Deux associations ont déposé un double recours en justice à l'encontre de la préfecture de l'Isère. Elles souhaitent contraindre les pouvoirs publics à agir dans les centres d'hébergement d'urgence où les conditions sont jugées "indignes".
La situation semble sans issue depuis trois ans. Trois années que Mehdi*, sa femme et ses deux enfants se partagent deux chambres d'hôtel exiguës dans un centre d'hébergement d'urgence à Grenoble. La famille décrit des conditions de vie insalubres. Sans espoir, à ce jour, d'accéder à un autre logement.
"C'est pas des conditions de vie. Ce n'est pas une vie", désespère Mehdi, listant les problèmes auxquels il est chaque jour confronté. Une cuisine vétuste aux murs moisis, "envahie de cafards" et dont l'évier n'est pas équipé de siphon, dit-il, pointant également l'absence d'accompagnement pour les démarches administratives ou de distribution de produits d'hygiène.
"C'est comme vivre dans une cage, décrit Mehdi. On a le droit de rien faire, mes enfants ne peuvent pas inviter leurs amis. On a l'impression d'être en prison." Les résidents, principalement des familles, s'entraident entre eux pour acheter des produits de première nécessité.
Le père de famille, en attente de régularisation, n'est pas autorisé à travailler. Il exerce au noir quelques heures par semaine pour subvenir aux besoins de sa famille. "J'espère juste avoir un titre de séjour, pouvoir partir en vacances avec ma famille, avoir un logement. Une vie normale."
Deux recours en justice
Deux associations grenobloises se sont emparées de cette situation et dénoncent des conditions de vie "indignes" dans la plupart des centres d'hébergement d'urgence de l'Isère. Droit au logement 38 (DAL) et le Collectif lutte hébergement Grenoble ont saisi la justice administrative lundi 27 mars afin de contraindre la préfecture, en charge de ces centres, à agir.
Deux recours ont été déposés, le premier en référé, permettant d'obtenir un jugement sous trois semaines, et un second sur le fond - dont le résultat est attendu d'ici un an - pour faire constater les éventuels dysfonctionnements.
"On constate, très souvent, une surpopulation avec des familles qui se retrouvent parfois à vivre à quatre dans une chambre d'hôtel, raconte Baptiste, membre du Collectif lutte hébergement Grenoble. Les résidents n'ont pas de possibilité de stocker leurs affaires ou de se préparer à manger."
En Isère, environ 1 300 personnes logent en hébergement d'urgence, et 80 % d'entre elles sont des familles. L'ensemble du parc est actuellement occupé. Les associations requérantes, qui œuvrent en faveur de l'accès au logement, soulignent également les problèmes d'accessibilité dont pâtissent certains résidents.
"Des familles se retrouvent dans une situation d'isolement géographique, soulève le militant associatif. Elles vivent dans des centres en zone industrielle, mal desservis par les transports en commun. Les enfants arrivent fatigués à l'école, après plusieurs heures de transports, parfois sans avoir pris de petit-déjeuner. Ils s'endorment en cours et peuvent se retrouver en rupture scolaire."
Insertion compromise
Un constat partagé par le sénateur écologiste de l'Isère Guillaume Gontard dans son rapport parlementaire sur l'hébergement d'urgence rendu en février 2023. Il prend l'exemple des centres de Voreppe et Moirans où l'isolement des familles "rend difficile leur possibilité d’insertion", certaines personnes devant "renoncer à des emplois aux horaires tardifs par crainte de ne pas pouvoir rentrer à temps au centre".
Les conditions de vie seraient supportables quelques jours mais elles deviennent indignes et inhumaines quand elles durent pour certaines personnes hébergées depuis plus de deux ans.
Guillaume Gontard, sénateur écologiste de l'IsèreRapport de visite et d'entretien sur l'hébergement d'urgence (fév. 2023)
Certains centres ne respectent pas "les conditions d’un accueil digne et inconditionnel", écrit l'élu dans son rapport. "Les conditions de vie seraient supportables quelques jours mais elles deviennent indignes et inhumaines quand elles durent pour certaines personnes hébergées depuis plus de deux ans."
Pourtant, la loi prévoit que les personnes accueillies dans ces centres puissent bénéficier "de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène" et ce "jusqu'à ce qu'une orientation soit proposée." Guillaume Gontard recommande notamment, pour pallier le déficit de places d'hébergement, d'"avancer sur la mobilisation des logements vacants" en facilitant les possibilités de réquisition.
Avec ce recours en justice contre la préfecture de l'Isère, les associations - qui se basent sur des questionnaires envoyés aux personnes hébergées - espèrent obtenir des "mesures structurelles", explique Baptiste, notamment sur la taille des chambres et l'obtention de locaux communs adaptés.
En 2021, le DAL avait déjà déposé le même type de recours. Le juge administratif avait alors ordonné, le 17 mai, l'éradication des nuisibles dans les centres d'hébergement d'urgence et la distribution de produits d'hygiène "en quantité suffisante", en particulier des couches et du lait infantile pour les nouveau-nés.
Contactée par France 3 Alpes, la préfecture de l'Isère déclare qu'elle "réserve ses réactions dès lors que les décisions de justice seront connues". Elle écrit également que "l'ordonnance du tribunal administratif du 6 juillet 2021 a rejeté la requête du DAL".
* Le prénom a été modifié