Le député LR de l'Isère Yannick Neuder a déposé une proposition de loi visant à encadrer les reconversions des médecins généralistes et spécialistes vers la pratique esthétique. Un phénomène en hausse, selon le parlementaire, illustré par la récente décision d'Olivier Véran.
Réguler les reconversions de médecins pour lutter contre la désertification médicale. La proposition de loi du député de l'Isère Yannick Neuder (LR) trouve un écho particulier dans le contexte de la dernière prise de parole de l'ancien ministre de la Santé, Olivier Véran.
Médecin neurologue de formation, le Grenoblois redevenu député va se tourner vers la médecine esthétique. Il exercera un jour par semaine à la Clinique des Champs-Elysées, à Paris, a-t-il annoncé. "Je n'ai pas à commenter la décision personnelle d'Olivier Véran. Je dis juste que les 200 000 médecins en France ne peuvent pas se contenter d'un seul message : 'L'hôpital public, au revoir, je vais faire de la médecine esthétique'", explique Yannick Neuder, lui aussi médecin hospitalier au CHU Grenoble-Alpes.
Olivier Véran, qui siège au groupe Renaissance, a jugé "extrêmement compliqué de reprendre la neurologie" au vu de l'évolution de la discipline et de son "étiquette de ministre" qui risquait, selon lui, de perturber la relation thérapeutique avec ses patients.
Si le parlementaire affirme que le texte ne vise pas l'ex-ministre, le dépôt de sa proposition de loi tombe à point nommé pour porter son discours. "Je préfère qu'on revalorise correctement les consultations libérales, c'est aussi un signe pour les hospitaliers puisque certains ne veulent plus retourner faire de la neurologie à l'hôpital public, illustre-t-il. Mais pensons à tous les médecins hospitaliers qui, eux, sont là avec le poids de la difficulté hospitalière."
Un ancien ministre ne peut plus être totalement libre de ses choix.
— Bernard Jomier (@BernardJomier) March 18, 2024
Passer de la neurologie à la médecine esthétique a un sens, celui d’un choix financier.
Quel message désastreux.
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La décision d'Olivier Véran, bien que relevant d'un choix personnel, a été vivement critiquée dans les rangs médicaux et politiques. "Passer de la neurologie à la médecine esthétique a un sens, celui d’un choix financier. Quel message désastreux", s'est ému sur X (ex-Twitter) le sénateur PS de Paris, Bernard Jomier. "Plutôt que de se former à la médecine esthétique, Véran aurait pu utiliser le même temps pour se remettre à niveau dans sa spécialité", estime sur le même réseau social Christophe Prudhomme, médecin au Samu et conseiller régional LFI.
Flou autour des reconversions
Yannick Neuder constate "un attrait généralisé" pour la chirurgie plastique et esthétique, bien qu'il n'existe aucune donnée officielle à ce sujet. Il y aurait 9 000 médecins esthétiques en France, selon le député, sans que le nombre de reconversions soit documenté.
"Je ne nie pas qu'on ait besoin de médecine esthétique, mais (...) j'ai été beaucoup alerté dans ma circonscription par des patients qui ont vu leur pédiatre, par exemple, arrêter leur activité pour faire de l'épilation permanente, constate-t-il. Si tout le monde s'en va faire de la médecine esthétique, qui va soigner la population ?"
Enfin, l’encadrement de la médecine esthétique est une priorité pour à la fois apporter les compétences nécessaires aux praticiens mais également pour limiter la fermeture des cabinets de médecine générale.
— Ordre des Médecins (@ordre_medecins) December 21, 2023
Le Conseil national de l'Ordre des médecins avait déjà annoncé, fin 2023, que l'encadrement de la pratique esthétique serait l'une de ses priorités "pour à la fois apporter les compétences nécessaires aux praticiens mais également pour limiter la fermeture des cabinets de médecine générale."
Le député de l'Isère s'alarme de cette hausse constatée de la pratique esthétique alors que "87 % du territoire est un désert médical". "Pour avoir un rendez-vous chez votre médecin généraliste, il fallait quatre jours en 2019 contre dix en 2024. Pour un pédiatre, on est passé de trois jours à trois semaines actuellement. Les délais s'allongent, il y a beaucoup de retards de prises en charge et de diagnostics en cancérologie", alerte le parlementaire.
Un exercice "lucratif"
Des reconversions qu'il explique notamment par le caractère "lucratif" de la médecine esthétique, "avec des injections qui avoisinent les 300 euros", et une pratique portée par les réseaux sociaux. "C'est un message politique aux patients, au corps médical et au Parlement. Je suis contre la coercition à l'installation mais si ces reconversions se multiplient, c'est peut-être qu'il y a un problème", prévient-il.
Tout en reconnaissant l'intérêt de la médecine esthétique et le "rôle majeur" de la chirurgie plastique dans la reconstruction physique, le député, vice-président de la commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale, veut mettre en place un contrôle renforcé.
"Ce n'est pas open bar. On ne peut pas, du jour au lendemain, décider de passer d'une spécialité à une autre. Il faut que l'ARS [Agence régionale de santé, NDLR] ait un avis avec le Conseil de l'Ordre des médecins", estime Yannick Neuder, appelant à "remettre du bon sens dans la priorité des besoins".
"Je ne peux pas me résoudre, en tant que médecin, que l'ensemble des forces vives s'intéresse à la médecine esthétique. C'est trop réducteur face aux problèmes de santé que nous rencontrons dans le pays", prévient-il encore. Sans se prononcer sur les chances de voir sa proposition de loi adoptée, le député d'opposition espère que son message sera entendu, notamment par l'exécutif, pour lutter contre le déficit d'attractivité de certaines professions de santé.