Ils étaient plus de 5000 touristes le week-end dernier à se presser dans les ruelles de Bard, un petit village d'une centaine d'habitants, situé dans la vallée d'Aoste en Italie. Accourus à la seule évocation du nom de Napoléon, les visiteurs sont venus de l'Europe entière pour mettre leurs pas dans ceux de l'empereur des Français.
C'est dès le milieu de l'après-midi du vendredi 2 juin, qu'à peine descendues du col du Grand Saint Bernard, les troupes de l'empereur ont commencé le siège de la forteresse de Bard dans la Vallée d'Aoste... Comme en ce mois de mai 1800. Ils étaient tous là : du 37e régiment d'infanterie de ligne venu de Montpellier, aux grenadiers de la Garde impériale accourus de Migennes, en passant par le 17e régiment d'infanterie de Moulins, les grognards de Fontainebleau ou le 4e hussard de Fareins venu de l'Ain...
Tout ce que la France et l'Europe comptent d'associations reconstituant les guerres de l'Empire s'est retrouvé pour 3 jours de festivités au pied de celui que Napoléon lui-même avait appelé : "le vilain castel de Bard".
"Vilain", car défendu par les 400 hommes des armées coalisées d'Autriche-Hongrie et du royaume de Piémont-Sardaigne, il donna bien du fil à retordre aux 40 000 hommes de l'armée de réserve d'un premier consul nommé Bonaparte. À tel point qu'au bout de 15 jours de siège, après l'avoir enfin investi, le futur empereur le fit purement et simplement raser !
Quand la défaite est...belle !
"C'est justement cette histoire de défaite dans la fierté. De la petite armée vaincue par la grande...mais avec les honneurs qui attire le public italien dans cette manifestation", explique Ornella Baderi, la directrice de la forteresse de Bard, aujourd'hui transformée en un somptueux musée des Alpes. "Parce que pour le reste, c'est une période de son histoire où l'Italie a plutôt subi les évènements, qu'elle n'a été actrice de son destin."
Et puis, dans un pays qui aime les beaux habits, l’esthétique des costumes militaires de cette époque exerce aussi une certaine fascination sur le grand public".
Une opinion pleinement partagée par les jeunes touristes italiens coiffés du bicorne impérial ou du tricorne révolutionnaire qui, dans les ruelles du bourg d'une centaine d'habitants, forme une haie d'honneur aux troupes impériales.
"Moi, ce qui me plaît le plus dans Napoléon, c'est son costume", déclarait l'un d'entre eux interrogé par nos confrères de la télévision italienne. Sous l'oeil d'un père aux anges : "Ce n'est pas un spectacle banal. Vraiment ! Les enfants sont ravis. Et en plus, c'est un vrai cours d'histoire qui se déroule là, sous leurs yeux".
Un printemps au pas de charge
L'Histoire, la grande, c'est elle qui, depuis 25 ans, fait courir l'Aindinois Jean Boyer à chaque printemps. Le bivouac de 3 jours au fort de Bard est déjà son 4e cette année.
La faute à une période napoléonienne particulièrement riche en voyages qu'il suit à la trace de Golfe Juan en mars (retour de l'île d'Elbe) à Corps et Laffrey en Isère (prairie de la rencontre), et jusqu'à Auxonne ou Fontainebleau (membres du réseau Villes Impériales), le président de l'Association Maréchal Suchet basée à Fareins dans l'Ain enchaîne les reconstitutions historiques en France, en Allemagne, ou comme ici en Italie.
"Hormis pendant le Covid, on n'a pas raté une seule édition de 'Napoleonica' au fort de Bard", explique celui qui avoue être tombé dans la passion "Napoléon" à cause de sa femme "qui lui avait offert des livres de l'historien André Castelot pour passer le temps pendant son service militaire".
A 73 ans, Jean Boyer peut en tous cas s'enorgueillir d'avoir fait davantage de campagnes d'Italie que son fameux héros. Il faut dire que de Cherasco, à Marengo dans le Piémont voisin, presque partout où est passé le premier consul il existe une reconstitution en costumes d'époque.
"Au 4e hussard, on a ni velcro ni fermeture éclair sur nos tenues... On fait tout à l'identique", précise fièrement le hussard d'origine lyonnaise.
Pas étonnant que sa douzaine de hussards figurent parmi les piliers du rendez-vous du fort de Bard... et pas seulement lors de la prise d'assaut de la forteresse manu militari.
"Ce que j'aime en vallée d'Aoste, c'est qu'ils parlent bien français et que l'on peut se retrouver ensemble dans une taverne et refaire le monde".
Imaginer l'Europe d'aujourd'hui sans la défaite napoléonienne par exemple ? "Pas le moins du monde", s'en défend-il. "Même si l'on doit à Napoléon des choses aussi importantes que le code civil, les lycées ou la création du corps des préfets, on ne cherche pas à faire de propagande".
"Chez nous aussi, en Italie, il nous reste quelques héritages de cette période, confirme la directrice de la forteresse. L'établissement du cadastre, par exemple".
Preuve que sur les restes d'un "vilain castel" de Bard, aujourd'hui transformé en lieu d'une culture alpine commune, la paix des braves a fini par l'emporter.
"D'autant qu'ici à Bard, on est toujours bien accueillis. Par exemple, ici, on nous rembourse nos frais", tient à conclure le hussard Boyer. Une façon d'évoquer une reconstitution en costume de triste mémoire à laquelle son 4e hussard a participé il y a quelques années. Son nom ? Waterloo... évidemment !