Soixante ans après les accords d'Evian du 18 mars 1962, qui ont ouvert la voie à l'indépendance de l'Algérie, la commune de Haute-Savoie garde juste quelques traces de ces événements. Sur place, l'assassinat du maire par l'OAS reste dans les mémoires.
La ville d'Evian, en Haute-Savoie, garde peu de traces des Accords du 18 mars 1962, dont Emmanuel Macron commémorera les 60 ans ce samedi 19 mars. Ces traités ont pourtant eu une importance majeure dans les histoires des deux pays. Ils ont ouvert la voie à l'indépendance de l'Algérie. Mais à Evian, ils ont été occultés dans les mémoires locales par l'assassinat du maire, tué dans un attentat avant même l'ouverture des négociations.
Le 31 mars 1961 : "flash" de l'AFP. "M. Camille Blanc, maire d'Evian, est mort des suites de ses blessures". Deux "puissantes charges de plastic" ont éclaté "à 02h35", "à 15 secondes d'intervalle", dans l'impasse séparant "la mairie de l'hôtel Beau Rivage, propriété et résidence de M. Blanc".
Socialiste, grand résistant, ce militant de la paix avait œuvré pour accueillir dans sa ville les pourparlers qui déboucheront un an plus tard sur un cessez-le-feu destiné à mettre fin à la guerre d'Algérie. L'élégante cité thermale est sous le choc. "C'était un cœur d'or", pleurent les habitants.
"On sent encore cette blessure"
Aujourd'hui, que reste-t-il ? "Rien. Les Evianais ont décidé de tourner la page après l'assassinat", d'autant que dans cette ville d'eau proche de la Suisse, les Accords ont "été associés à deux saisons touristiques catastrophiques en 1962 et 1963", résume l'ancien adjoint municipal PS Serge Dupessey, 78 ans.
"Il n'y a pas d'endroit", pas de lieu de commémoration, car "on sent encore cette blessure" de l'assassinat et la guerre d'Algérie demeure "un épisode sensible", décrypte la maire d'Evian Josiane Lei (divers droite).
L'hôtel Beau rivage est aujourd'hui à l'abandon. Sur sa façade décrépie, une plaque rend hommage au maire assassiné. Sans mention de l'implication de l'OAS, organisation clandestine opposée à l'indépendance algérienne.
De discrètes visites guidées
Les visites guidées de l'Office du tourisme font halte ici, ainsi qu'à l'hôtel de ville, ancienne résidence d'été somptueuse des frères Lumière. Une verrière soufflée par l'attentat n'a pas été refaite à l'identique "pour précisément rappeler ce drame", explique Frédérique Alléon, responsable de l'Office.
Les visites guidées excluent l'ex-hôtel du Parc, plus excentré, où les délégations du gouvernement français et du FLN discutèrent pendant des mois, sous haute surveillance. L'établissement Art-déco dominant le lac Léman est devenu une résidence privée. Le lumineux salon où furent conclus les Accords a été transformé.
"On a voulu accompagner notre circuit historique jusqu'à l'entrée du parc" de l'ancien palace, mais habitants et résidents "ont eu du mal à accepter", explique la maire d'Evian.
Une "atmosphère de guerre civile"
L'ancien adjoint municipal, Serge Dupessey, se souvient aussi que "c'est un Evianais de l'OAS qui a assassiné, avec des complices évianais" et "que de la famille de l'assassin habite encore ici". Selon lui, cela a pu entretenir une "atmosphère de guerre civile".
Aussi, ses efforts pour convaincre au début des années 1990 l'ancien maire Henri Buet de "faire quelque chose" en mémoire des accords sont-ils restés vains. Même refus en 2011 d'un autre maire, Marc Francina, de baptiser une rue du nom des Accords du 18 mars.
Autre fait marquant : lors du 50e anniversaire des Accords, la société d'histoire savoisienne La Salésienne avait réunit des universitaires au Palais des Congrès. "Des anciens de l'OAS, venus avec un cercueil, ont manifesté devant", raconte son président Claude Mégevand.
Quelques projets dans une "période sensible"
Pour le 60e anniversaire, donc, "on a fait le choix, en accord avec la préfecture", d'une cérémonie "comme d'habitude, aux monuments aux morts", avec porte-drapeaux, anciens combattants et harkis, explique la maire.
"C'est une période sensible avec les élections", souligne-t-elle, allusion au risque de récupération politique avant la présidentielle d'avril. Des projets existent néanmoins, en liaison avec la date-anniversaire.
Une conférence sur Albert Camus et l'Algérie est programmée le 18 mars dans un centre culturel. Celle qui l'anime, Claude Gerbaulet, une ancienne médecin pied-noir (le surnom des Européens établis en Algérie), entend "ne pas réveiller les querelles sanguinaires, tout en mettant le doigt sur les insuffisances de la France".
"Je ne savais pas que les accords avaient été signés là"
Les écoles d'Evian préparent une "journée de la paix", le 24 mai, "après les élections" insiste Mme Lei.
Le lycée Anna de Noailles fait plancher ses terminales sur le thème "60 ans des accords d'Evian, histoire et mémoires de la guerre d'Algérie", avec intervention de témoins - ex-appelé, harki, pied-noir et descendant du FLN.
"Ca m'intéresse de faire travailler les élèves sur les traces de la guerre d'Algérie ici. La conclusion, qui interpelle les élèves, est qu'il s'agit d'une mémoire discrète", estime Renaud Vieuguet, professeur d'histoire.
Un de ses élèves Louis Bailly, 17 ans, acquiesce : "J'habite avenue des Grottes", où se trouve l'ex-hôtel du Parc, "mais je ne savais pas, avant, que les accords avaient été signés là".