Covid-19 : en Italie, le spleen des étudiants aggrave la fuite des cerveaux

On savait l'Italie gagnée par la "fuite des cerveaux". Pire encore qu'en France, nos voisins transalpins ne réussissent pas à conserver sur leur sol la "matière grise" formée dans ses écoles supérieures. Le trop long confinement imposé à son système éducatif devrait encore accélerer le mouvement. 

"L'Italie n'en a rien à faire de son école...c'est pourquoi, dès que j'aurai ma Maturità (mon bac, NDLR) en poche, je partirai d'ici"!

Maia, une jeune élève du lycée Gioberti de Turin, n'en peut plus. La "didattica a distanza" (DAD, ou télé-enseignement ) est devenue avec les épisodes de confinement qui se sont succédés depuis l'an dernier, un mot grossier dans sa bouche.

"Les journées de lycée en télé-enseignement, je vais vous dire comment ça se passe, poursuit-elle. Lors du premier confinement, ça allait encore. Tout le monde était à l'heure devant son écran sur son bureau, ou dans la cuisine, selon l'espace dont dispose chacun à son domicile. Le professeur faisait son cours et ensuite on avait le temps de faire les devoirs, d'aller sur les réseaux sociaux pour garder le contact...bref, je l'ai plutôt bien vécu."

"Et puis, au printemps, aucun signe de réouverture de l'établissement. On s'est dit: bon, les vacances seront peut-être décalées...Mais non, les vacances ont commencé début juin comme d'habitude. Puis, en septembre, le gouvernement s'est mis à reculer sans cesse la date du retour en classe. Fin octobre, on a finit par reprendre, mais pour être de nouveau arrêtés et renvoyés devant nos ordinateurs à la maison...Vous trouvez ça sérieux, vous ?"

 

En costume au premier confinement et en pyjama au second

Finalement, ce n'est que le 18 janvier de cette année que Maia a retrouvé son lycée du centre ville. "Je ne peux pas vous dire la joie que j'ai ressentie de pouvoir à nouveau me lever le matin, de choisir mes vêtements pour retrouver mes amis...des choses auxquelles on attachait pas spécialement d'importance avant !"

Avant, c'était il n'y a même pas un an. Ou plutôt il y a un siècle pour la jeune lycéenne de 17 ans. "Au début, être à la maison devant l'ordi, c'est plutôt sympa. Pas de temps de transport...cool! Mais peu à peu, on commence à se lasser: de se lever, de se laver pour certains...Ces derniers temps, il y avait de plus en plus de copains et copines qui se levaient 2 minutes avant le cours et se connectaient encore en pyjama!"

Pour Maia, le retour en classe du 18 janvier dernier est un soulagement mais aussi une bataille gagnée contre le gouvernement de Rome et contre celui de sa propre région. Une région Piémont, pourtant loin d'être la plus favorable au confinement à rallonge, à l'inverse de son homologue du sud, la Campanie napolitaine, dont le président de région a tenu tête, depuis mars 2019, au gouvernement de Rome, comme aux étudiants, parents et professeurs qui n'ont cessé de lui mettre la pression pour rouvrir au moins, les écoles primaires...Sans succès, jusqu'à ce début 2021.
 


La contrainte sanitaire a-t-elle tous les droits?

"Malheureusement, dans cette affaire, le gouvernement central a laissé trop d'initiatives aux régions italiennes. Car c'est à l'Etat de garantir le droit fondamental des enfants à l'éducation !

Stefano Rogliatti est enseignant, mais aussi le papa de l'une des deux collégiennes turinoises, devenues symbole du combat pour le retour à l'école en présentiel. "Dès le mois de novembre, ma Lisa a lancé avec sa copine Anita un mouvement d'occupation du trottoir devant son collège. Chaque matin, à l'heure où elle aurait dû aller en classe, elles s'installaient toutes les deux sur une chaise avec leurs tablettes sur les genoux. On les accompagnait avec la maman d'Anita pendant deux heures environ...et après on rentrait à la maison. Rapidement, elles ont provoqué un mouvement de sympathie autour d'elles. Les gens leur apportaient un biscuit, une boisson chaude pour les soutenir, parce qu'il faisait froid à ce moment."

Et puis, les médias se sont intéressés à elles. Les politiques ont commencé à bouger. La ministre de l'instruction leur a téléphoné.   

En janvier, voyant que malgré le retour de leur région en zone jaune (en Italie, les indices de contaminations déterminent leur classement en zone jaune, orange ou même rouge lorsque les chiffres sont très mauvais), le président du Piémont, Alberto Cirio refusait de rouvrir leur collège, elles sont allées s'installer avec chaises et tablettes devant le siège du parlement régional.

"La région se basait sur des chiffres de contamination complètement erronnés. Ils n'ont d'ailleurs jamais été confirmés par les autorités sanitaires, explique Cristiana Perrone, la maman d'Anita, secrétaire dans une usine de fabrication de poids-lourds. J'ai été, en tout cas, très fière et très surprise de la volonté de ma fille de poursuivre ce combat. Elle et sa copine Lisa ont fait preuve d'une belle force de caractère".

"Ce mouvement de protestation des étudiants nous a certainement aidé au final, concède, les dents un peu serrées tout de même, Elena Chiorino, la vice-présidente chargée de l'éducation à la région Piémont. On est sans arrêt sur le fil du rasoir dans cette pandémie à chercher le juste équilibre dans nos décisions entre la contrainte sanitaire et la défense des droits fondamentaux. C'est vrai que l'on a privilégié pendant des semaines, des mois, la défense de la santé de la population, en pensant que la mise entre parenthèses des droits de chacun n'était que temporaire. Ces mouvements nous ont obligé à remettre cet arbitrage en question. On a changé de route maintenant et j'espère que l'on pourra progressivement retrouver une occupation totale de nos établissements par les élèves!"
 

Attention, écoles dangereuses !

Une auto-critique qui ne garantit en rien que les écoles italiennes ne seront pas bientôt rattrapées une nouvelle fois par la pandémie. Et dans ce cas, à nouveau rebouclées à double tour par gouvernement et régions. 

"Cette crise du Covid n'a fait qu'agir comme un révélateur supplémentaire de la vétusté du système scolaire italien, argumente Stefano Rogliatti. Pendant les 20 ans de pouvoir de Berlusconi, l'Etat n'a pas investi dans ses écoles, et pas davantage dans ses enseignants, ses chercheurs. Le résultat, ce sont des classes surchargées et surtout des écoles devenues souvent dangereuses à cause du manque de maintenance. Des écoles dans lesquelles les plafonds s'écroulent (comme à Rivoli, en 2008, où un lycéen a été tué par la chute du plafond de sa classe), les chaudières tombent en panne en plein hiver, les enseignants sont précarisés, mal payés..."

Pas mieux à l'Université, dont les postes de chercheurs manquent. Cela s'explique par des bourses d'études pas assez élevées en Italie pour les chercheurs. Mais aussi des salaires et des perspectives de carrières plus intéressantes dans le reste de l'Europe ou aux Etats-Unis pour les diplômés des grandes écoles italiennes. Au point que les candidats s'expatrient souvent pour l'étranger.

 

Une "fuite des cerveaux"

Les raisons de la "fuite des cerveaux" italiens sont multiples, partagées parfois par leurs homologues français. Mais le résultat chez nos voisins est plus spectaculaire: en 2019, ce sont environ 300 000 italiens qui auraient émigrés pour ces raisons. Et sur la décennie 2000-2010: près de 2 millions !

Un phénomène d'ampleur, donc, que la Confindustria, le Medef italien a estimé en espèces sonnantes et trébuchantes. Chaque année, ce serait un capital humain équivalent à 14 milliards d'euros que perdrait l'Italie. Traduit en activité, ce serait 4 millions de postes à responsabilité qui ne seraient pas occupés dans les administrations de la santé, l'éducation, ou la défense.

"Dans ce pays, il faut sans arrêt que les étudiants, les lycéens et même les collégiens se mobilisent pour faire comprendre à notre classe politique à quel point l'enseignement est important pour l'avenir. C'est quand même anormal, non ?" Assise sur les marches de l'Université de lettres de Turin, Maia n'en finit pas de ressasser ses griefs contre son pays. Un signe qui ne trompe pas. D'après une étude réalisée récemment, sur un échantillon de 600 jeunes italiens âgés de 12 à  19 ans, 45% des adolescents et près de 70% des étudiantes italiens souffrent de dépression à ce stade de la pandémie.

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