Des Algériens ou militants de l'indépendance sont placés sous surveillance dès 1958 dans le camp de Thol, à Neuville-sur-Ain. Un internement sans jugement en pleine guerre d'Algérie. Que reste-t-il aujourd'hui cette histoire ?
Il ne reste aujourd'hui que quelques baraquements dégradés et des murs de béton grignotés par le temps. Les vestiges d'une histoire oubliée sur quelques hectares de terrain pratiquement à l'abandon. C'est celle du camp de Thol, construit en 1939, entre la rivière et la route qui va de Pont-d'Ain à Neuville-sur-Ain.
Assignation à résidence et privation de liberté
Aujourd'hui, de petits pavillons bien alignés, aux façades saumonées, jouxtent l'ancien camp de Thol. Un voisinage tranquille et des habitants qui ignorent sans doute l'histoire des lieux.
Entre 1958 et 1961, près de mille hommes furent retenus en captivité dans ce qui fut un Centre d'Assignation à Résidence Surveillée. Des algériens sympathisants ou militants nationalistes du FLN y étaient internés sans aucune décision de justice.
D'abord site militaire, le camp de Thol deviendra à la fin des années 50 un des quatre lieux de privation de liberté pour les personnes en résidence surveillée dans le cadre de la guerre d'Algérie. Une histoire presque oubliée.
Le site de Thol était gardé par des CRS et des gardiens recrutés localement. Entouré de grillages et de barbelés, il était cerné de miradors comme l'atteste ce cliché d'un particulier.
"Les suspects qui étaient assignés, étaient principalement des gens du FLN. Il ne reste que quelques bâtiments où étaient placés les assignés. Beaucoup ont été démolis parce que dangereux et insalubres. On n'a pas forcément une idée précise de ce qu'était le camp", explique Arthur Grosjean, Professeur d'histoire et l'un des rares spécialistes de la question.
Pas de cellules mais les hommes s'entassaient dans des constructions : "c'étaient des conditions de vie d'une grande promiscuité. Il y avait 50 à 80 personnes par baraquement. Il y avait aussi une grande oisiveté. Ces hommes étaient privés de liberté, avaient très peu de contacts avec leurs familles ou leurs proches", explique l'historien évoquant ces internements administratifs.
C'est une privation de liberté avec des baraquements qui restent ouverts dans la journée.
Arthur Grosjean, historien
Ces captifs ne sont cependant pas soumis à un régime cellulaire. Les assignés à résidence sont libres de se promener la journée dans l'enceinte du camp de Thol. Un règlement intérieur et un couvre-feu sont instaurés. Ces hommes peuvent toutefois recevoir des visites de leurs avocats ou de leurs familles sur autorisation : "leur statut ressemble à celui des prisonniers mais à la place des cellules on a des baraquements et un espace ouvert", résume Arthur Grosjean.
Détourner les assignés du FLN
C'est une ordonnance de 1958 qui a permis et défini l’internement administratif des "personnes dangereuses pour la sécurité publique, en raison de l’aide matérielle, directe ou indirecte, qu’elles apportent aux rebelles des départements algériens."
Quel était l'enjeu pour l'administration française de ce camp ? "Il y avait une volonté de la part des autorités de profiter de la captivité de ces hommes pour essayer de les détourner du militantisme politique, du FLN", explique l'historien.
Parmi les moyens employés, des appelés avaient été recrutés pour leur proposer un programme éducatif ou de la formation professionnelle. Une action psychologique et sociale pour détourner les assignés de la lutte nationaliste. "On avait à faire à une population de jeunes hommes de milieux ouvriers, souvent arrivés d'Algérie sans être passés par l'école", résume l'historien. Cette politique à l'intérieur du camp a été un échec. Pourquoi ?
Mobilisation politique clandestine
"Comme dans tout enfermement politique, il y a eu une organisation clandestine du FLN qui s'est reconstituée, le but était de faire leur éducation politique et leur éducation tout court", explique Arthur Grosjean. Le FLN organisait de son côté des ateliers d'alphabétisation notamment. En toile de fond, une éducation politique pour de futurs militants.
Reste que le camp de Thol a connu peu de tentatives d'évasions. En revanche, la mobilisation des assignés était importante : "ils faisaient grève de la faim ou grève des poubelles pour réclamer un accès à la presse ou un accès aux soins... Il y avait une mobilisation régulière de ces hommes contre l'administration", raconte l'historien.
Que reste-t-il du camp de Thol?
Le fonds des archives départementales de l'Ain possède quelques documents officiels sur Thol. Des plans et notamment des fiches nominatives des Algériens assignés, établies par des infiltrés, membres des renseignements généraux.
Le camp de Thol était relativement modeste en taille, au regard du camp du Larzac qui pouvait accueillir quatre fois plus de personnes. Il existait deux autres centres en France : à Saint-Maurice-l’Ardoise et à Mourmelon-Vadenay. A la suite du rapport Stora sur la colonisation et la guerre d'Algérie, une plaque a été posée par la municipalité à l'entrée du camp aindinois. C'est la seule actuellement en France. Il n'existe pas de programme de conservation du site à ce jour.