Notre-Dame-des-Landes, ces agriculteurs qui veulent garder les terres de la ZAD

Libérées par l'abandon du projet d'aéroport, les terres agricoles de la ZAD doivent être réparties cet automne, entre les occupants et une trentaine d'agriculteurs "historiques", toujours locataires, qui réclament des droits sur ce territoire. Le point sur les enjeux, financiers et agricoles.

Une dizaine de tracteurs, sur un chemin de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Ce vendredi 28 septembre, les agriculteurs de l'AMELAZA tentent, sur la forme, d'imiter les occupants de la ZAD. Ce qu'ils réclament ? Des baux pérennes pour continuer à exploiter 514 hectares de terres, libérées par l'abandon du projet d'aéroport. 

Pour le symbole, le lieu est mal choisi : une parcelle que son agriculteur nous dit avoir abandonnée depuis plusieurs années, car compensée par des terres à l'extérieur de la ZAD, après son éviction des lieux par le mouvement anti-aéroport.

Une confusion, qui semble à l'image d'un mouvement hétérogène, où de très grosses exploitations ayant accepté la perte de leurs terres côtoient de jeunes agriculteurs, très engagés dans le mouvement contre l'aéroport.

Romain Willemetz est l'un d'entre eux. En 2010, cet éleveur laitier arrive du Pas-de-Calais, après avoir trouvé une ferme à Notre-Dame-des-Landes. Un bien rare : 115 hectares en location, dont la majeure partie est regroupée autour du siège d'exploitation, et dont 16 hectares se trouvent sur l'emprise de la ZAD. 

Autour de la ferme, l'éleveur installe ses vaches laitières, et sur la ZAD, il cultivera des céréales et du fourrage, avec, pour objectif, l'autonomie alimentaire.

Sur ces terres, il ne bénéficie que d'une convention d'occupation précaire, reconduite chaque année, payant sa location, pour moitié à la SAFER, et pour moitié, auprès d'un propriétaire terrien n'ayant jamais voulu vendre à Vinci.

Arrivé deux ans après la déclaration d'utilité publique, Romain Willemetz ne bénéficiera d'aucun des avantages qu'ont obtenus les autres locataires de la zone. Sans compensation financière, il n'était pas non plus prioritaire pour se voir attribuer des terrains hors de la ZAD.

"Nous avons tenté, avec l'Acipa, une action en justice pour réclamer des terres, mais elle a abouti à un non-lieu. Aujourd'hui, mon bail étant précaire, je risque de perdre ces 16 hectares, qui me rapportent chaque année de quoi nourrir 4 ou 5 vaches. Et comme je ne suis plus considéré comme une nouvelle installation, je ne serai pas prioritaire pour obtenir des terres à l'extérieur", résume Romain Willemetz.
Conscient de cette précarité, le jeune éleveur participait jusqu'à l'année dernière, très activement à la lutte contre l'aéroport.

Nous montrant son tracteur, il nous explique " Je suis allé plusieurs fois manifester à Nantes et sur la ZAD. J'ai juste évité les périodes d'expulsion, car c'était trop violent. On défendait l'agriculture en général, on n'était pas là pour se faire expulser après", précise Romain, qui, depuis l'abandon du projet, a rejoint l'AMELAZA, l'association pour le maintien des exploitations légales sur l'ancienne zone aéroportuaire.


Pas de place pour tous les projets


Car, sur les 1650 hectares de la ZAD, les paysans historiques de la lutte contre le projet ont aujourd'hui repris leurs droits sur 370 hectares de terre.

Les agriculteurs de l'AMELAZA ont des conventions d'occupation précaires pour 514 hectares, et les nouveaux occupants, arrivés pendant la lutte, ont obtenu des conventions sur 170 hectares. 
Mais ces derniers réclament au moins 80 hectares supplémentaires pour pérenniser une quinzaine de projets agricoles.

Si on déduit les zones de friches et de forêt, l'équation est simple : tout le monde ne pourra pas continuer à cultiver la zone, et aujourd'hui, chacun des exploitants de l'AMELAZA tremble pour sa parcelle.



Des indemnisations très importantes


Ici, seuls les propriétaires expropriés sont certains de revenir, mais il s'agit d'une infime minorité. La grande majorité des exploitants louaient leurs terres, et ont été indemnisés après avoir été évincés de leurs baux à ferme.

Les sommes sont conséquentes : signé en décembre 2008, le protocole d'accord signé par l'Etat et la chambre d'agriculture fait état d'une moyenne de 879 euros par hectare et par an. Selon la taille de leurs terrains sur la ZAD, les agriculteurs ont obtenu entre 3 et 6 ans d'indemnités, correspondant aux pertes de marges d'exploitation.

Le protocole d'accord signé en 2008

Eleveur en bio de viande bovine, David Lascaux nous dit ainsi avoir touché "3 marges brutes", pour 16 hectares qu'il cultive toujours sur la ZAD.

Selon nos calculs, la somme avoisinerait les 42 000 euros, pour une perte d'exploitation qui n'a jamais eu lieu, puisque ce dernier a continué à bénéficier de conventions d'occupation précaires, un prêt de terres à titre gratuit, reconduit chaque année par Vinci.

Pour lui, le premier préjudice est arrivé en 2017, lorsqu'un des occupants, appuyé par le collectif Copain 44, a "réquisitionné" 8 hectares de ses terres sur la ZAD pour y mettre ses propres vaches.

"L'an dernier, on a dû acheter 3 à 4000 euros de fourrages pour la dizaine de bêtes qui ne pouvaient plus pâturer sur ces terres", explique David Lascaux. 
 

"Vivre près d'un volcan"



En conflit avec le projet d'élevage de l'un des occupants, David espère que la préfecture tranchera en sa faveur, et lui attribuera un bail, pour ces quelques hectares sur la ZAD.

Pourtant, comme tous les autres agriculteurs installés avant 2008, il aurait pu bénéficier d'une priorité pour l'attribution de terres en dehors de l'emprise du projet d'aéroport.

Il a choisi l'argent, pour éviter, dit-il, de se brouiller avec des voisins : "Si j'avais pris les terres près de chez moi, j'aurais empêché l'installation de leurs enfants."

Et puis, le projet d'aéroport paraissait incertain."On avait pris l'habitude de travailler avec ces parcelles dont tous les ans, on nous promettait la perte. Et tous les ans, on les conservait. Tout le monde continuait à travailler avec ce risque là. Comme ceux qui vivent près d'un volcan, ils savent que ça va péter, mais ils restent là."

Des sommes touchées au titre de compensation, David Lascaux n'a rien gardé, tout a été investi pour maintenir à flot le fragile équilibre d'une exploitation, qui lui permet à peine de dégager, dit-il, un maigre salaire de 800 euros par mois, pour lui et son épouse.

Le sentiment qu'il décrit nous a été confirmé par la préfecture : "Compte-tenu des incertitudes sur la réalisation du projet, de l'opposition du monde agricole à ce projet, et pour ne pas pénaliser les installations autour de l'emprise du projet, ce dispositif (de priorité pour l'attribution de terres NDLR) a été très peu activé (une quinzaine d'hectares)".

La préfecture confirme aussi la gratuité des conventions d'occupations précaires pour les exploitants installés avant 2008 : "Les COP ou prêt à usage conclus par AGO (dans la concession) et l'Etat (sur la desserte routière) ne faisaient par définition pas l'objet de compensation financières compte tenu de leur précarité. Elles avaient en effet pour objet de limiter les coûts d'entretien de ces parcelles dans l'attente du démarrage des travaux et permettait aux agriculteurs en place de mieux amortir l'impact de la perte potentielle de ces terres. A noter qu'il était prévu que les exploitants soient accompagnés pour retrouver des terres lors du démarrage des travaux (activation de réserve foncières constituées au fils des ans)."
 
Une réserve foncière qui existe toujours : quelques 217 hectares hors de la ZAD, dont l'Etat aurait encore à ce jour la gestion, et qui pourraient entrer en jeu lors du troisième comité de pilotage, qui se réunira le vendredi 12 octobre pour décider notamment des principes d'affectation définitive des terres de Notre-Dame-des-Landes.


Pour les aides de la PAC, chaque hectare compte


Outre le manque à gagner s'ils perdaient quelques hectares, un dernier point explique l'attachement farouche de ces agriculteurs à ces quelques hectares de lande sur la ZAD. Depuis sa réforme de 2003, la PAC, la politique agricole commune, a supprimé tout lien entre le versement des aides et une production agricole spécifique. 

Autrement dit, pour éviter des crises de surproduction, les aides ont été conditionnées aux hectares exploités, cette définition incluant les pâtures comme la production de foin.

Bien qu'exploitant pour la plupart des terres à titre gratuit, bien qu'indemnisés, les agriculteurs de la zone ont continué, pendant dix ans, à percevoir ces aides, dont la moyenne départementale se trouve, nous dit la préfecture, autour de 225 euros l'hectare.
Soit environ 3 600 euros par an, pour une surface de 16 hectares à Notre-Dame-des-Landes.

L'équivalent de 4 mois et demi de salaire pour un éleveur comme David Lascaux qui seraient donc perdus si les terres revenaient aux nouveaux arrivants, sans être compensées par d'autres baux, ailleurs dans le département.

► Le reportage de notre rédaction


 
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