Depuis plus de quarante ans, l'Ile de Noirmoutier réutilise un tiers de ses eaux usées pour l'irrigation des cultures de pommes de terre. Une solution trouvée à l'époque pour faire face à la sécheresse. Un modèle d'avenir, face à l'urgence climatique.
Cela fait plus de 40 ans que l'Ile de Noirmoutier recycle ses eaux usées via ses deux stations d'épuration. La technique a permis aux producteurs de pommes de terre, majoritaires sur l'île, de sauver leur filière, les années de fortes sécheresse.
Elle permet également à la communauté de communes d'économiser son eau. Car c'est la particularité et la complexité de Noirmoutier: Sur l'île, il n'y a aucun point de captage. L'eau est importée du continent.
Recyclage naturel
L'île possède deux stations d'épuration. Celle de la Casie qui traite les eaux de la commune de Barbâtre. Et celle de la Salaisière, la plus grande qui traite les eaux usées des communes de L'Epine, de Noirmoutier et de la Guérinière.
"Les eaux sont traitées de façon naturelle sans aucun ajout de produits chimiques. Ce sont les bactéries déjà présentes dans les eaux usées qui assurent la dépollution", explique Cyril Groslier, technicien en charge de l'assainissement.
Les eaux usées sont par définition toutes les eaux issues des habitations ; eau de vaisselle, douche, toilettes notamment, à l'exclusion des eaux pluviales.
Une fois ces eaux arrivées à l'entrée de la station d'épuration, les éléments solides sont d'abord séparés du liquide. Le liquide arrive ensuite dans un bassin d'aération. Les bactéries naturellement présentes sont aérées via des turbines.
Aucun ajout de produit chimique. Seules sont rajoutées des boues issues de ces mêmes eaux décantées dans un bassin parallèle. Des boues naturelles réinjectées pour accélérer le traitement.
Ce sont ces boues qui donnent une couleur très brune aux eaux traitées naturellement. Et une fausse impression de saleté ou d'impureté.
Une fois dépolluée et décantées, les eaux épurées sont stockées dans des lagunes.
"Dans les lagunes, les rayons UV du soleil achèvent la pollution bactériologique avant le rejet en milieu naturel ou l'irrigation", précise Cyril Groslier.
Au total, 1,15 millions de m3 d'eau sont ainsi traités chaque année par ces deux stations. Un tiers, 500 000 million de m3, soit l'équivalent du volume d'eau d'environ 270 piscines olympiques, est réutilisé ensuite pour l'irrigation des champs. Et ce depuis 1976, année de grande sécheresse.
Normes strictes
"Sans cette chance d'avoir cette eau disponible, la pomme de terre ne serait peut être plus cultivée sur l'île, et mon exploitation aurait peut être disparu", raconte Laurent Tessier.
Ce producteur de pommes de terre possède 14 hectares sur l'île. Il est aussi le président de l'association syndicale de drainage et d'irrigation à laquelle adhère la trentaine d'agriculteurs de Noirmoutier. Les années de forte sécheresse, agriculteurs et élus main dans la main, ont été pionniers sur cette île vendéenne. Ils se sont organisés pour ne pas dépendre ni épuiser leurs réserves d'eau potable.
"Sur l'île, nous n'avons pas d’autre solution pour avoir de l’eau pour l’irrigation. D'autant que pour la pomme de terre, il faut en moyenne 800 à 1000 m 3 d'eau à l’hectare sur une culture" , renchérit le noirmoutrin.
En 1982, l'association a financé une station de pompage. 6 kilomètres de réseau sous pression qui font le tour des parcelles. Chaque parcelle est alimentée par une borne d'irrigation qui pompe l'eau depuis les lagunes de la station d'épuration.
Le seul coût pour les producteurs est celui du fonctionnement. Ils gèrent le réseau et le pompage. Mais l'eau est gratuitement mise à disposition par la collectivité.
Une eau épurée conforme aux normes européennes strictes d'irrigation. Et contrôlée toutes les semaines - 3 à 5 fois par semaine l'été en raison des chaleurs- par la SAUR, la société des eaux.
L'eau dépolluée et assainie est une fois de plus filtrée par le sable dans lequel est cultivé le tubercule. Elle n'entre donc pas en contact direct avec la pomme de terre. Une méthode économie en eau et écologique. Qui évite de rejeter la totalité des eaux de l'île recyclées, de l'eau douce, dans l'océan.
L'île de Noirmoutier est pionnière. En France, le recyclage des eaux usées est inférieur à 1%. Notre pays est en retard par rapport à certains pays européens comme l'Italie (8 % des eaux usées recyclées- et l'Espagne -14% des eaux usées recyclées. Et bien loin derrière des pays comme la Namibie ou même Israël qui utilise 90% de ses eaux recyclées notamment pour l'irrigation de ses cultures.
Modèle d'avenir
Noirmoutier utilise 1/3 de ses eaux usées. Quid des 2/3 restants jusqu'ici rejetés dans l'océan ?
"On pourrait envisager d’avoir une agriculture plus diversifiée avec des légumineuses, des légumes, plus de maraîchage", projette Dominique Chantoin, le président de l'intercommunalité et maire de la commune de l'Epine. "Nous avons encore des terrains inexploités dans la plaine de Barbâtre. Il faudra en revanche adapter la qualité de l’eau avec des compléments de traitement. Tout cela est à l'étude".
Pour l'élu, "il y a une évolution sociétale à mener". Une évolution, voire une révolution.