On appelle ça la "mémoire de glace". Le projet "Protecting Ice Memory", soutenu par l'Université Grenoble Alpes, le CNRS et l'Université Ca'Foscari de Venise, s'inscrit dans un programme de l'Unesco et vise à prélever des échantillons pour les étudier. Une partie sera stockée en Antarctique.
Voilà plusieurs jours qu'ils s'affairent au col du Dôme à 4.350 mètres d'altitude, prélevant des échantillons de glace en forme de tubes. Le projet "Protecting Ice Memory", qui a démarré mi-août, a déjà permis deux forages sur les trois prévus. Les scientifiques français, italiens et russes comptent prélever plusieurs tonnes de la "mémoire de la glace" à l'intérieur d'un glacier du Mont-Blanc, échantillons qui seront étudiés dans les années, voire les décennies qui viennent.
Reportage de Céline Aubert-Egret, Didier Albrand, Cédric Barneron, Lisa Bouchaud et Madeleine Reynier-Deville.
"En ce moment ils sont en train de finir le deuxième carottage, explique Patrick Ginot, ingénieur de recherche au laboratoire de Glaciologie de Grenoble et chef de mission. Déplacer le système pour commencer le troisième on espère le terminer d'ici vendredi soir si tout se passe bien."
Par beau temps ou par mauvais temps, l'équipe fait des forages jusqu'à plus d'une centaine de mètres de profondeur pour remonter la glace dans des tubes (des carottiers) au campement et les stocker dans une cave prévue à cet effet. La première carotte extraite a été héliportée à Chamonix, et arrivera jeudi 25 août à Grenoble, dans la matinée, suivie des deux autres extraites.
Ensuite, ces trois échantillons de plusieurs tonnes seront stockés en Antarctique, sur la base franco-italienne de Concordia, un futur sanctuaire glaciaire, d'ici trois à quatre ans.
L'équipe communique chaque jour sur l'expédition, et il est ainsi possible de suivre sur Facebook ou Twitter l'avancée des forages.
Socle rocheux atteint : 126,21 m pour la première carotte pic.twitter.com/28Z6cffmEg
— Fondation UGA (@Fond_UGA) 20 août 2016
Mais la neige tombée durant le week-end a perturbé les opérations et endommagé le matériel. L'occasion de suivre les péripéties des membres de l'expédition.
"Une fantastique bande enregistreuse de l'histoire de notre planète"
Le projet "Protecting Ice Memory" part d'un triste constat: on ne pourra plus étudier la glace lorsqu'elle aura fondu! Avant qu'elle disparaisse, les scientifiques en prélèvent donc dans les plus grands glaciers du monde afin de pouvoir encore les examiner dans 10, 30, 50 ans. "Les scientifiques du Laboratoire de Physiologie et de Glaciologie de Grenoble quand ils ont constaté les fontes des glaciers et surtout la perte de qualité de ces glaciers dans le massif alpin, se sont dits 'il va falloir commencer à conserver ces carottes de glaces pour les scientifiques futurs'" résume Anne-Catherine Ohlmann, directrice de l'Université Grenoble Alpes.
Car il y a beaucoup à tirer des glaciers: en se formant avec les chutes de neige, ils emprisonnent des petites bulles d'air qui témoignent de l'atmosphère d'il y a plusieurs siècles ou millénaires. On peut donc s'en servir pour étudier le réchauffement climatique, ou la pollution dans les Alpes. Les bactéries ou les virus piégés dans la glace peuvent également fournir des pistes de travail.
Pour Jérôme Chapellaz, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de Glaciologie de Grenoble et initiateur du projet, "une carotte de glace, c'est une fantastique bande enregistreuse de l’histoire de notre planète. Avec les flocons de neige qui tombent et qui alimentent le glacier, on enregistre énormément d’informations qui sont liées au climat, à l’environnement atmosphérique, au comportement de nos océans, aux sources de poussière désertiques..."
Sans parler de tous les autres sujets d'étude que l'on découvrira dans les décennies à venir. Les prochaines générations de scientifiques seront bien contentes d'avoir toujours une carotte glaciaire à se mettre sous la dent!