Le Festival Berlioz n'aura pas lieu fin août à la Côte-Saint-André, dans la ville natale du compositeur, en Isère. Bruno Messina son directeur, s'est battu"comme un diable", avec toute son équipe, depuis le tout premier jour du confinement, pour qu'il soit maintenu. En vain
"La musique de Berlioz, vous savez, c'est un grand souffle, un très grand et profond souffle et le coronavirus, c'est tout le contraire, il asphyxie tout sur son passage".
Emu et... émouvant, manifestement fatigué, comme courbaturé par tous les efforts déployés depuis ce fichu 17 mars, jour J du confinement. Bruno Messina, le chef d'orchestre du Festival Hector Berlioz depuis plus de 10 ans-12 étés exactement- ne savait toujours pas, vers 10 heures ce matin, si la 13ème Edition du Festival Hector Berlioz aurait bel et bien lieu cette année, dans sa ville natale de la Côte-Saint André, dans le nord de l'Isère.
Ce mercredi 13 mai, la décision devait être prise dans l'après-midi, à l'issue de la dernière réunion avec toutes les parties prenantes de l'événement : "Ce sera une vraie surprise, je ne sais pas comment ça va se passer, c'est comme pour tout le monde, comme pour tous ceux aussi de notre métier, je sais seulement que l'on s'est battus, qu'on a tout imaginé, tout envisagé, tout le monde dans l'équipe, malgré la situation, en avait envie, et s'est investi plus que jamais".
Jusqu'à modifier même, au dernier moment, l'affiche du Festival placé sous le thème cette année des Méditerranées musicales, bâtie sur Les Troyens à Carthage, de Berlioz : "le visage du corsaire vêtu de rouge a été recouvert d'un foulard, qui lui donne des airs de bandit de grand chemin... même les dates ont été barrées, laissant d'ores et déjà supposer qu'elles seraient peut-être-sans doute- modifiées, en tout cas aménagées".
Tout le monde, chacun confiné chez soi, a échafaudé différents scenarii : supprimer purement et simplement les gradins pour le public au château, parce qu'en enlever un sur deux pour respecter les distances n'avait pas de sens, installer les gens sur les pelouses et dans le petit jardin du Musée, organiser des concerts en bal masqué, pour écouter Verdi, en tout cas en plein air, bref un casse tête inimaginable pour un Festival qui a accueilli l'an dernier près de 38000 spectateurs, plus de 1500 artistes, venus du monde entier. Le Festival a une renommée internationale.
Un Festival, ça ne peut pas être un hôpital"
Quand nous avons épluché le rapport de l'infectiologue François Bricaire, qui préconise les mesures sanitaires pour le Spectacle Vivant, "on a réalisé que les contraintes étaient intenables pour le Festival tel quel" explique Bruno Messina : "comment voulez-vous laisser un espace de 4 m2 pour chaque musicien , dans un orchestre symphonique ?! Il est même suggéré dans le rapport d'installer des ventilateurs au-dessus de l'orchestre, sous les plafonds...".
Le directeur artistique, longtemps intermittent lui-même, se désole : "Au fil des jours, on s'est rendu compte d'une situation intenable. Nous avons, en outre, eu des échos d'un concert qui s'était tenu à Amsterdam. Des choeurs, un orchestre, quatre membres de la formation ont attrapé le virus, quatre sont morts, vous vous rendez compte ! On se doit de faire les choses sérieusement, avec gravité et vigilance, d'autant que la période est à la responsabilité partagée. Des spectateurs masqués, des musiciens corsetés, un Festival ne peut pas être un hôpital".
D'autres problématiques sont en jeu : impossible d'installer des espaces de restauration, obligation de démultiplier les déplacements : "nous allons habituellement et fréquemment chercher les musiciens qui viennent de loin à l'aéroport de Saint-Exupéry. Pour appliquer les règles, ce n'est pas un car mais trois qu'il faut déployer. En matière d'organisation, de surcoût, c'est effroyable. Les formations, par ailleurs, viennent souvent de pays étrangers, on ignore tout encore de l'ouverture, ou pas, des frontières".
Un Festival "a minima"?
Alors quoi ? Un Festival réduit à sa plus simple expression ? Une unique et symbolique représentation ? Une question crève-coeur pour Bruno Messina dont on devine en filigrane et au timbre de sa voix que cette alternative ne l'emballait pas, et c'est peu dire : "Berlioz était, il est vrai, un magnifique personnage ... déraisonnable. Nous, nous avons beaucoup discuté, échangé, avec les autorités, la préfecture, le conseil général, les élus, tous bords confondus, je ne sais pas quelle décision sera finalement retenue".
Mais il ajoute : "j'ai bien peur de passer directement de mon 12ème été... au 14ème, sans voir le 13ème...". Et quand on lui demande ce qu'il retient d'ores et déjà à titre plus personnel de cette période chaotique et inédite, il répond "la Beauté et la fragilité de la vie, et puis la solidarité entre nos métiers, c'est ça l'âme, l'esprit de notre culture vivante".
Le Festival Hector Berlioz n'aura finalement pas lieu
La décision a finalement été annoncée vers 18 heures. Le Festival n'aura pas lieu "pour raisons sanitaires". Une annulation sans grande surprise mais qui provoque de nombreuses réactions de regrets.
Le Président du Département de l'Isère, Jean-Pierre Barbier, a exprimé sa tristesse que ce "moment fort de la vie culturelle qui rayonne bien au delà de nos frontières ne puisse se tenir", tout en saluant cette position : "le déconfinement doit rester progressif. Même si les gens ont besoin de culture, de musique, de partage, c'est de notre devoir de contribuer à la sécurité sanitaire du public, des artistes, mais aussi de l'ensemble des équipes du Festival", soulignant par ailleurs les conséquences économiques qui ne manqueront pas de se faire ressentir.
"Nous avons longtemps pensé que nous pourrions maintenir notre rendez-vous, repensant les lieux, recherchant à adapter les contraintes et les consignes, mais tout cela n'a pas suffi" annoncent, le coeur lourd, les organisateurs.