A 80 ans, elle vit dans la maison la plus en altitude de Haute-Loire : “Je n’ai manqué de rien”

A 80 ans, Marie-Thérèse a la particularité de vivre depuis plus de 50 ans dans la maison la plus haute en altitude de la Haute-Loire. Une ferme isolée sur le versant sud du mont d'Alambre, à 1 485 m d'altitude. Elle nous livre son regard sur l'évolution des hivers et de la vie à la montagne.

Depuis sa maison au pied du mont d'Alambre (Haute-Loire), Marie-Thérèse, 80 ans, a connu bien des hivers rigoureux. Elle vit dans la maison la plus en altitude de Haute-Loire : “Je suis arrivée dans la maison suite à un bal à Chauderol. Un jeune homme blond aux yeux bleu-gris m'a invitée à danser, je ne le connaissais pas. Il m'a plu. Ça s'est enchaîné et puis je suis arrivée ici. C'est une maison de sa famille. J'ai un fils qui a cherché. Il paraît que ça date de 300 ans qu'il y a des Sanial ici ! En 1964, c’était différent, c'était une ferme comme il y en avait tant d'autres. C'était sommaire. Il y avait quand même l'eau. Mon mari avait déjà amené l'eau dans la maison, il y avait l'électricité. Il n’y avait pas la télé, mais il y avait la radio. Il ne nous manquait pas rien !” 

“J'étais dans la nature, on était tranquille, pas de problème” 

Un quotidien à 1 485 m d'altitude, rythmé par le travail de la ferme, mais pas seulement : “Mon mari avait perdu ses 2 parents. Ils étaient orphelins et mon mari était le tuteur de ses petits frères et sœurs, ils sont restés là un ou 2 ans et puis sont partis en formation. Notre travail c'était le travail dans la ferme, traire les vaches... Moi je m'occupais, bien sûr, de la maison. Mon mari faisait son travail de jardin, de ferme. On n'allait pas au cinéma. Moi ça ne m'a pas trop manqué, le cinéma. On écoutait la radio, j'aime beaucoup la radio, les chansons. J'étais dans la nature, on était tranquille, pas de problème. Je n'ai pas de mauvais souvenir.” 

Des neiges importantes 

Pour Marie Thérèse il y a presque de la mélancolie à évoquer ces hivers rigoureux d'antan et l'entraide qui rythmait la vie de nos campagnes : “L’hiver 71 ou 72, un matin, on s'est réveillé, c'était tout bouché jusqu’aux fenêtres. On est allé occuper le gîte, on a vécu au gîte pendant 2 ou 3 mois, le temps que la neige fonde. On était coincé, oui, mais pas vraiment coincé puisque on n'avait pas envie d'aller ailleurs, on n’avait pas de besoin de sortir. On avait des provisions.” Il lui est arrivé de rester plusieurs jours sans voir personne : “Maintenant on ne voit pas bien de monde non plus. Tout est vide, les maisons autour... Il fallait faire des provisions de bois, ramasser les patates du jardin, les poireaux, le peu qu'on avait. Et puis ma foi, on tuait le cochon et on mangeait pendant l’hiver.” 

Originaire d’Ardèche, les hivers difficiles n’étaient pas une nouveauté pour Marie-Thérèse : “Quand j'étais là-bas, en Ardèche, en 56 ce n'était pas drôle. Je sais que mon père avait beaucoup bataillé parce qu'il y avait eu une grosse chute de neige. On avait des silos pour les choux-raves des animaux, des cochons et tout à coup, il a fallu aller chercher des choux-raves, mais on ne voyait même pas le silo. La neige avait tout aplanit. Il voyait à peine où était le silo et quand il arrivait au silo, la neige était plus haute que sa tête. C'était plutôt des hommes qui sortaient, ils n’étaient pas dehors par plaisir, ils étaient dehors parce qu'ils allaient faire une course. Nous, on ne vivait que sur nos réserves, on avait quand même un peu d'espace pour faire des provisions. Quand on a quelques légumes et puis qu'on fait des provisions. On avait les vaches pour le lait, il y avait un ou 2 sacs de biscottes au cas où pour le déjeuner.” 

Solidarité entre voisins 

La solidarité était également au rendez-vous : “Je n'ai manqué de rien, sauf une fois, en 56. Il y a eu une grosse chute de neige et ça a duré un moment. La neige était très haute et nous avait un peu surpris. Au bout de quelques jours on a manqué de pain. On avait une jument, mon papa a pris la jument pour aller chercher du pain. La neige était presque aussi haute qu’elle. Enfin, il est parti quand même et il est arrivé à la ferme à côté. La paysanne lui a dit “Je vais prendre mes skis et je vais aller vous chercher du pain.” Alors, elle occupait comme elle pouvait les longues journées d’hiver : “On tricotait un peu. On occupait notre temps. On faisait quelques petits raccommodages alors que maintenant, dès qu'il manque un bouton, ça part à la poubelle. Les skis, quand il y avait un mètre de neige, bien sûr que ça servait, quand on ne pouvait pas circuler en voiture. Après, on ne sortait pas tous les jours. Ici, on n'est pas en ville. Sortir pour quoi faire, quand il ne manque rien ? ” 

La tourmente 

Pour elle, si les conditions sont moins rudes, la montagne n’en reste pas moins dangereuse : “Dernièrement, il y a quand même eu 4 personnes qui sont venues mourir dans la région en se promenant au Mézenc, en faisant du tourisme. Ça, je n’ai pas connu. Mon mari raconté qu’il y avait eu quelques personnes qui étaient restées dans la neige à la Croix de la plonge. Il y avait 2 petits garçons qui étaient venus voir leur frère à la maison d’à côté, ils n'étaient peut-être pas trop vêtus. Des hommes les ont trouvés au printemps. Le grand tenait le petit dans ses bras. Le mauvais temps les a pris. Il y a eu quelques histoires de gens qui ont été pris dans la tourmente, mais pas des gens qui se promenaient, comme maintenant, pas des gens qui faisaient des touristes. La tourmente, c'est quand il fait beaucoup de vent et qu'il y a de la neige. On ne voit rien, on manque d'air, on manque de repères. Là-bas, ils ont bien même mis des pierres debout pour que ça fasse des repères pour ceux qui marchaient à pied, pour éviter qu'ils se perdent. C'était le plus gros risque ici de se perdre dans la tourmente. On tourne en rond, on croit avancer. On voit des pas, on se dit “Tiens, mais il y a quelqu'un qui a marché”, mais ce sont nos pas qu'on voit.” 

Le tourisme, atout ambivalent 

Elle regrette sa vie d’antan, même si l’arrivée massive de touristes a compliqué les choses : “On ne court après rien, à la campagne. Il fallait être à l'heure à l'école, mais après, pour le reste, on faisait ce qu'on voulait, on mangeait à l'heure qu'on voulait. Le tourisme nous a embêté l'hiver, par contre, l'été, j'ai essayé de de profiter de l'occasion et je faisais un peu gîte. Il y avait un petit appartement. Ce n'était pas comme maintenant, les familles venaient pour leurs vacances pendant 15 jours, 3 semaines. Elles causaient, s'intéressaient à nous. Elles ne venaient pas là pour aller visiter je ne sais quoi à 30 ou 50 km. Elles venaient là pour être dans la nature, avec les gens qui les accueillaient. C'était agréable. En 40 ans, je n'ai que des bons souvenirs, mais dernièrement, quand même, ça se gâtait, ça se gâtait parce que les gens étaient pressés, ils parlaient, mais ils voulaient aller faire des visites, alors ça devenait moins intéressant. On a été les esclaves du tourisme. Sinon, si on n'avait pas eu le remonte-pente qui nous a coupé le chemin d'arrivée, c'était le paradis des gamins. Ils prenaient leurs skis en sortant de la maison, ils allaient faire du ski, eux, ils n’ont que des bons souvenirs !” 

“Je resterai là tant que je pourrais y rester” 

Ces hivers rigoureux ne lui manquent pas, Marie-Thérèse a bien conscience que les temps ont changé, aussi bien socialement que climatiquement : “Maintenant, les gens, ils sont les uns sur les autres en ville. C'est dommage qu'il n'y ait plus personne dans les campagnes, mais moi je ne le regrette pas, j'en ai profité. Les hivers sont moins rudes, mais vous voyez bien, tout le monde le dit, c'est le réchauffement. Dans des régions, ils vont manquer d'eau. Moi je ne serai pas là pour le voir.” Elle espère ainsi pouvoir rester dans sa maison le plus longtemps possible : “Je resterai là tant que je pourrais y rester. Mais bon, à mon âge, si je suis alitée, je ne sais pas si je pourrais rester là, surtout l'hiver. Est ce qu'il y aura des services qui vont venir m'assister ? On ne sait pas, on verra bien. Moi je resterai là le plus longtemps que je pourrais, mais peut-être je serai contrainte de partir.” 

-Propos recueillis par Laurent Cluzel pour France 3 Auvergne

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