La caravane des glaciers a amené des glaciologues et des défenseurs de l'environnement à se pencher une nouvelle fois, au cours de l'été 2023, sur l'état de santé de six glaciers italiens, suisses et autrichiens. Leur constat fait état d'une année noire pour l'environnement de montagne.
"À chacune des campagnes de notre caravane des glaciers, on a trouvé des motifs d'étonnement. Mais cette fois, on a vraiment été stupéfaits de ce que l'on a vu." Vanda Bonardo, responsable de la zone Alpes pour l'association de protection de l'environnement Legambiente, n'a pas pour habitude de mâcher ses mots. Mais pour présenter le quatrième rapport issu des observations estivales de la caravane de scientifiques de son association et du Comité des glaciologues italiens (CGI), son ton se fait volontiers alarmiste.
"Encore pire que ce que l'on pensait"
"On voit bien que crise climatique n'arrête pas sa course. Bien au contraire, elle semble accélérer à un rythme incroyable. L'histoire que nous racontent les glaciers sur lesquels nous nous sommes rendus est encore pire que ce que l'on pensait", résume-t-elle.
Sur les six glaciers parcourus - Ruitor, vallée d'Aoste ; Belvere, Piémont ; Dosdè, Lombardie ; Lares, Trentin ; Ochsentaler, Autriche et Morteratsch, Suisse -, partout la croûte glaciaire perd en superficie et en épaisseur. Elle se désagrège par morceaux entiers, avant de descendre toujours plus bas sous forme d'éboulements, d'avalanches, de coulées de roche et de glace.
Le glacier de Lares, en Lombardie, est celui qui a perdu le plus en superficie : de ses 6 km2 relevés en 1960, il s'est réduit à 4,8 km2 en 2003, pour finalement se limiter à 2,8 km2 en 2023. Soit plus de 50 % de glace disparue en seulement 60 ans.
Plus près de nous, en vallée d'Aoste, le glacier du Ruitor - sur la commune de la Thuile, voisine de la station savoyarde de la Rosière -, a perdu une épaisseur équivalente à 4,6 mètres d'eau : la plus grosse perte enregistrée lors des 22 dernières années.
"A ce rythme-là, dans 15 ans, le glacier de la Marmolada [où une chute de sérac avait causé la mort de 10 personnes et fait deux disparus dans le Trentin en juillet 2022, NDLR] aura totalement disparu", constatent les auteurs du rapport. Qui pourra s'en étonner quand on sait qu'en un siècle, il a perdu pas moins de 70 % de sa superficie et plus de 90 % de son volume.
L'isotherme 0 °C à plus de 5 000 mètres d'altitude
La cause principale de ce recul historique des glaciers des Alpes occidentales ne provient pas tant du manque de neige. Le volume des précipitations de l'hiver 2022-2023 est resté au même niveau que les minimums historiques déjà atteints l'année précédente. En revanche, la persistance de l'onde de chaleur de l'été dernier a été dévastatrice.
"La permanence d'un isotherme 0 °C très élevé pendant des jours et des jours a été funeste", explique encore Vanda Bonardo. "Pour le comprendre, il suffit de constater que fin juillet dernier, sur les Alpes suisses, la limite pluie-neige est restée bloquée durablement autour de 5 200 mètres d'altitude".
Autre record battu l'été dernier : celui des jours sans gel à 4 554 mètres d'altitude. Celle du plus haut refuge d'Europe. Là encore du jamais vu : la capanna Margherita, dans le massif du monte Rosa (Vallée d'Aoste), n'a enregistré aucun épisode de gel entre le 4 et le 8 septembre.
Lacs "sauvages" et éboulements
Autre situation préoccupante soulignée par le rapport italien : la formation d'un nombre sans cesse grandissant de nouvelles étendues d'eau glacière. Dues au recul progressif des glaciers, ces apparitions sont généralement accompagnées d'une transformation significative des lacs existants.
Ils peuvent, selon la géomorphologie du terrain, s'agrandir, se rétrécir ou parfois purement et simplement disparaître. À l'image de la vallée d'Aoste où, entre 2006 et 2015, le nombre total de lacs d'origine glaciaire a presque doublé, avec l'apparition de pas moins de 170 nouveaux lacs.
Autant d'éléments qui accentuent les phénomènes d'instabilité chronique des terrains en haute altitude. Les coulées de boue détritiques, charriant quantité de débris, constituent désormais l'essentiel de ces phénomènes : plus de 60 % des cas entre 2022 et 2023. Elles ne représentaient pourtant que 20 % des mouvements de terrains enregistrés sur la période 2000-2021.
Tisser une alliance européenne
Face à toutes ces mutations glaciaires à grande vitesse, le rapport préconise des solutions. "Il faut promouvoir ce qui va dans le sens d'une cohabitation possible avec la crise climatique", a déclaré à la presse Giorgio Zampetti, directeur général de Legambiente, lors de la journée internationale de la montagne, le 11 décembre. "Notre adaptation à tous ces défis nécessite que nous ajustions notre conduite. Elle ne doit pas être envisagée comme la seule réponse à une situation d'urgence."
Parmi les actions à mener, le rapport préconise donc de tisser une véritable "alliance européenne pour une gouvernance en commun des glaciers et de leurs ressources connexes." C'est le thème central d'un manifeste déjà présenté en Suisse en septembre dernier, en même temps qu'un catalogue de 7 actions fondamentales.
"Ce patrimoine de connaissances scientifiques que nous avons recueilli pendant notre caravane des glaciers, nous l'avons partagé avec des élus de montagne, des citadins, des techniciens, des touristes, tout au long de son parcours", a expliqué Marco Giardino, le vice-président du Comité glaciologique italien, en conclusion de sa présentation. "Non pas seulement pour leur expliquer l'urgence à agir, mais pour repenser le présent des territoires de montagne à la lumière de ce qu'il adviendra après nous".
"Il est possible que la situation soit plus avancée encore que ce que l'on a vu l'été dernier", explique pour sa part Vanda Bonardo. "Un glacier, c'est un peu comme un congélateur : lors d'une panne d'électricité, il perd sa glace petit à petit et tant que vous n'avez pas ouvert la porte, vous n'êtes jamais sûr de ce qu'il se passe à l'intérieur".