Rats taupiers dans le Cantal : « Il y a des agriculteurs qui se retrouvent sans herbe et sans fourrage pour leurs animaux »

Les rats taupiers ont fait leur retour dans le Cantal, au désespoir des agriculteurs qui, pour certains, voient leurs parcelles dévastées. Selon un organisme de défense contre ce nuisible, " on estime que 85 à 90% des terres du département sont touchées par ce fléau."

Le rat taupier fait à nouveau des ravages dans le Cantal, au grand dam des agriculteurs locaux, impuissants face aux dégâts causés par le rongeur. Ce nuisible pullule dans le département depuis l’automne, comme dans l’exploitation de Pierre Baladuc, située au Vigean : « Je suis touché, mais c’est vrai qu’autour de moi, il y a des parcelles qui sont complètement détruites. On est au pic de la pullulation. C’est localisé, il y a des secteurs qui n’avaient pas l’habitude d’en avoir et qui sont complètement infestés. Certains de mes collègues essaient de faire du maïs, apparemment ils en sont moins gourmands. C’est une des solutions pour faire un peu de stock. »

"Augmenter le dosage de précaution"

Des moyens de lutte existent. Sur ses terres, l’exploitant utilise du Ratron pour se débarrasser des rats taupiers, mais c’est selon lui insuffisant : « Pour bien faire, il faudrait augmenter les dosages de précaution. Là, j’ai droit à 2 kilos par hectare mais j’aurais besoin de beaucoup plus pour que ce soit vraiment efficace. Je voudrais aussi augmenter le seuil d’intervention. Que les produits soient moins chers aussi, ce serait bien. Pour pallier le manque de main d’œuvre, il faudrait développer la robotisation, ça se fait bien pour désherber, pourquoi pas pour les rats ? »

1 000 à 1 200 rats par hectare

La problématique n’est pas nouvelle, comme l’explique le président de la Fédération Départementale Des Groupements De Défense Contre Les Organismes Nuisibles (FDGDON) du Cantal, Simon Veschambre : « On en parle depuis maintenant plus de 30 ans. On avait à l’époque des vagues de pullulation. On montait, sur des secteurs, à plus de 1 000 ou 1 200 par hectare. La grosse problématique qu’il y avait à l’époque c’était de répondre à cette invasion par un produit chimique. On avait la bromadiolone, un anticoagulant. On luttait avec des charrues. Ensuite, les pullulations ont disparu et sont revenues 10 ans plus tard, dans les années 2000. Les pullulations se sont resserrées, jusqu’à 2016, la dernière. On a toujours aujourd’hui un fond, une présence permanente et importante de rats taupiers dans certains secteurs. » 

Moins de fourrage, moindre qualité...

Ce sont les monticules de terre créés par le rat taupier qui provoquent les dégâts sur les exploitations : « Les rats taupiers mangent les racines et derrière, il y a un manque de fourrage pour les animaux en période estivale. Quand on récolte notre foin, on a des pertes en termes de densité et de quantité. Il y a aussi une mauvaise qualité des fourrages que l’on récolte, puisqu’on récolte aussi de la terre. On a aussi la problématique de la qualité du lait, ensuite, et la qualité de la flore. On n’aura pas forcément la même qualité de flore qu’on connait en zone volcanique et dans le département du Cantal », explique Simon Veschambre.

"D'un coup, ça a été l'explosion"

Ces mauvaises récoltes ont des conséquences désastreuses sur les exploitations : « Il y a des agriculteurs qui se retrouvent sans herbe et sans fourrage pour leurs animaux, ou des fourrages de très mauvaise qualité avec de la terre dedans. On a des situations économiques très difficile à gérer. On estime que 85 à 90% des terres du département sont touchées par ce fléau. Chaque exploitation est différente, mais les pertes sont surtout économiques pour les agriculteurs qui sont obligés d’acheter la totalité du fourrage. » En effet, pour certaines parcelles, la population de rats taupiers connait une véritable « explosion », selon Simon Veschambre : « On a du mal à comprendre pourquoi la population augmente d’un coup. A l’automne 2021, il y avait à certains endroits une faible présence et, d’un coup, ça a été l’explosion. On est passé d’une centaine de rats à l’hectare, une population invisible à l’œil nu, à 1 200 rats par hectare en quelques jours. La parcelle est totalement ravagée. »

Des produits trop coûteux ?

Comme l’agriculteur Pierre Baladuc, il demande un allègement du protocole de dératisation :  « On souhaite alerter l’Etat. On a une problématique dans le protocole de lutte. On demande son allègement. La bromadiolone a été interdite l’an dernier, en décembre 2020 et remplacée par un produit à base de phosphure de zinc. Il est très intéressant car il n’a pas de rémanence sur la faune sauvage. C’est un appât à base de blé. Le rat taupier le mange et il se transforme en gaz au contact des sucs gastriques. Le problème, c’est qu’on n’a droit qu’à 2 kilos par hectare et par an. C’est aussi un produit qui coûte 16 euros le kilo, ce qui rajoute un poids économique sur les exploitations. On est en attente d’autorisation de mise sur le marché d’un produit à base de luzerne et de carottes, avec 90% d’efficacité. On voudrait qu’il puisse y avoir une concurrence qui ferait baisser le prix, insupportable pour les agriculteurs. On ne peut pas utiliser notre trésorerie pour ça. » Il alerte sur les lourdes conséquences de ces invasions : « On sait que les conséquences sont désastreuses économiquement sur les exploitations et ça crée aussi un danger pour nos animaux qui ingèrent de la terre. » 

Pour Pierre Baladuc, se protéger des rats taupiers est d’autant plus compliqué qu’il produit du lait biologique : « Moi, je suis agriculteur en bio, donc à chaque fois, c’est d’autant plus compliqué. Il me faut des dérogations de mon organisme certificateur. Ça m’arrive d’avoir certaines surfaces déclassées. » Il n’est pourtant pas épargné par les nuisibles : « Les dégâts se voient dans les prairies. Il n’y a pas d’herbe, il n’y a pas de récolte, pas de foin… On est dans un secteur où le labour est très difficile vu la texture du sol, on ne peut pas le faire. Au pic des infestations, on est démunis, on ne peut rien faire. Les dégâts sont aussi dans le peu de foin qu’on ramasse, qui est plein de terre. C’est dangereux pour la santé animale et donc forcément pour la santé humaine. Il y a aussi un risque qu’il y ait un impact sanitaire sur la qualité de l’eau. »

"Moralement, ça ne suit plus"

Selon lui, ce nuisible pèse sur le moral des agriculteurs : « Il y a un ras-le-bol. On se dit que c’est encore ça de plus. Comme disent mes collègues et je suis d’accord avec eux, une année d’infestation, c’est pire qu’une sécheresse. Une sécheresse, c’est très grave mais on sait que dès qu’il pleut, c’est reparti. On a des perspectives à court terme. Une infestation de rats, l’année est gâchée. L’impact est surtout psychologique, au bout d’un moment. C’est difficile de se dire « Encore cette année, encore cette année, et qu’est ce qu’on aura l’année prochaine ? ». C’est toujours ça, toujours la même rengaine. Moralement, ça ne suit plus. On aimerait avoir au moins quelques signes, qu’on nous aide dans la lutte. »

Agir "collectivement"

Pierre Baladuc encourage les pratiques collectives pour une lutte plus efficace : « Les sécheresses à répétition empêchent leur pullulation, car le sol est très dur. Quand on a des années favorables en herbe, comme cette année, ça les aide à se développer. Il faudrait agir collectivement quand ça commence. Ça ferait moins de frais et ce serait plus efficace. » Certains agriculteurs envisagent la possibilité qu’il s’agisse d’un effet négatif du remembrement. En effet, les parcelles agrandies espacent les haies et donc les habitats des prédateurs naturels des rats taupiers.        

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