Mal-être, dépression... les conséquences psychiatriques de la crise sanitaire se font sentir. Mais les professionnels de la santé mentale sont inquiets pour les mois voire les années à venir. Ils ont en tête la crise de 1929 et sa vague de suicides. D'où l'appel à la vigilance de soignants de l'Ain.
Elle dit qu'elle n'est "pas inquiète" mais "intellectuellement mobilisée". Nathalie Gualdo est psychiatre, les mots sont pour elle importants mais on se rend bien compte qu'une question la préoccupe. Elle répète : "comment va-t-on pouvoir former les citoyens à une forme de prévention de la santé mentale ?".
Et la responsable d'une unité de soins du Centre Psychothérapique de l'Ain poursuit:
Elle ne prononcera jamais le mot suicide. Pour Nathalie Gualdo, les mots sont importants... elle n'est pas sûre du pire mais veut l'éviter. Il est peut-être encore temps."Imaginons. Mon voisin qui était cadre ou qui avait une entreprise a perdu son activité, et ça fait deux jours qu'il n'a pas ouvert ses volets. Comment, moi, citoyen je vais repérer des choses pour alerter, pour l'aider ? Cet homme qui est seul chez lui, il n'a plus les moyens physiques et psychiques d'aller chez son médecin... La réponse, ce sera forcément une approche communautaire. Ensemble, en étant tous vigilants, voilà comment nous pouvons mener une prévention active. L'entraide devrait permettre d'éviter les risques, d'éviter que ces gens décompensent."
Les spécialistes s'accordent sur un point : une crise a des effets à retardement. "Il faut une destructuration, la désorganisation de la société, de l'économie. On l'a vu en 1929 aux Etats-Unis" (les effets se sont faits sentir tout au long des années 30, avec de nombreux drames humains).
L'appel aux élus, aux médecins...
"Moi, j'en appelle aux élus locaux, j'en appelle à l'ARS (Agence Régionale de Santé), j'en appelle aux médecins généralistes. Il va falloir mettre en place une veille, mettre en place une prévention primaire active sur nos populations pour cibler ces personnes qui vont être fragilisées sur le plan de leur santé mentale.""Je veux mobiliser des acteurs de la psychiatrie, du champ social, du champ politique pour, en tout cas dans le département, essayer de mettre en place une stratégie de prévention des risques du Covid.""La question c'est, comment va-t-on repérer ce public avant des troubles psychiatriques graves. Il faut compter sur les ressources environnementales, la famille certes mais la société dans son ensemble. Les gens fragilisés devront ensuite retrouver une bonne image de soi, une estime de soi, une qualité de vie... c'est tout ça la fragilisation de la santé mentale."
Reportage Franck Grassaud & Maryne Zammit
Du stress au traumatisme
Pour l'heure, les soignants notent une montée en puissance du stress. Pour y répondre, le CPA a mis en place la plateforme téléphonique "Echo Santé Mentale" au 04.74.52.24.40."Quand on vit un choc, on a d'abord un mouvement résiliant qui fait qu'on ne va pas trop mal. Au bout d'un moment, on se rend compte que des symptômes arrivent", relève Guillaume Pégon, psychologue au CPA et sociologue. "On a des difficultés à dormir, à se nourrir, de l'anxiété, des signes de dépression. On a alors les symptômes d'un trauma qui est en train de se faire."
"Souvent, quand on parle de santé mentale on pense à des gens qui ont des problèmes mentaux, des troubles psychiatriques. Là, je trouve que globalement on prend conscience qu'on peut tous être touchés et donc que la santé mentale, c'est l'affaire de tous", ajoute Guillaume Pégon qui compte lui aussi sur "le collectif" pour s'en sortir. Il estime que le soutien aux autres est "presque un devoir civique". D'après lui, le lien social est le premier médicament.