Tous les artistes ont répondu à son invitation, les auteurs «morts autant que les vivants». Eric Emmanuel Schmitt est le nouveau directeur du Festival de la Correspondance à Grignan. «Lettres d’humour» est le thème de cette 26e édition. L’écrivain et dramaturge a promis un festival de talents.
Le mistral se lève en même temps que les premiers touristes arpentent les ruelles médiévales de la ville. Dans l’air, les arômes de la lavande fraichement coupée accompagnent cette fin de matinée. Quelques champs ont été épargnés, tout juste en contrebas de la cité et de son château. Belle carte postale. Grignan se réveille et sur ses pavés une dizaine de bouquinistes espèrent recycler là un roman de gare, une encyclopédie, là un vieux Goncourt, un bestseller. Au détour d’une venelle, un patio ombragé, nous voilà dans l’arrière-cour du Colophon, à la fois librairie, musée et atelier typographique. Pierre Assouline, journaliste et écrivain, évoque devant une cinquantaine de personnes ses débuts à France soir, parle de ses rencontres, de l’écriture. Un académicien dans un jardin et… Dans ce jardin, discret, à l’ombre d’une tonnelle, le nouveau directeur artistique du Festival de la correspondance de Grignan écoute attentivement son invité. Éric Emmanuel Schmitt est romancier, dramaturge, réalisateur et encore directeur de théâtre. Le voilà à la tête du festival littéraire Drômois :
«Depuis des années, je venais au festival de Grignan, j'y suis venu en auteur, j'y suis venu en interprète de mes propres textes. J'y suis venu en spectateur aussi parce que c'est sur le chemin d'Avignon où je vais chaque année. Et c'est vrai que quand on me l'a proposé, je me suis dit, Ah bah ça tombe bien, j'ai rien à faire (avec ironie) ! Je me suis demandé comment j'allais pouvoir rajouter ça au milieu de tout ce que je fais. Et puis j'ai dit oui, parce que moi, c'est le désir qui commande ma vie. J'avais envie».
"Il ne faut jamais sous-estimer l'intelligence des gens"
Prix Goncourt de la nouvelle pour Concerto à la mémoire d’un ange, auteur de la Part de l’autre ou encore de Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran Eric Emmanuel Schmitt est donc le nouveau visage du festival. Un visage familier. Dans la rue, une dame l’interpelle. Elle souhaite un autographe pour Charlotte, sa nièce, une fidèle lectrice et qui, aux dires de sa tante, a une plume pleine d’avenir. Courtois et disponible, Éric Emmanuel Schmitt prend le temps de dédicacer l’ouvrage. C’est peut-être à cela que l’on distingue les grands auteurs : on les reconnait dans la rue. Lui se défend en tous les cas d’être élitiste :
«C'est un festival qui est élitaire pour tous, c'est à dire, il est de qualité, mais il vise un large public et moi, j'ai toujours essayé de faire aussi ma vie d'écrivain comme ça. Je crois que c'est pour ça que la rencontre du Festival et de moi à sa direction marche bien parce que cette année s'annonce magnifiquement. Il ne faut jamais sous-estimer l'intelligence des gens. Il ne faut jamais sous-estimer leur intelligence émotionnelle non plus et que quand on propose des bonnes nourritures, les gens s'en délectent».
"L'humour ne change pas le monde, mais change la façon de percevoir le monde"
L’homme serait donc plein de gourmandises? Gourmand d’écrire, de partager, de lire mais aussi… de rire. Le nouveau directeur pour sa grande première n’a pas forcement choisi la facilité. «Lettres d’humour» est le thème de cette 26e édition du festival. La programmation est dense. Elle met en avant quelques humoristes virtuoses du verbe et de l’absurde comme François Rollin, Albert Algoud ou encore Christophe Alévêque. Elle convoque également d’autres artistes qu’ils soient musiciens, écrivains ou encore metteurs en scène.
«Je trouve que notre époque nous a enfermés pendant 2 ans et maintenant nous pouvons ressortir mais il y a des menaces qui pèsent au-dessus de nous. L'époque est tendue. L'époque est tragique. L'histoire est réentrée dans nos vies et je me suis dit que le recours à l'humour était nécessaire parce que qu'est-ce que c'est l'humour, c'est parler de choses graves, en en riant. Alors je trouve qu'on gémit et qu'on pleure beaucoup et qu'on ne rit pas assez. Et tous les auteurs dont on va lire les correspondances ici, ce sont des gens qui ont traversé les grands drames de l'histoire ou des grands drames personnels, mais qui ont su, avec leur esprit, avec leur humour, avec leur ironie et leur fantaisie, passer au-dessus. Dès qu'on rit d'abord on partage et ensuite on est plus fort, donc je pense que l'humour est véritablement un remède. L'humour est un remède, l'humour ne change pas le monde, mais change la façon de percevoir le monde, et il peut nous rendre plus fort».
Éric Emmanuel Schmitt semble en être imprégné de cette force, de cet humour comme remède aux malheurs du monde. Peut-être sa corpulence, ses larges épaules mêlées à une forme d’espièglerie contribuent à le laisser croire. Cette 26e édition du Festival de la correspondance et la 1ere sous l'ère Schmitt lui ressemble : solide et malicieuse à la fois.