Il s’appelait Sirac. C’était un bouquetin du parc des Ecrins. Ses voyages de la belle saison, pistés par les techniciens du parc national, en disent long sur l’intimité d'un « champion » des alpes européennes.
« Ci-gît : Sirac, marathonien bouquetin du parc national des Ecrins ». Ce pourrait-être l’épitaphe du premier bouquetin « voyageur » de l’histoire, comme l’ont défini les services du Parc National des Ecrins.
Car Sirac est mort. «On ne sait pas exactement de quoi », explique, Rodolphe Papet, le technicien de la maison du parc du Champsaur. « En revanche, on sait parfaitement où il est mort » poursuit l’observateur expérimenté de la faune et de la flore du parc national depuis plus de 20 ans.
Mort à plus de 60 kilomètres de chez lui
En août dernier, c’est en effet à l’autre bout du parc des Ecrins, aux alentours du lac du Lauvitel, dans l’Oisans, que Sirac est retrouvé par les gardiens du chalet l’Eterlou. Soit à plus d’une soixantaine de kilomètres de sa « colonie » du Champsaur dans les hautes-Alpes.
Comment les gardes du parc sont-ils certains de l’identité du bouquetin ? « Tout simplement, parce que je lui avais mis un collier GPS », explique Rodolphe. « Comme à 45 autres bouquetins de ma zone de surveillance. C’est en mai 2018 que la capture avait eu lieu. Sirac (c’est le nom que les techniciens avaient choisi à notre bouquetin « ultra trailer » en référence à l’un des sommets du parc, ndlr), n’avait rien de particulier par rapport aux autres. Je n’imaginais pas sur le moment ce que ce collier allait me faire connaître de ses voyages ! » s’ étonne encore le technicien.
Tout sur l’intimité des bouquetins
Car un an après, presque jour pour jour, et au même endroit où il avait été capturé, aux Aubert dans la vallée de Champoléon, voilà que Rodolphe fait à nouveau la rencontre de Sirac. Un vrai coup de chance !
« On avait plus de nouvelle, le collier GPS avait cessé d’émettre. Il est capable d’enregistrer quatre localisations par jour. Quand l’animal ne bouge plus parce qu’il est mort, par exemple, on reçoit un sms d’alerte pour nous permettre de récupérer le corps et analyser les données du collier ».
Outre la belle surprise, cette seconde rencontre avec Sirac permet tout de même à Rodolphe de télécharger à distance les données stockées dans le collier du bouquetin.
Et c’est là que Sirac le bouquetin se fait « marathonien » des sommets !
« C’était difficilement imaginable pour moi, de constater qu’un bouquetin, réputé plutôt « casanier », ne se déplaçant que dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres, pouvait à chaque belle saison, faire des allers - retours de 62 kilomètres entre le Champsaur et l’Oisans, en suivant, à quelques mètres près, le même chemin d’altitude. Car le bouquetin ne descend jamais dans les plaines ».
Sirac : champion des alpes ?
62 kilomètres, c’est en tous cas, la plus grande migration de bouquetin observée à ce jour. Alors, Sirac, champion des alpes ?
Car la question est maintenant de savoir si Sirac est un cas à part, ou si d’autres « odyssées » de la sorte ont été enregistrées chez les 424 autres sujets équipés de colliers comme lui, dans le cadre du programme européen de surveillance de déplacements des bouquetins LEMED-IBEX.
« Pour les trois colonies de bouquetins présentes dans le parc des Ecrins », explique Rodolphe, « on a enregistré des déplacements déjà étonnants. Par exemple, un bouquetin, surnommé « Alexandre », qui partait lui de sa colonie du Champsaur pour aller dans le massif des Cerces, autour du Thabor.
Un autre, « Dimanche » qui allait passer l’hiver carrément en Italie…Mais au plus, ils ne parcouraient l’un et l’autre qu’une quarantaine de kilomètres ».
Sirac, lui, avec ses voyages de 62 kilomètres, enregistrés à chacun des étés de sa courte vie, (un bouquetin vit en moyenne une quinzaine d’années) semble avoir bel et bien établi un record.
Confirmé d’ailleurs, par le dépouillement des données recueillies sur les 425 bouquetins européens de 16 colonies présentes sur le territoire alpin : de la Slovénie jusqu’au parc du Mercantour dans les Alpes du sud françaises.
Quant à savoir ce qui le motivait, Rodolphe ne nourrit guère de doute. « Pour moi, il était originaire de la colonie du Valbonnais-Oisans. Il regagnait chaque fin d'automne les adrets de Champoléon pour participer au rut et avoir l'opportunité de rencontrer les 120 femelles qui hivernent dans cette vallée ! »
Quoiqu’il en soit des autres aspects de la personnalité du Sirac « bourreau des cœurs », les alpes françaises tiennent bien un nouveau champion, c’est certain. Mais ce n’est pas là l’essentiel pour son « découvreur ».
« Le traçage de cette population de bouquetins nous offre des perspectives très intéressantes en matière de biologie de la conservation. Un mot grossier pour dire que c’est essentiel de connaître les couloirs de déplacement des bouquetins afin de les protéger de façon plus efficace ».
Et le technicien de la nature de conclure : « croyez-moi, les animaux n’ont pas fini de nous épater ! »