6 familles ont porté plainte pour défaut de soins contre le groupement d'associations Itinova, gestionnaire de l'EHPAD Sainte-Marthe à Montélimar (Drôme). Selon elles, leurs parents y vivent un quotidien dégradant et parfois dangereux à force de négligence.
C'est une histoire qui commence par un témoignage anonyme. Les 46 résidents de l'EHPAD Saint Marthe sont en danger, il faut intervenir pour que ça cesse, nous dit-on. Et à ce témoignage s'en ajoute près d'une dizaine, provenant de familles, personnels, témoins locaux. Aucun ne souhaite être cité par peur des représailles, sur son emploi ou sur ses proches.
A l'EHPAD Sainte Marthe pourtant, le répondeur téléphonique du groupe promet de traiter les aînés "avec respect et bienveillance". Un cadre rassurant pour les familles qui pour beaucoup ont longtemps gardé leurs aînés chez elles, mais ont du les confier à un établissement spécialisé à mesure qu'ils perdaient leur autonomie.
"Si on avait pu les garder ...." regrette une fille de résidente, très inquiète. "La situation est catastrophique, voire dangereuse" estime-t-elle. "Ma mère est régulièrement brusquée, on ne lui fait pas sa toilette, on lui met des protections pour qu'elle se fasse dessus. Ses soins ne sont pas assurés correctement, je trouve ça honteux!"
Deux jours sans aucun soin
Ce qui a mis le feu aux poudres, c'est un week-end de l'été au cours duquel, aucun soin infirmier n'a été effectué. En clair, pas d'insuline, ni d'anti-coagulant et donc des résidents mis en danger avec des taux de sucre frôlant le coma et des fragilités cardiaques très préoccupantes. Un épisode qui a décidé six familles à porter plainte auprès du procureur de la République de Valence pour défaut de soins.
"Il n' y a plus d'infirmière, beaucoup ont démissionné. L'une d'entre elle m'a avoué qu'elle était déçue de quitter son poste mais qu'elle ne pouvait plus rester dans ces conditions" raconte la fille d'un autre résident. "Les infirmières n'ont pas envie d'y aller et les aides-soignantes s'en vont car il y a trop de maltraitance" ajoute une autre proche.
"Je ne peux pas tolérer qu'on dise ferme ta gueule à un de mes parents !"
Le mot qui revient le plus souvent dans la bouche des familles c'est "maltraitance passive". Avec beaucoup de pudeur et de retenue chacun de nos interlocuteurs reconnaît la difficulté de la tâche et entend les justifications du groupe Itinocva qui peine à recruter du personnel et doit travailler en sous-effectifs. "On n'en veut pas aux employés même si certains sont violents dans leurs mots et dans leurs attitudes" explique une fille de résidente. "Je ne peux pas tolérer qu'on dise ferme ta gueule à un de mes parents ! je me demande jusqu'où ça va aller!"
Ce que dénoncent également unanimement les familles c'est le silence. "On paie entre 2100 et 2500 euros et quand on ose demander le minimum on a peur, ça ne peut plus continuer. On est déçus" lâche cette femme visiblement à bout de nerfs. La gorge se serre et les sanglots suivent. "On se sent trahis. On a fait confiance et puis on est trahis avec des gens de mauvaise foi".
Une réponse écrite de la direction
Le groupe n'a pas souhaité nous accorder une interview mais a répondu à nos questions en envoyant "un point de situation au 17 septembre". Il y est affirmé que : "La direction prend toute la mesure de la situation et met tout en oeuvre pour y remédier dans une volonté de renouer le dialogue sans minimiser les problématiques rencontrées. Un directeur par intérim est arrivé la semaine dernière, en l’absence de la directrice en poste. Le recours à une direction de transition permet de maintenir un interlocuteur de proximité auprès des résidents, des familles et des salariés."
D'après les premiers retours que nous avons pu avoir, la direction par intérim semble décidée à mettre fin notamment aux situations de violence verbale et le groupe indique que "l’ordre des Infirmiers de la Drôme a été contacté (...) afin d’intervenir au sein de l’établissement".
"Ils ont droit à un minimum de respect"
Il y a une semaine selon certains témoignages, il manquait à nouveau un infirmier dans l'établissement, et nombre de familles craignent que cela se reproduise. "On joue à la roulette russe" estime une femme qui se dit épuisée par la situation. Les allers-retours pour vérifier que tout va bien, l'hyper vigilance, la crainte d' "abandonner ses parents", autant de difficultés qui pèsent sur le quotidien de ces enfants qui essaient d'accorder une fin de vie digne à leurs aînés.
"Ils ont travaillé toute leur vie, ce sont des gens qui ont le droit à un minimum de respect, car ils ont du mérite" s'insurge un des enfants qui a témoigné mais ne souhaite ni être nommé, ni être filmé. La maltraitance passive a ceci, qu'elle se dit peu et qu'elle se voit encore moins. Ces témoignages de familles souvent désemparées et en même temps à l'écoute des difficultés que rencontrent les établissements reflètent un problème structurel. Celui d'une fin de vie qu'on ne voit pas derrière des murs où le silence n'est brisé qu'en cas d'urgence.
Une maltraitance intitutionelle en France ?
A Montélimar la situation semble en bonne voie, mais la France est l’un des pays européens qui compte la proportion la plus élevée de personnes âgées en EHPAD : 8,8 % des 75 ans et plus. Claire Hédon, la Défenseure des droits a pointé dans un rapport en 2021 une "maltraitance institutionnelle". La maltraitance, avait-elle précisé, "peut être qualifiée d’institutionnelle chaque fois que l’institution laisse les faits perdurer sans réagir après de multiples signalements des familles des victimes" ou qu’elle résulte "du manque de moyens de l’établissement".
Que faire en cas de maltraitance ?
Voici les préconisations du gouvernement pour réagir :
Définition
La maltraitance s'entend de toutes les formes de violences physiques ou psychologiques. Qu'il s'agisse de coups, de brimades ou de privation.Un comportement passif, s'il nuit à la personne âgée, est aussi considéré comme de la maltraitance : privation de soins, d'alimentation, abandon dans un lieu quelconque...
Toute personne qui a connaissance d'une situation de maltraitance de personne âgée dans une maison de retraite doit alerter le préfet, quel que soit le niveau de gravité de la situation. L'agent d'une maison de retraite qui a dénoncé un cas de maltraitance dans son établissement ne peut pas subir de sanctions en raison de son signalement. Le préfet peut être alerté sur place, par téléphone, par courrier ou par mail.
Il est possible d'obtenir des conseils en appelant le centre de contact téléphonique spécialisé 3977. Écoute, soutien et aide pour les personnes âgées ou handicapées, aux personnes en prenant soin et aux témoins de maltraitances à leur encontre. Ouvert du lundi au vendredi de 9h à 19h. Service gratuit + coût d'un appel vers un numéro fixe, depuis un téléphone fixe ou mobile.
A savoir : si l'auteur de la maltraitance est médecin, vous pouvez en plus prévenir le conseil de l'ordre des médecins. L'auteur du signalement doit communiquer toute information relative à la maltraitance dont il a connaissance.
Ne pas dénoncer est puni par la loi
La non-dénonciation d'une situation de maltraitance de personne âgée dont on a connaissance peut être punie de 3 ans de prison et de 45 000 € d'amende.