, soit transmettre des maladies à leurs enfants" avertit l'avocat.
Une filière professionnelle à informer
"L'idée ce n'est pas non plus de faire peur et de dire "n'achetez plus de fleurs ou n'allez plus voir votre fleuriste" souligne Claire Bourrasseau responsable du bureau d'aide aux victimes de l'association Phyto-Victimes.
"Mais il faut quand même qu'il y ait une prise de conscience sur le sujet et qu'on travaille tous ensemble à essayer d'améliorer cette filière" ajoute-t-elle.
Quel professionnel de la fleur ou des grossistes ont conscience d'être empoisonnés à petit feu tous les jours, en fait ? Et six jours sur sept, quasiment. Aucun.
Laure MarivainMaman d'Emmy, décédée des suites d'une leucémie
Et la responsable associative de pointer, comme l'avocat, le peu de dossiers constitués déposés devant le Fonds d'Indemnisation des Victimes des Pesticides.
"Il y a eu 22 demandes qui ont été faites depuis 2021, mais il y a 16 dossiers qui sont incomplets, donc en gros, il n'y en a que 6 qui ont pu être étudiés jusqu'à présent" précise Claire Bourasseau.
"Cette affaire rend visible ce problème majeur de l'exposition professionnelle des fleuristes aux pesticides et les conséquences dramatiques qui s'ensuivent" conclut pour sa part l'avocat de la famille de la petite Emmy.
Je vais continuer à me battre, non seulement pour ma famille, mais aussi pour tous ces professionnels de la fleur qu'on doit protéger.
Laure Marivainmaman d'Emmy, décédée des suites d'une leucémie
Nous avons contacté les représentants régionaux de la Fédération Française des Artisans Fleuristes qui n'ont pas souhaité s'exprimer à chaud.
Sur son site, l'Association Phyto-Victimes recense les conseils aux professionnels potentiellement exposés aux pesticides ici.
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