Depuis le début de la crise, les membres du gouvernement enchaînent les conférences de presse pour annoncer les mauvaises nouvelles aux Français. Comment préparent-ils leurs discours ? Nous avons posé la question au Grenoblois Camille Chaussinand, ex-communiquant d’Olivier Véran.
C’est devenu un rendez-vous incontournable. Chaque jeudi, ou presque, le gouvernement se plie au difficile exercice de la conférence de presse. En direct et face à plusieurs dizaines de journalistes, les ministres ont pris l’habitude de se relayer pour commenter la situation épidémique mais surtout pour annoncer de mauvaises nouvelles.
Si la circulation de la #COVID19 reste moins active chez nous que dans la plupart de nos voisins européens la situation sanitaire de notre pays n’est pas revenue à la normale.
— Jean Castex (@JeanCASTEX) January 7, 2021
Elle est même devenue plus fragile au cours des dernières semaines. pic.twitter.com/eoSGBaaFjf
Pour préparer ces annonces, ils sont aidés par des spécialistes de la communication politique, comme Camille Chaussinand. Conseiller en communication politique et professeur à Sciences-Po Grenoble, il a été le conseiller d’Olivier Véran de mai 2017 jusqu’à son arrivée au ministère de la Santé.
Ce jeudi 14 janvier, quelques heures avant la nouvelle conférence de presse de Jean Castex, nous lui avons posé quelques questions.
France 3Alpes : le rendez-vous des mauvaises nouvelles le jeudi soir, est-ce que ce n’est pas un peu anxiogène à la longue pour les Français ?
Camille Chaussinand : "Malheureusement, le climat est anxiogène par nature. Ce qui importe vraiment aux Français, c’est de savoir comment va être composé leur quotidien à partir de demain. L’objectif du gouvernement, c’est d’essayer de parler avec des mots positifs, avec un champ lexical qui donne espoir, avec un cap fixé. C’est par exemple intéressant d’évoquer des dates précises auxquelles on peut envisager une issue. Mais c’est très compliqué de communiquer de manière positive. On peut aussi le constater avec ce qui s’est fait au niveau des vaccins : au début, on est parti d’une communication très difficile parce qu’il y avait une défiance. Mais aujourd’hui à force d’expliquer et d’être à l’écoute, la défiance commence à baisser. Donc ce soir, l’objectif du gouvernement, c’est de faire adhérer le plus largement possible à la décision qui sera prise."
On a l’impression que les mauvaises nouvelles fuitent toujours à l’avance. Est-ce que ce n’est pas une stratégie pour laisser aux Français le temps de s’y habituer ?
"Complètement ! On parle de communication échelonnée, avec un scénario très difficile à encaisser, un autre qui l’est un petit peu moins et un scénario qui est plus favorable. J’ose espérer que ce soir, il n’y aura pas de reconfinement généralisé qui sera annoncé. Mais si nous passons à un couvre-feu généralisé à 18h avec un confinement le week-end, ce sera un entre-deux au niveau de la communication échelonnée."
Il y a des phrases d’Emmanuel Macron qui ont marqué les Français : "Le retour des jours heureux", "Nous serons prêts en cas de deuxième vague". Est-ce qu’on peut vraiment communiquer efficacement quand la situation est celle que nous connaissons, avec une évolution qui n’arrête jamais ?
"Il est quasiment impossible de communiquer de manière efficace à partir du moment où on ne peut qu’utiliser le conditionnel. S’engager sur des sorties de crise quand il s’agit d’une épidémie sanitaire, c’est quasiment impossible. Les discours ne sont pas faits trois jours avant, mais en fonction des informations sanitaires. Des mots peuvent changer à la dernière minute en fonction des infos reçues. Au lieu d’avoir une anticipation au niveau de la communication, on est sans cesse dans l’adaptation. Normalement, la communication de crise est ponctuelle mais là c’est régulier. D’où la complexité pour le gouvernement de s’organiser car les données ne sont pas les mêmes à 17h30 et 17h45.
En plus de ça, se rajoute la problématique de la défiance de la parole publique, qui vient aussi handicaper le message politique à faire passer. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux et à l’information instantanée, chaque citoyen a accès à une plateforme pour s’exprimer. Ainsi, la parole publique est dévalorisée car mise au même niveau que des tweets. Par exemple, on reproche aujourd’hui au Président d’avoir des discours trop solennels. La parole publique est décrédibilisée à cause de tous les canaux de communication."
Je veux dire notre reconnaissance à ceux qui se sont mobilisés pour soigner, nourrir, éduquer, protéger, à tous ceux qui par leur travail, leur engagement nous ont permis de tenir debout et ensemble durant ces mois difficiles. Et qui ce soir encore, le font pour la Nation.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) December 31, 2020
Comment le Président ou les ministres rédigent-ils leurs discours ?
"Quand on est conseiller en communication, on remarque vite qu’il y a deux types de personnalités politiques. Il y a ceux qui préfèrent qu’on écrive le discours en entier. C’est par exemple le cas de Jean Castex, qui n’est pas un orateur aiguisé. Son discours sera écrit en intégralité puis relu et corrigé par lui ou son chef de cabinet.
Soit, on écrit simplement des phrases fortes et des mots clés, en insistant sur la sémantique. Le rôle du conseiller, c’est d’orienter les mots en fonction de la cible et du message à faire passer. Puis, c’est l’élu qui va ensuite rédiger son texte. Par exemple, il est très rare qu’Emmanuel Macron n’écrive pas lui-même son discours. Il le personnifie beaucoup. A l’inverse de Jean Castex, qui est là pour annoncer des faits, lui peut se permettre des textes avec des belles phrases, pour donner espoir, ou pour faire peur.
En communication politique, rien n’est figé, chaque ministre fait comme il sent. Les méthodologies changent en fonction des cabinets. La communication n’est pas une solution, elle est évolutive et s’adapte aux humains, aux circonstances et aux données".