ARCHIVES. "Une femme de cœur" et "d'autorité" : qui était Lucie Coutaz, la Grenobloise co-fondatrice d'Emmaüs avec l'abbé Pierre ?

À l'occasion de la sortie en salles du biopic "L'Abbé Pierre, une vie de combats" ce mercredi 8 novembre, retour sur le parcours de Lucie Coutaz, co-fondatrice d'Emmaüs. L'homme de l'appel de l'hiver 1954 a vécu pendant près de 40 ans avec cette figure oubliée pourtant "prédominante" dans l'histoire du mouvement et de la communauté.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

"Sans elle, Emmaüs n’existerait pas." Ces mots sont ceux de l'abbé Pierre. Il était le premier à reconnaître que Lucie Coutaz était bien, à ses côtés, la pierre angulaire du mouvement qu'ils créèrent de concert en 1949.

Figure de l'ombre, cheville ouvrière, elle était celle "qui fait tourner la boutique", nous confie Jean-Pierre Polidori, directeur de la communauté Emmaüs de Grenoble. "Elle a été déterminante. On s'aperçoit que dans tous les moments-clés d'Emmaüs, elle était là. L'abbé Pierre était un visionnaire, mais il fallait quelqu'un derrière pour tenir et cadrer", poursuit-il. "Lui, il passait d'un projet à un autre et Emmaüs n'aurait sans doute pas eu l'aura qu'il a aujourd'hui sans Lucie Coutaz."

Pourtant, cette Grenobloise née en 1899, décorée de la Croix de Guerre en 1945, est presque inconnue de tous. Les protagonistes du film "L'Abbé Pierre, une vie de combats", qui sort ce mercredi 8 novembre au cinéma, ont appris avec surprise son existence.

"Même moi, quand j'ai lu le scénario, j'ai cru que c'était inventé par les scénaristes", déclare Emmanuelle Bercot, celle qui incarne Lucie Coutaz à l'écran, dans une interview publiée par l'équipe de production du film (voir ci-dessous). 

Une rencontre dans la Résistance, dans le Vercors

"C'est inouï. Moi non plus je ne connaissais pas l'existence de cette dame miraculeuse", admet Benjamin Lavernhe. "Ils sont enterrés côte à côte aujourd'hui. L'importance qu'elle a eu dans la vie de l'abbé Pierre, c'est qu'ils ont vécu quarante ans ensemble. On se demande comment elle a pu rester aussi discrète, et en parallèle, aussi essentielle au mouvement", s'interroge celui qui joue le rôle principal.

Du reste, l'acteur de la Comédie-Française a visionné des centaines d'archives pour préparer son interprétation. Pour l'INA, il en a retenu une, dans laquelle le fondateur d'Emmaüs évoque sa relation avec Lucie Coutaz.

De cette rencontre, est né quelque chose de puissant puisqu'ils ont vécu ensemble pendant quarante ans, chastement, de manière platonique. Deux âmes-sœurs, au vrai sens du terme.

Jean-Pierre Polidori, directeur de la communauté Emmaüs de Grenoble.

On entend ainsi l'abbé Pierre dire qu'il a vécu "39 ans, jour et nuit, sous le même toit, avec les mêmes embêtements, les mêmes bonheurs, etc. Il n'y a pas eu, et c'est mystérieux, mais il n'y a pas eu un instant de problème masculin-féminin. Je ne crois pas plus de son côté que du mien", confiait-il.

"Elle a rencontré l'abbé Pierre dans la Résistance, dans le Vercors et c'est elle qui lui a donné le nom d'abbé Pierre puisqu'elle faisait les faux papiers, complète Jean-Pierre Polidori. De cette rencontre, née pendant ces années sombres, est né quelque chose de puissant puisqu'ils ont vécu ensemble pendant quarante ans, chastement, de manière platonique. Ils habitaient dans le même appartement à Paris, ils partageaient tout. Ils étaient deux âmes-sœurs au vrai sens du terme", estime le directeur de la communauté d'Emmaüs. 

40 ans de vie commune en tout bien tout honneur

Lorsque l'abbé Pierre lance son appel à l'hiver 1954, le mouvement Emmaüs, "tout juste né rencontre un immense écho". "Le père multiplie conférences et voyages. Il en tombe malade. Pendant plusieurs années, c’est sur Lucie Coutaz que repose effectivement la responsabilité quotidienne, tant des communautés de compagnons que des différents centres d’hébergement que l’abbé Pierre a créés", apprend-on sur le site de la fondation Abbé Pierre.

"Pour quiconque a connu son tempérament, et ses dons de chef - qui lui valurent, soit dit en passant, la Croix de guerre avec citation, pour son courage dans le soutien secret à l’Armée du Vercors -, il est évident qu’il lui fallut un véritable héroïsme quotidien pour, pendant 39 années, et jusqu’aux labeurs de ses dernières journées de vie, n’être toujours agissante que dans l’ombre d’un autre", lui rend hommage son compagnon de vie.

"Une femme de cœur" cette "Lulu, la terreur"

Un roc, un chef, une confidente et une épaule. Mais aussi un rempart contre les tentations. Dans la vidéo publiée par l'INA, l'abbé Pierre poursuit : "Au fond, elle a été, certainement en grande partie, ma protectrice. Car, quand elle voyait quelque admiratrice, qui avait tendance un petit peu trop à vouloir me posséder... Elle savait chasser les mouches", ajoute le père dans un sourire. "Elle était extrêmement vigilante pour la protection de ma vertu", dit-il encore. 

Car "Mademoiselle Coutaz" savait se faire respecter. Elle ne manquait pas d'autorité. L'un de ses surnoms était d'ailleurs "Lulu, la terreur".

"Tout le monde l'aimait bien parce qu'on savait que, derrière cette rudesse, c'était une femme de cœur et tout le monde la respectait. (...) Si Emmaüs existe, c'est un peu beaucoup grâce à elle", témoigne un compagnon dans la même archive vidéo.

Un atelier Lucie Coutaz à Grenoble pour lui rendre hommage

Lucie Coutaz a, elle aussi, souffert d'une maladie, une tuberculose osseuse. "Elle a vécu quatre ans attachée à une planche. Elle a été amenée à Lourdes et elle a été guérie", raconte la comédienne Emmanuelle Bercot.

Une femme d'exception, miraculée, "qui s'est battue contre toutes les formes de précarité", dit encore Jean-Pierre Polidori. À Grenoble, le directeur de la communauté d'Emmaüs a décidé de donner son nom à un nouvel atelier : un chantier d'insertion pour sortir des personnes de la rue.

"C'est un modèle d'émancipation dans une France qui était machiste et qui a su se faire une place dans un mouvement fort. C'est cette image-là que nous allons cultiver au sein de l'atelier Lucie Coutaz", explique-t-il. 

Lucie Coutaz est décédée le 16 mai 1982. L'abbé Pierre dira alors que "pendant sa vie, l’on a mis dans sa main, la main des pauvres". 

  • L'abbé Pierre - Une vie de combats, de Frédéric Tellier, au cinéma le 8 novembre 2023.


Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information