REPORTAGE. Présidentielle 2022 : A Montluçon, l'enfer des déserts médicaux. Témoignages.

Comment se soigner aujourd'hui, alors que l'on manque tant de médecins ? C'est une question que l'on se pose un peu partout en France. Et particulièrement dans l'Allier. A Montluçon, en 2021, 7000 personnes n'avaient pas de médecin traitant. Un cabinet vient donc de s'ouvrir avec l'aide de la mairie et de la CPAM pour salarier des médecins notamment retraités. Il est assailli de demandes de patient.

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A l’occasion de l’élection présidentielle et des élections législatives de 2022, France 3 rejoint France Bleu et sa grande consultation citoyenne baptisée  #Ma France2022, en partenariat avec Make.org. L’occasion de vous donner la parole autour de sujets qui font (ou devraient, selon vous, faire) l’actualité de la campagne. Au cœur de vos préoccupations: les déserts médicaux. Reportage à Montluçon dans l'Allier dans un centre de santé qui vient d'ouvrir avec des médecins retraités pour tenter d'offrir un médecin traitant au millier de personnes qui n'en ont pas sur la ville.

Elle s’est approchée de la banque d’accueil. De l’autre côté, la secrétaire l’écoute. Elle vient pour une amie. Son médecin traitant l’a lâchée le matin même. Elle est gravement malade. Elle ne peut pas se déplacer. Il lui faut des soins. Même si la situation est urgente, la secrétaire répond avec la prudence habituelle : « En ce qui concerne, les visites à domicile, il faut que je fasse une note pour le médecin. Il est le seul à les faire et il est déjà surbooké » Mais la dame a de la chance, le docteur en question, installé depuis peu dans le quartier Bien-Assis à Montluçon dans l’Allier, se tient à quelques mètres. « Bonjour, excusez-moi de vous déranger. » La dame y va avec prudence. Elle sait qu’elle demande une faveur. Elle sait qu’elle tente le tout pour le tout. La santé de son amie est en jeu. Le médecin pose la main sur son épaule et découvre à son tour la raison de sa détresse. «  Je ne vous apprends rien en vous disant que nous ne prenons plus de nouveaux patients mais je vais vous dire oui quand même et ce n’est pas parce que France 3 est là. » Les yeux bleus de la dame s’embrument d’émotion. Elle ne remarque pas la présence de la journaliste qui prend des notes. Le soulagement est trop fort.  « Vous ne pouvez même pas vous imaginer ! » Elle fixe le médecin avec toute la reconnaissance possible. La secrétaire lui demande ses coordonnées. Le médecin disparaît dans son cabinet.  

Les chiffres sont implacables. La démographie médicale dans l’Allier, comme dans beaucoup de régions en France, est en chute libre. Selon la sécurité sociale, il y avait 229 médecins généralistes dans le département en 2020. Ce qui fait 69 pour 100000 habitants. En France, on en compte 78 pour 100 000 habitants.

Des médecins bourbonnais un peu plus vieux qu’ailleurs : la moyenne d’âge est de 51 ans. La plus élevée d’Auvergne. Et même à la retraite, ils choisissent de rester actifs. Plus de 40 % des retraités continuent de travailler. En 2021, selon l’atlas de l’Ordre des médecins, ces retraités bourbonnais toujours actifs représentaient 14 % des effectifs de médecins. C’est deux fois plus qu’au niveau national.

A Montluçon, en 2022, trois médecins généralistes vont partir à la retraite.  Alors qu’il n’en reste que 19 pour 34 000 habitants. Il suffit d’aborder le premier Montluçonnais qui passe pour tomber de suite sur une personne sans médecin traitant. Il se nomme André, bientôt 79 ans. Les mains dans les poches, il déambule tranquillement sur le boulevard Courtais, l’artère commerçante du centre-ville. « Cela fait deux ans que je n’en ai plus sur Montluçon, il est parti à la retraite. Et encore, il s’est arrêté à 72 ans ! » Une situation qui ne le stresse pas. Déjà le monsieur est de nature placide et surtout il a trouvé la parade. « J’ai un médecin traitant à la campagne. » André a la chance de disposer d’une résidence secondaire dans le Puy-de-Dôme. « Là-bas, il y a une jeune qui nous prend. C’est pas mal car c’est un pôle de santé où il y a tout : un laboratoire d’analyses, un podologue. Et quand notre médecin est absente, l’hôpital de Clermont envoie un interne qui assure le remplacement. C’est plus pratique qu’ici. » Sa maison de campagne, maintenant, lui sert pour les vacances d’été et dès qu’il a besoin d’un rendez-vous médical. Pas plus inquiet que ça, non, il est en bonne santé.

Un homme surgit d’une voiture. Son fils apparaît du côté passager. Eux aussi ont adopté le nomadisme médical. «  Pour l’orthophoniste, l’ophtalmologiste, c’est à Clermont. » Sans s’alarmer, un brin fataliste. «  On s’adapte, on pose des congés pour se rendre aux rendez-vous, c’est à une heure d’ici. » Nicolas, 49 ans, et son fils s’en retournent à leurs obligations. Ils se mettent à courir sur le trottoir. Ils étaient pressés.

Un peu comme Valentin, 24 ans. Le pas est rapide et décidé. Un objectif : la baguette de pain dans la boulangerie vers laquelle il se dirige tout droit. Elle attendra un peu. « J’ai toujours eu un médecin traitant pour le moment, c’est celui qui me suit depuis que je suis petit.» Il s’agit d’une femme et elle n’est pas encore en âge de partir à la retraite. Valentin n’en a pas conscience mais il fait partie des chanceux. En 2021, 7000 personnes étaient sans médecin traitant à Montluçon. Il expérimente malgré tout à son niveau le manque de médecins sur sa ville. « A l’hôpital au niveaux des urgences, c’est une catastrophe. » Le jeune homme pratique le foot, il a connu quelques petits accidents, notamment au genou. « Au niveau des médecins là-bas, c’est zéro ! Ils sont mauvais. Ils ne trouvent jamais ce qui ne va pas », assène-t-il, avant de s’engouffrer dans la boulangerie.

L’histoire de Marie-Thérèse, 66 ans, est plus inquiétante. Ou plutôt celle de son mari. « En octobre 2020, mon mari a eu le covid, il n’avait plus de médecin car le sien avait quitté Montluçon pour s’installer ailleurs », raconte-t-elle. « Il n’a pas pu trouver un seul médecin pour le recevoir. » C’est le cabinet médical des petites urgences installé à l’hôpital qui le recevra et l’hospitalisera immédiatement. « Il est resté quinze jours sous oxygène », se souvient-elle. Depuis, son mari a trouvé un nouveau médecin traitant. Marie-Thérèse, elle, en cherche toujours un. Mais elle est en bonne santé. Pour l’instant.

« Que devons-nous dire aux patients ? Certains appellent toutes les semaines. » Les deux Sandrine ont pivoté sur leur chaise, elles font face au président de l’association qui gère le centre de santé de Bien-Assis à Montluçon. Chaque jour, ces deux secrétaires médicales affrontent le désarroi des patients sans médecin traitant.  Les nouvelles sont bonnes. Entre avril et août, cinq nouveaux médecins généralistes vont venir faire des vacations au cabinet. Et l’un d’entre eux sera même là à plein temps. Quelques spécialistes vont aussi se rajouter à la liste. « C’est pas mal ! Ca nous rassure »,  répond Sandrine, celle aux cheveux longs. « Et combien de patients inscrivons-nous par médecin ? » Jacques Simonnet, le président, se lance dans un compliqué calcul. « Ils feront 20 heures par semaine. 800 patients chacun, ça me paraît beaucoup. Vous en êtes où des rendez-vous ? » Sandrine, celle avec le carré châtain, annonce que l’agenda est rempli jusqu’à mi-avril déjà. Jacques Simonnet reprend son calcul. Le cabinet a pris en charge 1500 patients à son ouverture il y a deux mois et demi, il pourra en accueillir 1500 de plus d’ici l’été. « Donc, il n’y aura plus que 4000 personnes sur les 7000 qui n’avaient t pas de médecin traitant à Montluçon. » Secrétaires comme président, tout le monde ressent une grande satisfaction. Les efforts commencent à payer.  

Car c’est la même histoire qui se rejoue chaque jour dans ce cabinet d’un des plus grands quartiers populaires de Montluçon. Une petite dame, en blouse de grand-mère, sabots blancs aux pieds. Un accent. On l’imagine du Portugal. Mais il vient certainement de quelque part en Europe de l’Est. Ou peut-être même d’ailleurs. On n’est pas doué pour les accents. « C’est pour prendre un rendez-vous. C’était mon médecin traitant avant ici. » Sandrine, avec le carré châtain, ne peut que répondre : «  Pour le moment, on ne prend plus de nouveaux patients. » Le téléphone qui sonne quelques minutes plus tard. Toujours Sandrine avec le carré châtain : « Ce matin, on vient de nous annoncer avril pour la prise de nouveaux patients. N’hésitez pas à nous rappeler. » 

Refuser encore et encore : « C’est tout le temps, c’est notre quotidien, on ne les compte plus ! » Sandrine avec les cheveux longs, ajoute: «  Beaucoup de gens peuvent même être agressifs car ils ne comprennent pas. » Une affiche sur le comptoir indique désormais que toute agression fera l’objet d’une plainte. Et quand le patient fait partie des chanceux qui décrochent un rendez-vous : «  C’est le soulagement », déclare Sandrine au carré. «  J’ai même eu des gens en pleurs au téléphone, souvent des personnes âgées. C’était le rayon de soleil de la journée. Ce matin, il y a même eu un patient qui n’avait pas vu de médecin depuis quatre ans ! »  

Efficacité

Un cabinet débordé à l’accueil et pourtant la jolie salle d’attente colorée est vide. G. P., le médecin, est même devant sa porte dans le couloir à attendre. « Je suis en avance ! Je suis un vieux, j’ai l’habitude ! », s’amuse celui dont on ne peut donner le nom. Pour l’Ordre des médecins, ce serait de la publicité. L’homme en est à sa 41e année de médecine. Il en impose par sa stature. Être efficace, il sait faire. Et ça profite à ses patients.

« Est-ce que vous pouvez venir maintenant ? Le médecin vous attend. » Sandrine au carré châtain raccroche. Frédéric, 31 ans, arrive quelques minutes plus tard. Il aura son arrêt de travail sans rendez-vous. Entre deux patients. « C’est la deuxième fois que je viens ici. Ce sont les seuls qui ont voulu me prendre », confie ce Montluçonnais, resté un an et demi sans médecin traitant. « Je l’ai assez mal vécu car j’étais en dépression, ce n’était pas le meilleur moment. » 

Au tour d’Elodie, 36 ans. Elle est venue en jogging. Elle n’est pas inscrite au cabinet. Mais elle a de la fièvre et des courbatures. Elle cherche désespérément un médecin. Sandrine aux cheveux longs ne voit pas de solution. S’apprête même à lui conseiller de contacter un service de téléconsultation. Jacques Simonnet, le président, l’entend et s’y oppose. « Ce sont des consultations sans auscultation ! », se fâche-t-il presque. Elodie décide alors de s’en aller quand soudain : « Allez vous asseoir, y a de la la place. » Un patient n'est pas venu à son rendez-vous. G. P. la reçoit sur le pouce. Etat grippal, dix jours d’arrêt de travail. Elle rentre chez elle se reposer. Plus besoin de courir après tous les cabinets médicaux de la ville. « Quand nous pouvons arranger les gens, nous le faisons », confie la secrétaire.  

« Asseyez-vous ! Alors, on commence par les papiers. Votre carte vitale ! » Un homme et sa mère de 78 ans se sont installés devant G.P. C’est la première fois qu’ils rencontrent le médecin. Ils sont venus faire renouveler leurs ordonnances. Avant, ils devaient faire 30 km pour avoir un rendez-vous. Un médecin, ici, dans leur ville, c’est quand même plus pratique. « Pas de changement dans le traitement ? » Le médecin consulte le dossier médical des ces deux personnes et commence ses prescriptions.  

G.P. assure deux journées de vacation par semaine au cabinet de Bien-Assis en tant que salarié. Retraité depuis deux ans, il n’arrive pas à raccrocher. « Ce n’est pas un sacerdoce, mais nous aimons bien notre métier, nous les vieux ! Et puis arrêter du jour au lendemain et passer de douze heures par jour à plus rien ! Et il y a un grand besoin de médecins dans la population. »  Aujourd’hui, ces médecins retraités actifs sont de plus en plus nombreux. Dans l’Allier, ils représentent 14 % des effectifs. Un chiffre qui ne cesse de croître.

G.P. est l’un des deux médecins du cabinet de Bien-Assis. Ce dernier a rouvert  en janvier 2022. Une première tentative de créer un centre de santé avec des médecins salariés avait échoué au bout de dix mois en 2021. 

Aujourd’hui, G.P. est l’un des rares à Montluçon à accepter encore de faire des visites à domicile le soir. Il a une dent contre la nouvelle génération. « Quand j’étais interne, nous nous battions pour faire des remplacements ! Alors que nous ne touchions que 50 % de ce que les patients versaient. Aujourd’hui, ils sont bien payés, ils ont des récupérations et on ne trouve pas de remplaçants ! » Trop de confort et et le drame d’une civilisation de loisirs qui se développe. Ce médecin s’en désole. Mais concède : «  Bon, fallait être fou pour faire ce que nous faisions ! J’étais aux urgences à Clermont de 8h à 14h, le soir je faisais une contre-visite et j’attaquais ensuite une garde au SAMU. » Avant d’enchaîner à nouveau avec les urgences le lendemain matin. « Nous dormions dans les ambulances, nous apprenions à dormir au coup par coup. » Il le reconnaît, la vie de famille en prenait un coup. « Mais on est en médecine, non ? On fait médecine par vocation ! » L’homme rajouterait bien au concours de médecine un entretien pour tester la motivation des candidats.  S’assurer qu’ils ne choisissent pas cette voie juste pour le prestige. Stéthoscope autour du cou, lui, à 67 ans, se morfond quand il n’y a personne dans son cabinet. « J’ai quelqu’un là ? » Les secrétaires lui indiquent une femme dans la salle d’attente. Elle se lève, la porte du cabinet se referme. 

 

Bientôt, G.P. ne sera plus le seul « vieux » du cabinet. La majorité des médecins qui vont arriver d’ici août seront des retraités qui chercheront, comme lui, des vacations, sans avoir à gérer les contraintes administratives. Le but est de créer une dynamique dans un centre de santé rénové à neuf par la mairie. Et d'attirer à terme les médecins jeunes. « Parce que nous n’allons pas non plus travailler jusqu’à 90 ans ! »  

Il est onze heures passées. Un afflux de patients, des coups de fil à foison, une livraison d’un laboratoire viennent de mettre en surchauffe les deux Sandrine à l’accueil. Une accalmie s’installe. Le patient de 10h45, un enfant pour un vaccin, ne s’est pas présenté. G.P. échange avec l’infirmière qui est sortie de son cabinet installé au bout du couloir. Il attend un café à la main, les yeux tournés vers la grande baie vitrée qui donne sur la petite place du centre commercial du quartier. Le désœuvrement, même pour quelques minutes, ce n’est décidément pas son fort. Une dame aux cheveux bordeaux franchit la porte. « C’est bon ! C’est pour toi ! » G.P. l’accompagne dans son cabinet. Une nouvelle histoire à écouter. De nouveaux maux à soigner.          

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