Danse, théâtre, humour, musique, arts de la rue, cirque ou encore jeune public, Le Chainon Manquant fête ses trente ans et s'affirme plus que jamais comme un lien essentiel entre les artistes, les programmateurs et le public...
Certains le comparent au festival d'Avignon. Ils n'ont pas tort. Pendant six jours, le Chainon Manquant réunit à l'instar d'Avignon toutes les disciplines des arts vivants, 71 spectacles, 111 représentations, qui permettent aux uns de rêver, aux autres de faire leur marché.
Plusieurs centaines de programmateurs viennent en effet ici chaque année pour découvrir de jeunes talents inconnus et élaborer leur future programmation avec le soutien du réseau Chainon. Et c'est comme ça depuis le début de l'aventure, dans les années 80. À quelques heures de sa 30e édition, Kevin Douvillez, le co-directeur et directeur artistique, nous parle du réseau, du festival, des temps forts de cette année. Interview...
Vous aimez dire que Le Chainon Manquant n'est pas un simple festival. Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots ce en quoi il se singularise des autres ?
Kevin Douvillez. Le Chainon est surtout un Réseau de 305 salles de spectacles et un dispositif de circulation culturel permettant à près de 100 spectacles - repérés en grande partie par les salles adhérentes sur le territoire - d’être présentés au Réseau. Chaque année, ce sont entre 1 000 et 1 500 représentations qui sont générées par ce dispositif.
Le festival du Chainon Manquant n’est que la partie immergée de l’iceberg. Il cache en amont l’énorme travail de repérage réalisé par les adhérents et en aval l’unique diffusion d’une partie de ces projets repérés. Avec ces 71 spectacles sur 6 jours et la venue de 350 programmetrices.eurs, il est au centre de cette filière depuis la création des spectacles jusque leur diffusion dans les salles de spectacle mais ne représente qu’un moment de ce dispositif.
Dans un contexte de pandémie et d'annulation massive d'événements culturels, vous avez pu maintenir la 29e édition en 2020. Un véritable challenge. Un challenge nécessaire ?
Kevin Douvillez. Effectivement… Je dirais même un challenge vital pour les artistes et pour les salles adhérentes. Le Chainon Manquant se positionne depuis son origine entre des artistes qui ont du mal à présenter leurs spectacles et des programmatrices/programmateurs qui ont du mal en à en voir (pour de multiples raisons). Plus que jamais, avec cette crise que nous venons de traverser, le Chainon s’est avéré essentiel pour maintenir une diffusion de projets de qualité dans notre réseau de salles de spectacles. Il a surtout permis à plusieurs centaines d’artistes et techniciens d’envisager l’avenir plus sereinement.
Le maintien du festival en 2020 tient aussi bien à l’alignement de certaines planètes qu’à l’obstination du Réseau pour maintenir coute que coute le festival.
Cette année, le Chainon fête ses trente ans. Qu'est-ce qui a pu changer dans la façon d'aborder son organisation, dans son approche par le public ou les professionnels au fil des ans ?
Kevin Douvillez. Le principe fondamental est le même depuis sa création. Être un trait d’union, un chainon qui manquait, entre les artistes et les lieux de diffusions.
Mais avec le temps, il a fallu s’adapter en changeant de région, de villes (Tours, Figeac, Cahors et Laval depuis 10 ans), transformer le modèle économique pour survivre, évoluer artistiquement pour correspondre aux attentes du réseau. Ce réseau s’est lui-même aussi développé en nombre passant de 150 adhérents en 2012 à 305 adhérents en 2021 et en profil d’adhérents puisqu’une part importante des structures adhérentes ont évolué au fil des ans se transformant parfois en scènes conventionnées. Le Chainon a dû ainsi élargir sa palette artistique et proposer aussi bien des petites formes comme à son origine que des spectacles plus conséquents, et cela dans toutes les disciplines du spectacle vivant.
Au niveau du public, les 10 ans à Laval sont emblématiques : A notre arrivée, notre programmation sans tête d’affiche, générait peut-être une certaine méfiance. Aujourd’hui nous sommes à 94% de remplissage dans les salles avec une pleine adhésion du public lavallois, voire plus largement mayennais, qui ne voit plus forcément la dimension professionnelle du festival.
Avec la pandémie, les spectacles en création se bousculent. Comment avez-vous établi la programmation de cette 30e édition ? La sélection a-t-elle été encore plus compliquée que les autres années ?
Kevin Douvillez. C’est paradoxal. D’un côté, il devenait compliqué voire impossible de découvrir des projets émergents, de l’autre le Réseau s’est mobilisé pour maintenir des représentations professionnelles sur les territoires. 9 sur les 11 festivals Région(s) en scène(s) envisagées en 2020 ont eu lieu en présentiel permettant la présentation de près de 110 spectacles à près de 1 000 professionnels entre janvier et avril 2020. Ce repérage a débouché sur la sélection de 36 projets sur le festival. Le complément provient des échanges que j’ai pu avoir avec les adhérents, avec nos partenaires comme le Théâtre de Laval, les JM France, l’action culturelle de la Sacem, avec nos partenaires étrangers notamment au Québec, du repérage que j’ai pu réalisé les années précédentes ou sur vidéo, comme un bon nombre de programmatrices et programmateurs en 2021 ! En d’autres termes, l’union fait la force et a permis d’avoir une sélection de 71 spectacles aussi convaincants que les années précédentes ! Des spectacles qui pour la plupart, ont été créés mais n’ont pas pu circuler. Je suis très très confiant sur le bon accueil de ces spectacles.
En même temps j’ai toujours un peu peur pour les artistes !
Quels sont ses temps forts de cette programmation ?
Kevin Douvillez. Pour les 30 ans, nous avons invité 3 grandes formes d’arts de rue.
Mo et le ruban rouge de la cie l’Homme Debout, à l’initiative et en partenariat avec le Théâtre de Laval. Il s’agit d’un rêve déambulatoire d’une marionnette géante en osier, le parcours initiatique d’un enfant qui a tout perdu, sauf un ruban rouge, dernier vestige de sa vie d’avant. Ca sera le vendredi 17 septembre à 21h depuis le parking de la Cathédrale.
Le Grand débarras de la Cie Opus, une compagnie que je rêvais d’inviter depuis des années. Il s’agit d’un vide-grenier particulier dans lequel une certaine fantaisie va délicatement se propager pour laisser place à un flou entre la fiction et la réalité. Ce spectacle est accueilli grâce à la ville de Changé qui a fait le pari de s’aventurer dans cette petite folie. On pourra retrouver ce vide grenier un peu spécial le vendredi et le samedi au parc des Ondines de Changé à partir de 19h30.
Enfin, nous aurons le plaisir de retrouver la Cie Paris-Bénarès que nous avions malheureusement dû annuler l’année dernière avec leur nouveau spectacle Chevâl, animal monumental qui déambulera autour de la place de la Trémoilles le samedi (15h45 & 18h15) et le dimanche (14h et 16h15).
Vous êtes en contact avec quantité de troupes, d'artistes, de compagnies... Dans quel état d'esprit, selon vous, se trouvent tous ces acteurs culturels aujourd'hui ?
Kevin Douvillez. Ils sont d’un côté fragilisés par ces mois d’attentes, secoués par cette reprise haletante et inquiets vis-à-vis de l’avenir. Mais ils sont aussi avides de reprendre et d’être en contact avec le public. Ils ont bien souvent reconsidéré leur position, leur manière de faire, ouvrant vers une réelle et probable mutation des usages. Qu’ils soient artistes ou directrices.eurs, cette crise est pour bon nombre l’occasion d’interroger nos habitudes et d’être plus juste dans nos pratiques au quotidien avec une envie de proximité commune. Le Réseau Chainon répond depuis son origine à cela.
Merci Kevin Douvillez. Plus d'infos, les dates, les horaires sur le site du festival