Un compagnon d'Emmaüs, à Saint-Jean-de-Linières près d'Angers dans le Maine-et-Loire, vit des heures compliquées du fait de sa situation bancale d'opposant à Vladimir Poutine. La Russie ne veut pas le revoir et la France se perd dans des décisions administratives contradictoires.
Madeline Perot, la responsable de la communauté d'Emmaüs à Saint-Jean-de-Linières près d'Angers dans le Maine-et-Loire, peste contre les services de l'État qui agissent de manière contradictoire à l'égard de l'un des compagnons de la communauté locale. C'est Ubu chez Kafka, à moins que ce ne soit l'inverse.
Les faits survenus cette semaine ont mis la communauté en émoi. Madeline Perot voit dans les décisions de la préfecture "une forme d'acharnement envers Nodari Chikhladze", qui a plusieurs torts, être né en Georgie, avoir la nationalité russe, mais surtout être opposant politique à Vladimir Poutine.
Nodari Chikhladze est arrivé en France en 2012, il a fait sa première demande d'asile en 2014. Qui lui a été refusée. Il fait donc l'objet de plusieurs obligations de quitter la France (OQTF). Résidant d'abord en Indre-et-Loire, puis en Maine-et-Loire, Nodari se plie depuis lors de bonne grâce à l'obligation qui lui est faite de "pointer" à la gendarmerie pour signaler son lieu de résidence.
Mais lundi dernier, il n'est pas ressorti libre de la gendarmerie d'Angers. Il a été accompagné sous bonne escorte à l'aéroport de Roissy pour un aller simple vers Moscou.
Angers-Roissy-Angers
Et là les choses prennent un tour pour le moins surprenant. "Au moment de monter dans l'avion, les autorités de la police de l'air et des frontières lui ont fait valoir que ce n'était pas possible. La Russie a dit "niet" pour lui déliver un laissez-passer au motif qu'il est opposant notoire à Vladimir Poutine, et le laissez-passer obtenu vers la Georgie n'est pas valable puisqu'il est de nationalité russe et, de surcroit, il n'a pas de passeport". Et pour cause, ce passeport resté aux mains du préfet d'Indre-et-Loire, aurait été "égaré" depuis selon la communauté d'Emmaüs.
Dans une telle situation, la procédure habituelle veut que la personne soit dirigée vers un centre de rétention en attendant de statuer sur son sort. "Sans explication, vers 16 heures, un fonctionnaire est venu dire à Nodari : vous êtes libre" indique Madeline Perot.
Nodari se retrouve donc libre sur le champ. Seul, sans argent, sans papiers, avec la clé de sa chambre de compagnon d'Emmaüs comme seul bagage. Son téléphone lui permet d'alerter ses compagnons angevins, qui lui achètent un billet de train pour rentrer à Angers. Fin de l'histoire ? Non, ce n'est qu'un épisode.
Nodari, revenu parmi les siens, reprend ses habitudes. Il va pointer à la gendarmerie. Et là, surprise, il découvre qu'il est convoqué pour soustraction à une obligation de contrôle. Madeline Perot parle désormais d'acharnement. "Nous avons de bons rapports avec les autorités, mais depuis lundi plus personne ne nous répond. Pire, la préfecture nous dit qu'elle n'a jamais reçu de demande de titre de séjour. Mais comment a-t-elle fait pour émettre un refus dans ces conditions ?" s'interroge la responsable de la communauté.
Le point de vue du préfet de Maine-et-Loire
La préfecture de Maine-et-Loire indique que Nodari Chikhladze "a fait l'objet de plusieurs mesures de reconduite à la frontière depuis 2015, auxquelles il s'est soustrait". La dernière en date lui a été notifiée le 5 novembre 2020 par le préfet de Maine-et-Loire. Précisant "qu'il n'a pas fait de demande de titre de séjour depuis cette date".
Nodari Chikhladze était assigné à résidence depuis le 9 novembre avec obligation de pointage. La préfecture ajoute que "la Russie a accepté sa réadmission et qu'un laissez-passer lui a été délivré".
Toutefois il aurait refusé l'embarquement ce qui constitue un délit. La version de la responsable d'Emmaüs est sensiblement différente, "Nodari Chikhladze a simplement refusé d'effectuer le test RT-PCR préalable à toute procédure d'embarquement".
Nodari Chikhladze est donc désormais convoqué par la gendarmerie "dans le cadre d'une procédure pénale pour répondre de ses actes", concluent les services du préfet.
Ce que permet la Loi
Depuis 2019 la Loi asile et immigration dit que "toute personne depuis 3 ans dans une organisation d'accueil communautaire et d'activité solidaire (OCAS), peut prétendre à un titre de séjour d'une durée d'un an renouvelable".
"Or Nodari est chez nous depuis 4 ans, et nous sommes l'une de ces structures reconnues par la loi", indique Madeline Perot. "La demande vient d'être refaite en bonne et due forme" assure-t-elle. Pourvu qu'Ubu et Kafka ne s'en saisissent pas encore, car, sans possibilité d'obtenir un nouveau passeport, Nodari va-t-il devenir apatride ?