Des années de luttes et au bout une victoire, celle des habitants de Plogoff unis contre un projet de centrale nucléaire. Tourné à l'époque des faits, un film documentaire entretenait la mémoire de l'affaire, une bande dessinée poursuit aujourd'hui le travail. Rencontre avec ses auteurs mayennais...
Plogoff, c'est l'histoire d'un projet de centrale nucléaire, c'est aussi et surtout l'histoire d'un combat acharné mené par une belle poignée d'irréductibles gaulois contre le rouleau compresseur de l'Etat. Une histoire qui finit bien pour les irréductibles, un peu moins pour les pro-nucléaires. Une histoire qui nous en rappelle une autre, beaucoup plus proche de nous dans l'espace géographique et l'espace temps : le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Les auteurs, Delphine Le Lay et Alexis Horellou, aujourd'hui installés dans le petit village de Niafles en Mayenne, ont accepté de répondre à nos questions...
Pourquoi cette BD sur Plogoff ? Et pourquoi maintenant ?
Delphine. J'ai grandi à 30 Km de Plogoff. J'ai toujours entendu parler de cette histoire comme d'une légende : le petit village d'irréductibles qui avait fait reculer les CRS à coup de lance-pierres. Lorsque l'accident de Fukushima s'est produit, j'ai entendu une émission de radio qui revenait sur les événements. J'y ai découvert l'ampleur de la mobilisation, le nombre d'années que cela avait duré, les raisons pour lesquelles Plogoff avait été choisie... et plus tard, en me penchant sur le sujet, l'absence d'information, le mépris du pouvoir centrale envers les élus locaux et populations locales, la violence mise en place et légitimée par l'intérêt soit disant collectif. Cela a réveillé ma fibre militante.Que peut-elle apporter de plus que le documentaire de Nicole et Félix Le Garrec réalisé pendant l'affaire et diffusé partout en France depuis plus de 30 ans ?
Delphine. Le documentaire de Nicole et Félix Le Garrec a été tourné à chaud, lors de l'enquête d'utilité publique. Il traite donc de ces six semaines d'affrontements début 1980. La bande dessinée traite de l'ensemble de la mobilisation, depuis les premières réunions d'information sur le nucléaire organisées à partir de 1975 jusqu'à l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République en 1981, en passant par toutes les étapes de la création de cette mobilisation villageoise qui a réussi à s'élever à un niveau national.Vous dites dans une interview avoir aligné les faits avec le plus d'objectivité possible. Certainement, mais vous ne donnez qu'un seul point de vue, celui des opposants. Pourquoi ce choix ?
Delphine. Je me suis rapidement rendu compte que le terme était mal choisi. C'est qu'il y avait, au sein même des opposants au projet, de multiples façons de voir les choses. C'est de ce côté de la mobilisation que j'ai fait attention à rester objective. Ceci dit, effectivement, seul le point de vue des opposants est montré. Simplement parce que c'est celui qui m'intéressait. Ce qui m'a épatée, c'est la façon dont ces gens ont réussi à coordonner leurs différences (et elles étaient nombreuses... opinion, âge, statut social, culture...) pour tendre vers un but commun.Du coup Plogoff est une BD militante plus que journalistique ou historique...
Delphine. Je pense que c'est un peu tout à la fois. Les faits sont fidèles à l'histoire telle qu'elle s'est déroulée. Qu'on soit d'un bord ou d'un autre n'a rien à voir avec le fait que ce qui est raconté dans ces pages se soit vraiment passé. Le fait de se placer du côté des opposants rend le propos militant. J'ai été surprise de me rendre compte de l'ampleur qu'avait pris cette mobilisation à Plogoff et de voir jusqu'où le pouvoir central était prêt à aller pour faire passer ses intérêts avant ceux des populations qu'il représente. En colère aussi de voir qu'une fois le peuple « calmé » par l'abandon d'un projet, on poursuit, sans gêne, un peu plus loin.Quelles ont été vos sources ? Avez-vous pu interroger les acteurs de cette affaire autres que Nicole et Félix le Garrec ? Et dans quelles conditions ?
Delphine. Mes sources ont d'abord été les livres qui existent sur le sujet, ainsi que les reportages de Nicole et Félix Le Garrec et de Brigitte Chevet (réalisatrice de films documentaires et notamment de "L'Affaire Plogoff", ndlr). Je me suis ensuite rendue à une conférence donnée par Gilles Simon, auteur d'une thèse sur l'apprentissage de la mobilisation sociale, et ayant pris Plogoff comme sujet d'étude. Là, j'ai rencontré Jean Moalic (militant anti-nucléaire de Plogoff, ndlr) qui m'a ensuite reçue chez lui. Nous avons rencontré les gens chez eux.Alexis. Par Jean Moalic, nous avons pu rencontrer d'autres personnes (une habitante de Plogoff et Jean-Charles Perazzi, journaliste à Ouest France). Nous avons aussi rencontré un habitant de Plogoff qui nous a piloté sur les terres qui étaient dédiées à la centrale. On a donc pu prendre des photos des ports concernés, ainsi que de la bergerie. Nous devons notre rencontre avec les Le Garrec à Bruno Le Floch (auteur de BD décédé en 2012, ndlr) qui nous avait aussi mis en contact avec d'autres personnes.
La lecture de cet album nous rappelle une autre affaire du même genre : le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et le combat de ses opposants. Est-ce que cette affaire actuelle a influencé votre travail sur Plogoff ?
Delphine et Alexis. Non. Nous habitions à Bruxelles depuis 2007. C'est sur la route de notre retour vers la France, en mars 2011, que nous avons entendu les informations sur l'accident de Fukushima. Nous n'avions que des connaissances lointaines de ce projet d'aéroport. C'est en cours de travail que l'on s'est rendu compte que des parallèles étaient faits entre Notre-Dame-des-Landes et Plogoff.Quel regard portez-vous sur ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes ?
Delphine. J'ai le sentiment d'un projet imposé à des gens qui n'en veulent pas, qui n'en voient pas l'utilité et qui disent depuis longtemps, sans être entendus, les conséquences désastreuses que cela produirait. J'ai l'impression que les arguments servis pour faire croire à la nécessité de ce projet en cachent d'autres, sans doute moins « vendeurs » car d'intérêt bien plus limité. J'ai vu les arguments des opposants et vu aussi des images de l'occupation de la « ZAD ». Parallèlement, j'ai entendu dire que les opposants étaient une minorité d'agitateurs, mal organisés, parfois violents... ça me rappelle quelque chose.Une BD sur Notre-Dame-des-Landes ne serait-elle pas la suite logique de votre travail sur Plogoff ?
Delphine et Alexis. Malheureusement, il y aurait pas mal de suites logiques à Plogoff si on devait s'atteler à une nouvelle révolte ou un nouvel acte de désobéissance civile. Ce ne sont pas les sujets qui manquent. Nous ne cherchons pas à partir dans le sens d'une suite logique, mais plutôt d'un sujet qui nous touche. Et s'il constitue une suite logique, ce sera comme ça.La BD selon vous peut-elle, doit-elle, être engagée ?
Delphine et Alexis. La BD doit raconter des histoires avant tout. Il ne faut pas la réduire à un thème ou à une intention. Nous pensons utile et intéressant pour les lecteurs aussi bien que pour les auteurs de pouvoir aborder toute sorte de sujets, de la même façon que de pouvoir proposer différents graphismes et différents styles de narration. C'est la diversité qui crée la richesse.Quels sont vos projets ?
Delphine et Alexis. Nous travaillons actuellement sur la suite et fin de notre première BD « Lyz et ses cadavres exquis ». Elle était sortie en 2010 sous la forme d'un one shot de 96 pages en couleur directe à l'acrylique. Elle sera rééditée en 2014, assortie d'une centaine de pages supplémentaires qui constituent la suite et fin de l'histoire. Nous travaillons aussi sur un autre sujet, sans doute plus proche de « Plogoff » mais qui n'en est qu'au stade de projet pour le moment.Interview réalisée par mail le 25 mars 2013
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