La bête du Gévaudan fait encore parler d'elle. A Saugues en Haute-Loire, le sculpteur du village termine une oeuvre monumentale à son effigie. C'est la troisième réalisation qu'il effectue à la tronçonneuse uniquement. La Bête bientôt dominera à nouveau le bourg et fera parler les pèlerins du chemin de St Jacques de Compostelle. Rencontre avec Jean-Pierre Coniasse infatigable et intarissable sur le sujet. Fier aussi d'entretenir la légende.
Les dents sont acérées. Les oreilles pointues. Les yeux énormes. Oh oui, elle a l’air bien féroce ! La bête est prête à bondir. On n’aimerait point la croiser la nuit au détour d’un chemin de forêt ! « Elle a quand même tué 105 personnes en deux ans, elle attaquait surtout des femmes et des enfants », se remémore Jean-Pierre Coniasse. Ce sculpteur de Saugues en Haute-Loire est en train de redonner vie à la bête du Gévaudan qui a sévi ici au XVIIIe siècle. Depuis janvier, tronçonneuse à la main, il fait vibrer la pulpe d'un séquoia géant trouvé dans le Cantal. C'est une bête de 10 mètres cinquante de long. Pesant 15 tonnes. « On aimerait bien qu’elle soit finie pour Pâques, c’est le début de la saison du chemin de Saint-Jacques [qui passe à proximité NDLR] », annonce l’artiste.
La tronçonneuse fait entendre son cri strident mais le geste est doux et précis pour polir les yeux ou tailler les dents. Une bête avec des écailles. Une bête un brin fantastique. « C’est un molosse. J’ai fait une crinière un peu spéciale. On dit que la Bête portait une armature autour d’elle. »
La Bête ? Un loup ? Un chien ? Plus deux cents ans plus tard, le mystère reste entier. « Je pense que c’était un hybride, un croisement entre deux gros chiens qui était peut-être dressé pour attaquer les gens », annonce celui qui a travaillé 35 ans en tant que forestier dans les bois où a vécu la tueuse en série. « Mais ce n’était pas un loup car le loup n’a pas ce comportement et les gens qui étaient attaqués par la bête ne disaient jamais : " On a été attaqués par un loup " mais "par une bête féroce " ».
Le sculpteur connaît bien son sujet. En trente ans, c'est la troisième œuvre qu'il réalise pour le village de Saugues. « La première, on l’a faite en 1992 avec une association « Les tronçonneurs de Saugues », elle a tenu douze ans. Il a fallu la refaire en 2003-2005. Aujourd’hui en 2022, c’est la troisième. Celle-là est en bois de sequoia et son bois tiendra plus longtemps. » Une vingtaine d’année, espère-t-il.
« La Bête est un marqueur du pays de Saugues et fait partie intégrante de la vie des Sauguains ». Gaston Chacornac a rejoint Jean-Pierre Coniasse. Il est premier adjoint à la mairie du village. « Quand les Sauguains ont vu partir la précédente, ils réclamaient qu’on en sculpte une autre. Ils en avaient besoin. »
Juchés sur un belvédère, le village à leurs pieds, le plateau de la Margeride au loin, les deux hommes font face au paysage. «Ce belvédère est l’emplacement quasi idéal, il est bien choisi, il ne faut pas le modifier», échangent-ils. « Nous allons faire un socle plus imposant qui sera en béton pour lui épargner l’humidité qui vient du sol. »
La Bête reprendra au printemps la place de la précédente sculpture. Une position stratégique. « Elle est située dans un endroit passant sur la route départementale qui mène au Puy-en-Velay», explique Gaston Chacornac. « Beaucoup de voitures s’arrêtent, les gens font des photos. Et juste en dessous, il y a le chemin de Saint-Jacques où passent quand même 20.000 marcheurs ! » Des marcheurs qui contribuent à développer la notoriété de la bête du Gévaudan.
Idole vénérée
Une bête qui n'est plus vraiment crainte. Monstre sanguinaire en passe de devenir idole vénérée. « Il n’y a pas longtemps j’ai croisé des Canadiens qui étaient sur le chemin de Saint-Jacques », témoigne Jean-Pierre Coniasse. « Ils m’ont dit : " Vous avez de la chance ! La bête protège Saugues. " Vous voyez ? Les mentalités changent. Entre 1765 et 1767, la Bête a tué 105 personnes et aujourd’hui, c’est en train de passer. On dit maintenant que la Bête est protectrice. Peut-être…»
Une bête avec de lourdes mamelles. La sculpture de Jean-Michel Coniasse est une femelle. Alors qu’on y prenne garde tout de même. « Si c’est une femelle, peut-être qu’elle a des petits dans la Margeride. Sait-on jamais… »
Oui…Sait-on jamais….Restons prudents…