Eric Bouvet, journaliste et photographe de guerre, expose une série de ses clichés intitulée "Ukraine 2022" jusqu'au 1er juin à Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie. Un récit photographique du début du conflit qui raconte l'exode des civils aussi bien que la douleur des familles déchirées.
La peur, l'exode, les familles écartelées. La guerre a fait son retour en Europe, en février 2022, à quelques centaines de kilomètres de nos portes. Quand la Russie a envahi l'Ukraine, Eric Bouvet s'est avancé vers le front.
"Cela s'appelle un exode. Humainement, cela a été assez horrible parce que ça a été des flots et des flots de milliers de personnes qui essayent de partir dans des trains bondés", se rappelle le correspondant de guerre qui a passé trois mois au milieu des bombes.
Eric Bouvet a documenté ce conflit à travers ses clichés, relatant la douleur et l'ignominie de la guerre. "C'est dans la guerre qu'on trouve les plus beaux actes d'humanité et en même temps, l'horreur la plus sordide", décrit-il, commentant l'une de ses photos prise sur le quai d'une gare.
"Devant le dernier wagon, il y a un homme. (...) Instinctivement, je prends la photo. Évidemment, c'est touchant. Il se retourne, comprend que je suis étranger, et il me dit : 'Peut-être que je ne la reverrai jamais'", raconte le photographe, désignant une main d'enfant plaquée sur la vitre, à l'intérieur du train. "Ce n'est pas une violence pure. C'est une espèce de violence sourde, humaine."
"Souvent, on n'a pas de réponse à nos questions"
Sa dernière série de clichés intitulée "Ukraine 2022" est exposée jusqu'au 1er juin à la Maison des arts du Léman à Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie. Un récit pudique des conditions de vie de la population civile dès le début de ce conflit, marquant par sa proximité.
"C'est une guerre de blancs et personne de ma génération n'avait couvert auparavant une guerre de blancs", exprime le photographe, repensant aux civils quittant l'Ukraine "avec la doudoune, le sac Eastpak." "C'est des gens qui sont proches de nous, donc c'est un rapport assez perturbant."
Derrière chaque photo, Eric Bouvet raconte une histoire. Un témoignage de visage en visage, forcément sensible, souvent tragique. "Ici, je suis avec la police criminelle de Borodyanka et ils exhument dix corps par jour. Quand j'arrive, ils en sont déjà à 300. Cette femme exhume sa fillette de 10 ans pour chercher une preuve de crime de guerre", explique-t-il devant une autre photo.
Au premier plan, le corps de l'enfant apparaît recouvert d'un linceul. La fillette a été tuée d'un tir de mitrailleuse alors qu'elle se cachait à l'intérieur de la maison. L'origine du tir demeure inexpliquée. "Journaliste, c'est un travail qui est très compliqué parce que souvent, on n'a pas de réponse à nos questions", reprend Eric Bouvet, décrivant l'impuissance qui l'a souvent habité comme témoin de scènes de guerre.
"Tous ces gens que j'ai laissés - soit qui allaient mourir, soit en mauvais état, abandonnés, dans la misère - que sont-ils devenus ?", se demande le photographe qui affirme s'être souvent censuré pour ne pas montrer l'horreur, courant après une certaine dignité.
Laisser une trace
"Ces images, j'aurais dû les faire, les sortir plus tard et ç'aurait été une preuve. Ces images restent dans l'histoire", analyse-t-il au terme d'une carrière passée à couvrir de nombreux conflits à travers le monde, de la Tchétchénie à l'Afghanistan en passant par la guerre du Golfe. Ses reportages ont été publiés par les plus grands magazines internationaux.
Un travail de documentation pour l'avenir plus que le temps présent. "Quand on est jeune, on croit qu'on va pouvoir changer le monde. Non, on ne change rien du tout, mais on laisse une trace, de l'information. Si cela peut servir... On sait que l'histoire se répète malheureusement et que ça ne sert pas à grand-chose. Mais on ne peut pas dire qu'on ne savait pas", développe le photojournaliste, lauréat de cinq World Press Photo Awards et deux Visa d'Or.
De chacune de ses photos, Eric Bouvet conserve un souvenir indélébile. Des rencontres et des témoignages auxquels il lui est difficile d'échapper, comme poursuivi par l'absurdité de la guerre. "Je baisse les bras. Je les baisse parce que moi aussi, j'ai une famille et moi aussi, je veux rentrer chez moi. Très souvent, j'ai lâché, assure-t-il. Mon ciment, c'est ma famille. S'ils n'avaient pas été là, je serais allé plus loin et je serais devenu fou ou je serais mort. Donc oui, j'ai baissé les bras, bien sûr."