Témoignage. "On a vécu l'enfer", des centaines de coureuses intoxiquées lors d'un trek au Maroc

Publié le Écrit par Marie Bail et Hugo Chapelon
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Fin octobre, plus de 800 femmes partent dans le désert marocain pour cinq jours de course. Un voyage sportif "Trek Rose" organisé par l'opérateur Désertours qui tourne au cauchemar pour des centaines de femmes infectées par une bactérie. Une habitante de la Drôme, Karine Brun témoigne.

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Du 26 au 31 octobre, plus de 800 femmes participent à un trek au Maroc dans la province d'Errachidia. Organisé par l'opérateur de voyage français Désertours, ce trek, 100 % féminin, sensibilise au cancer du sein et récolte des fonds pour l’association Ruban Rose et d'autres organisations caritatives.

L'évènement est organisé depuis cinq ans. "On savait où on mettait les pieds. Dans le désert, il y a des mesures d'hygiène à respecter, on s'est préparées physiquement, on sait qu'on doit s'hydrater énormément, on connaît les risques", assure Karine Brun, habitante de Clérieux dans la Drôme.

"Elles étaient pliées de douleur"

Dans la course, se trouvent des femmes malades, des jeunes, des adolescentes. La moyenne d'âge était autour de 40 ans. Le trek se réalise en équipe de trois dans le désert marocain. Karine Brun est avec Céline Calonec et Sylvie Pedra. Les trois amies partent pour cinq nuits. Chaque participante a payé 1 690 euros. Une formule qui permet une assistance médicale, mais n'assure pas les frais de rapatriement ni le vol aller-retour non inclus dans la formule d'engagement au trek.

Premier jour, premier parcours : Karine s'étonne que tout le monde se serve à la main sur les points de ravitaillement. "Je reconnais facilement les problèmes dans la nourriture et au moment de manger des raisins secs, je les recrache immédiatement, raconte Karine, je dis à mes coéquipières de ne surtout pas les manger puis j'essaie de transmettre l'information à toutes les femmes que je rencontre par la suite".

Vers la fin du parcours, Sylvie commence à ressentir des maux de tête et des maux de ventre. Elle s'arrête une première fois. "Elle n'est vraiment pas bien, je lui propose de s'arrêter et d'appeler les secours, mais elle insiste pour continuer et passer la ligne d'arrivée". Seulement 300 mètres plus loin, Sylvie craque. Sa coéquipière appelle les secours qui arrivent en quelques minutes en 4x4 et l'emmènent au bivouac.

"Une fois rentrée, on vient voir Sylvie qui se repose dans une tente, elle a mal mais les symptômes restent supportables. Quelques minutes plus tard, je ressens les mêmes douleurs et je me rends immédiatement au poste de secours, mais cela reste minime car je n'ai pas avalé d'aliment contaminé".

Sur le bivouac, Karine Brun constate que de plus en plus de femmes commencent à tomber malades. "On se rend compte que la fosse septique est à ciel ouvert, qu'elle se situe à peine 10 mètres près des cuisines et des tentes où l'on dort", explique Karine. Sur le premier jour, elle relève une soixantaine de malades.

À partir de la deuxième nuit, les participantes tombent les unes après les autres. "On les entendait vomir la nuit, se plier en deux de douleurs. J'ai vu des jeunes femmes souffrir à même le sol".

Une atteinte à la dignité

Ce n'est que le début du cauchemar, la nuit suivante sera pire. L'épidémie prend de l'ampleur et les médecins de la Croix-Rouge qui gèrent le point de secours se retrouvent débordés. "Il n'y avait plus assez de médicaments, plus assez de perfusions alors qu'au moins quarante coureuses ont été perfusées sur place".

Karine assure qu'une dizaine d'ambulances interviennent cette nuit-là. Dans le désert, l'eau est coupée toutes les nuits. Impensable dans ces conditions.

"Imaginez trente toilettes pour plus d'une centaine de femmes malades, ce n'était pas suffisant. Les sanitaires débordaient d'excréments et de vomi."

Karine Brun

participante au "Trek Rose Trip"

Karine relate une nuit d'horreur pour les coureuses et des femmes, errantes, tout juste vêtues de couverture de survie pour se couvrir puisque leurs vêtements avaient été tachés. "Certaines n'avaient pas le temps d'aller aux toilettes qui étaient de toute façon saturées. Elles en étaient réduites à faire leurs besoins derrière les tentes. Elles ne pouvaient pas se nettoyer, d'autres sont restées souillées la nuit entière, les cheveux dans leur vomi et dans leurs déjections."

"Parmi elles, certaines avaient déjà lutté contre le cancer du sein, ou sortaient de traitements de chimiothérapie, c'est une atteinte énorme à leur dignité", s'émeut Karine Brun. Des images choquantes et révoltantes pour la Drômoise qui craint aussi de contracter la bactérie. "Je ne pouvais pas rester dans ma tente, j'étais tellement anxieuse. Entendre ces personnes pleurer et crier de douleur était atroce."

Trois jours de plaisir, transformés en cauchemar qui aurait pu s'avérer mortel. "Des conjoints se sont déplacés pour récupérer leur femme sur le bivouac, un médecin a dit que certaines s’estimaient heureuses d’être en vie". Au moins quinze personnes auraient été hospitalisées au Maroc. Certaines auraient été transportées à l'hôpital par leurs coéquipières, révoltées de l'inaction des organisateurs.

Action en justice

Pour l'heure, la piste privilégiée est celle d'une infection à l'E-Coli ou Shigella.
Un collectif a été mis en place pour recueillir les témoignages des participantes et les certificats médicaux des malades. "On attend les analyses de toutes les femmes concernées, des avocats se sont présentés à nous pour que l'on mène une action en justice", relate Karine.

De nombreux témoignages publics fleurissent sur Facebook. Des participantes de toute la France alertent sur les conditions désastreuses de la course. "Plus de 200 Roses atteintes... Certaines erraient perfusées dans les allées du bivouac, et d'autres dans un état plus grave ont été hospitalisées", écrivent ainsi des Lilloises.

Le groupe veut empêcher que d'autres scandales sanitaires n'aient lieu. "On se soutient, on reste solidaires entre nous et il y a d'autres femmes qui ont participé à des évènements organisés par Désertours", dit Karine Brun. Selon les témoignages recueillis dans le groupe, d'autres femmes auraient en effet vécu des mésaventures similaires sur d'autres courses comme le trophée "Rose des sables".

Angel, une participante de l'édition 2023 écrit : "la soirée de clôture du trophée devait être festive (...) les filles à table faisaient des malaises et certaines partaient inconscientes (...) je pense que les bivouacs n'ont pas été nettoyés ou désinfectés avant l'arrivée des filles du Trek."

"Cela signifie qu'aucune mesure n'a été prise pour éviter une seconde catastrophe", s'indigne Karine qui met hors de cause les associations caritatives présentes comme Ruban Rose, Enfants du désert ou encore Surfrider Maroc.

Une enquête est en cours de la part des autorités sanitaires marocaines, le collectif, lui, veut poursuivre l'opérateur Désertours en justice. Ce dernier se défend à travers un communiqué publié le 2 novembre : "différentes mesures ont été déployées avec le médecin coordinateur et les équipes médicales sur place pour préserver la santé des participantes (...) Rose Trip s'engage à partager tout nouvel élément afin d'aider les participantes à comprendre ce qu'il s'est passé."

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