L'avocat de Greenpeace n'en a pas cru ses oreilles : au procès de l'intrusion de militants dans une centrale de la Drôme en 2020, le procureur a prôné la clémence, mardi, renvoyant EDF et l'État à leurs responsabilités en matière nucléaire.
"Nous avons affaire à des activistes déterminés, aux interrogations sérieuses", a estimé le représentant du parquet au sujet des 34 prévenus, 12 femmes et 22 hommes âgés de 28 à 70 ans, jugés par le tribunal correctionnel de Valence.
Parmi eux, 26 sont poursuivis pour avoir pénétré - en découpant du grillage - dans l'enceinte de la centrale du Tricastin le 21 février 2020 au matin, tandis que huit autres, mis en cause pour complicité, manifestaient devant l'entrée principale du site.
Le but de l'opération, rapidement relayée par l'ONG, était de réclamer la fermeture de la centrale jugée "périmée" après 40 ans de fonctionnement. Grimés en ouvriers d'une société fictive de démontage industriel, les militants avaient mis en scène un démantèlement à l'aide d'un petit engin de chantier, de fûts siglés du symbole nucléaire, de faux marteaux géants et de brouettes. Tous avaient été interpellés dans le calme par la gendarmerie.
Déplaisant
Le procureur Michel Coste a prévenu en préambule qu'il pourrait dire des choses "déplaisantes", mais personne dans la salle d'audience ne s'attendait à ce que la partie civile en fasse les frais.
"L'image d'EDF, il faut la relativiser", a lancé le magistrat, en réponse à la demande de l'avocat du groupe, Thibault de Montbrial, de 500.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral.
Il est arrivé à EDF de se retrouver poursuivie devant un tribunal et "n'oublions pas que son image est écornée aussi par des échecs retentissants", a affirmé le représentant du parquet dans une allusion au projet d'EPR à Flamanville. Rappelant les catastrophes de Three Mile Island (Etats-Unis), Tchernobyl (Ukraine) et Fukushima (Japon), il a ajouté que les sites nucléaires "représentent tous un danger".
"Greenpeace et ses bénévoles, jusqu'à présent, n'ont tué personne", a poursuivi M. Coste, évoquant cette fois l'épisode du Rainbow Warrior, un navire de l'ONG coulé par les services secrets français en 1985 - un photographe de l'organisation était mort.
Avant de réclamer des peines d'amende - et non de prison - pour les prévenus ainsi qu'une condamnation "modérée" pour Greenpeace, citée à comparaître comme personne morale par EDF.
Depuis une loi de 2015, les intrusions dans les centrales relèvent de la justice pénale. Certains prévenus du jour ont déjà été condamnés à du sursis pour avoir pénétré dans celle de Cruas (Ardèche) à l'automne 2017.
Délinquance
"On ne devrait pas être là", avait déclaré avant l'audience Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace, jugeant "scandaleux" que des "lanceurs d'alerte" soient poursuivis.
"Je trouve dommage d'être obligé de passer devant un juge pour espérer me faire entendre", a abondé à la barre l'un des mis en cause.
Un argument balayé par l'avocat d'EDF, arrêt de la Cour de cassation à l'appui: le 15 juin, la haute juridiction a rejeté un pourvoi dans lequel Greenpeace invoquait "l'état de nécessité" pour justifier une précédente intrusion dans une centrale de Moselle.
Le but de ces actions, "c'est de faire une levée de fonds", a cinglé Me de Montbrial en réclamant "un coup d'arrêt" contre la "délinquance continue" de l'ONG.
"Pour EDF, la seule chose qui compte, c'est de criminaliser Greenpeace", a rétorqué l'avocat de la défense, plaidant une relaxe générale. "Vous n'êtes pas là pour prononcer des dommages et intérêts punitifs. Ca n'existe pas en France", a dit Me Alexandre Faro au tribunal. "Je n'ai pas l'habitude d'entendre des réquisitions comme celle-ci", s'est-il amusé. "Habituellement, c'est moi qui rappelle que l'État n'est pas exempt de responsabilités et qu'EDF, c'est quand même l'État." Et le procureur d'opiner du chef.
Jugement le 7 septembre.