Une récente étude sortie en 2024 montre que les cimetières sont de moins en moins fréquentés par les Français et ce depuis une quinzaine d'années. Et la tendance ne devrait pas s'inverser.
D'après une récente étude, il y a quinze ans, en 2009, 60 % des personnes de 40 ans et plus disposaient d'un emplacement dans un cimetière. En 2024, ils sont 5 % de moins.
Pas vraiment de quoi parler d'une chute libre. Mais de fait, la fréquentation des cimetières serait aussi une question de génération, d'âge, autant que de société.
Les cimetières, désuets ?
Franck Lehuede est directeur d'études et de recherches au Crédoc, le centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie. Un organisme d'études et de recherche au service des acteurs de la vie économique et sociale.
Tous les cinq ans, à la demande de la Chambre syndicale nationale de l’art funéraire (CSNAF), le Crédoc réalise une enquête par téléphone sur les pratiques liées aux obsèques auprès d’un échantillon de 1 000 répondants de 40 ans et plus.
Parmi les principales observations, "le cimetière apparaît de moins en moins comme le lieu unique du recueillement."
L'étude explique également que la fréquentation des cimetières a beaucoup baissé depuis quinze ans, "y compris dans des moments symboliques comme la Toussaint."
Preuve en est les chiffres de cette récente étude 2024, comme le rappelle Franck Lehuede : "En 2009, 69 % de personnes nous disaient se rendre au cimetière à la Toussaint.
"Aujourd'hui, en 2024, on est à 57 % des gens qui disent se rendre au cimetière à la Toussaint."
Et ce n'est pas tout, comme le précise le directeur de l'étude, "si je prends la proportion d'individus qui vont au moins une fois au cimetière dans l'année, je vais avoir 71 % des gens qui sont concernés aujourd'hui. Alors qu'en 2009, ils étaient 79 %."
Enfin dernier constat, les personnes qui fréquentent le plus les cimetières sont les personnes âgées. "Ce sont beaucoup plus les 80 ans et plus, également un peu plus les 70-79 ans, des tranches d'âge de personnes plus susceptibles d'avoir une proximité géographique et émotionnelle avec un défunt".
En résumé, les personnes de moins de 80 ans, pourtant fidèles visiteurs de cimetières, les fréquentent de moins en moins et de moins en moins souvent. Ce qui conforte la tendance d'une désertion de ces lieux de recueillement.
Moins de fréquentation, pour quelles raisons ?
D'après Franck Lehuede, trois raisons expliquent principalement cette baisse de fréquentation des cimetières.
La première, l'augmentation des crémations : "non seulement les crémations augmentent, mais elles n'amènent pas nécessairement de cendres dans un cimetière".
L'étude rappelle que 42 % des décès donnent lieu à une crémation. C'est d'ailleurs le cas à Nantes. "Nous observons une légère hausse concernant les dépots d'urnes, qui sont passés de 341 en 2020 à 390 en 2023", explique le service de la métropole nantaise en charge des cimetières.
Autre point, l'éclatement géographique des familles. "On peut y aller de temps en temps, mais pas tout le temps, et donc parfois au bout d'un moment, on n'y va plus".
Le rapport au souvenir du défunt a également changé. "C'est une raison qui est liée au rapport qu'on a aujourd'hui au souvenir du défunt, qui nécessite moins le besoin d'un lieu social pour faire son deuil, pour rendre hommage à la personne".
De plus en plus d'individus se disent "je n'ai pas besoin de me rendre au cimetière pour pouvoir penser à la personne, je me suis créé un lieu spécifique chez moi, ou j'ai un autre lieu, qu'il, qu'elle aimait bien, auquel je me rends pour penser à lui ou à elle"
Franck LehuedeDirecteur d'étude et de recherches au Crédoc
Quid des concessions ?
Les personnes qui fréquentent encore les cimetières viennent entretenir une tombe, ou honorer le souvenir d'une personne. Plus ces personnes sont âgées, plus elles possèdent de concessions.
L'étude monte par exemple que 91 % des personnes de plus de 80 ans possèdent des concessions.
Des concessions, c'est-à-dire des emplacements dans les cimetières (caveau ou tombe) concédés à des familles qui en ont un droit d'usage et d'entretien. Mais c'est la commune qui reste propriétaire du terrain.
Lorsque les contrats de concession se terminent, les municipalités préviennent les familles, les descendants ou les ayants-droit et leur propose de renouveler le contrat de concession. Ces derniers ont alors deux ans pour se manifester, à défaut, elles seront échues et récupérées par la municipalité qui pourra les proposer à d'autres nouvelles familles.
Des concessions échues et reprises
Preuve du désintérêt parfois pour les cimetières, certaines municipalités récupèrent chaque année un peu plus de concessions non réclamées.
À Ancenis- Saint-Géréon, commune d'environ 11 000 habitants en Loire-Atlantique, il y a deux cimetières. Le plus grand est celui de la commune ancienne d'Ancenis, le cimetière du Tertre. Et chaque année, une vingtaine de concessions sont reprises par la municipalité et donc abandonnées par les familles, par choix.
"Moins on y va, moins on a envie d'y aller", précise Laurence, en charge du service des cimetières à la mairie d'Ancenis-Saint-Géréon.
Elle constate qu'une majorité des familles concernées et impliquées ou géographiquement proches reprennent quand même les concessions. "Sur les 52 concessions échues en 2023, en octobre 2024, 6 seulement pour l'instant ont été abandonnées et 24 renouvelées. Mais il faut attendre car les deux ans de latence pour se prononcer ne sont parfois pas encore passés pour certaines familles".
Il faut prendre en compte que même lorsqu'une concession est échue, et abandonnée, elle n'est pas forcément récupérable tout de suite.
"On dit qu'en moyenne, il faut que la dernière inhumation de la concession ait eu lieu au moins 30 ans auparavant avant de pouvoir la reprendre. Le temps d'être certain que le corps ait été entièrement réduit, décomposé", précise l'employée de la maire. Sinon impossible de la céder à quelqu'un d'autre.
Une demande en hausse, mais une durée des concessions en baisse
Dans une grande métropole comme Nantes, la demande de concessions dans les cimetières est en hausse.
"Il y avait 243 demandes d'achat de concession pour des caveaux en 2020, contre 350 en 2023", précise Nantes Métropole.
La collectivité arrive à répondre à cette demande grâce notamment à l'augmentation de ses équipements en cavurne et columbarium. Par définition, le columbarium est "un lieu de repos public et collectif des cimetières","le cavurne rassemble une ou plusieurs urnes d'une même famille".
Ella procède également à une augmentation des emplacements de terrain commun en caveau et à une conversion d’emplacements non affectés en concession si besoin.
La ville a également réduit la durée de concession en cavurne et columbarium. Nantes Métropole l'évoque, chiffres à l'appui : "On est passé à une durée de 7 ans en 2023 dans le but de diminuer le coût des obsèques au moment des funérailles et de permettre une rotation des équipements".
Enfin, la ville a gelé les achats en avance (hors décès), qui permet donc d'offrir une réponse à cette demande en hausse.
Des nouvelles techniques funéraires
Et si la" mort" des cimetières était due à des nouvelles techniques de funéraires censées dissoudre plus rapidement les corps ? Moins de corps, plus besoin d'espaces ?
Ce scénario est encore loin d'arriver, mais des nouvelles techniques funéraires ont déjà été testées en Belgique, aux États-Unis, ou au Canada. Elles ne sont pas autorisées en France, mais d'après Franck Lehuede, "il existe un certain lobbying de groupes qui croient à ces solutions-là, et qui les trouvent notamment meilleures pour l'environnement, plus durables, un argument pour mieux les promouvoir".
Il s'agirait de l'humusation, le fait de réintégrer les dépouilles humaines, naturellement, dans le cycle du vivant, dans l'humus, la couche supérieure du sol créée, entretenue et modifiée par la décomposition de la matière organique.
Autre technique, l'aquamation, "c'est une solution à base d'eau dans laquelle vous avez mis les produits qui vont petit à petit ronger le corps", précise Franck Lehuede.
Enfin, la promession ou cryomation qui consiste "à plonger le corps dans de l'azote liquide".
Avec cette dernière méthode, d'après les études qui en parlent, le corps se désagrègerait en quelques heures.
Mais Franck Lehuede se veut sceptique.
Dans l'étude du Crédoc il est d'ailleurs bien spécifié que "ces trois techniques restent très largement méconnues. Plus de 9 Français sur 10 déclarent ne jamais en avoir entendu parler. D'après nos sondages, si elles étaient autorisées en France, elles resteraient minoritaires"....Jusqu'à quand ?
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