Les traits tirés par des nuits sans sommeil depuis que les Talibans sont entrés dans Kaboul, Zari et Khaibar Keshman, installés depuis des années à Grenoble, témoignent et racontent ce qu'ils sont en train de vivre, "un cauchemar pour eux, leur famille, leur pays... mais aussi pour le monde entier"
Epuisés, ils n'ont pas dormi depuis des nuits, depuis dimanche dernier, quand les Talibans sont entrés dans Kaboul. Suspendus à l'actualité et à leur téléphone. A l'autre bout du fil, c'est la terreur. Leur famille reste cloitrée, totalement impuissante à réagir, à regarder passer dans les rues, par un coin de fenêtre, les islamistes jugés sur des chars, laissés à l'armée afghane par les troupes américaines qui ont quitté le pays.
Khaibar, revit un cauchemar : alors que les Talibans étaient au pouvoir, il avait fui son pays. Installés depuis des années à Grenoble avec son épouse Zari, ils viennent d'ouvrir une petite épicerie.
Tous les deux sont extrêmement choqués : "on ne s'attendait pas du tout à ce que le pays tombe aussi rapidement. On a des nouvelles, c'est dur ce qu'il se passe. Pour le moment, on a aucun espoir, en tout cas on sait pas à quoi s'attendre. Nous sommes en contact avec nos proches, on essaie de leur dire de se sauver s'ils peuvent, mais toutes les frontières sont fermées. L'Inde a fermé ses frontières, le Pakistan pareil.
Sa belle-soeur, canadienne, médecin engagée dans une association humanitaire s'est retrouvée prise au piège : "c'est une humaniste, elle parle aussi à la radio, c'est un nom connu là-bas, on lui a dit de ne surtout pas sortir, de rester cachée, comme ses jeunes frères, qui ont fait des études, on ne sait pas ce qu'il va advenir d'eux".
Leur ambition est beaucoup plus grande que de conquérir l'Afghanistan, je pense"
Impossible d'entrevoir quoi que ce soit désormais : "on n'en sait rien, ils ont tous fait des études, ils travaillaient, on sait pas, c'est le flou total". Zari a la voix posée, calme, comme usée d'angoisse et le regard presque ailleurs... là-bas. Elle qui a grandi en France depuis l'âge d'un an, est morte d'inquiétude pour sa famille, pour son pays, mais aussi pour le danger que cette prise de pouvoir représente, aussi, pour le monde : "les islamistes vont défendre leur territoire, avec leur idéologie qui ne correspond pas du tout à celle des Afghans modérés. On pense qu'à l'intérieur, il y a d'autres groupes, d'Al Quaida ou de Daesh, leur ambition est beaucoup plus grande que de conquérir l'Afghanistan, je pense... "
"Les Talibans disent qu'ils ont changé, tout le monde sait que ce n'est pas vrai"
Khaibar, son mari, les yeux rougis par le manque de sommeil et au bord des larmes, a vécu les années terribles, il y a 20 ans : "Personnellement j'ai vécu ça, quand ils étaient au pouvoir, c'était une période très très difficile, et là, 20 ans après, après tous les changements, ils reprennent le contrôle de tout le pays en à peine une semaine. On est plus sûrs de rien, je ne dors plus la nuit, je regarde sans cesse les infos, on a vu les images à l'aéroport, on voit que tout le monde nous tourne le dos, s'enfuit. On a plus aucun espoir pour les Afghans, on ne peut plus avoir confiance en personne, on avait confiance en le gouvernement, les amis internationaux, mais là tout le monde, les Américains, les Européens nous laissent tomber, nous abandonnent, et là, on ne sait pas du tout comment ça va se passer, une fois que les médias, le monde vont s'intéresser à autre chose. On sait pas, on espère, comme ils disent, que les Talibans ils ont changé, tout le monde sait que c'est pas vrai".
"On va peut-être accueillir et sauver des poignées de personnes, mais c'est tout l'Afghanistan qui se retrouve entre les mains de terroristes"
" Ils ont eu le peuple, le gouvernement, et l'armée, à l'usure , rajoute Zira. Pour avoir été à Kaboul, y'avait des attentats et des kamikazes tout le temps dans les rues, c'est un groupe qui ne recule devant rien. Comment ces gens-là, on peut leur faire confiance, quand ils nous disent que les femmes peuvent continuer à faire leurs études, à aller chanter, et les artistes et les journalistes, on y croit pas une seule minute"(...) Alors, Emmanuel Macron a fait un discours honorable, en disant qu'ils allaient recevoir beaucoup d'Afghans, mais ça ne nous réconforte pas, on sauve on va dire certains Afghans, mais c'est l'Afghanistan qui plonge en fait. S'il y a une poignée ici, c'est toute la terre là-bas qui est en danger, ce sont des milliers de personnes qui sont entre les mains de terroristes, parce qu'ils font vraiment peur ces gens-là".
Ghazal Golshiri, journaliste au service international du "Monde", rentrée par le dernier vol commercial dimanche témoigne à Franceinfo : "Les talibans visitent les journalistes, les menacent. Ils empêchent les femmes d'aller à l'université et les filles d'aller à l'école".
Partie dans la précipitation, Ghazal Golshiri pense à la population restée en Afghanistan : "Sur place, le sentiment d'abandon et de trahison prédomine. Les Américains, en négociant avec les talibans, ont une grosse part de responsabilité dans ce qui se passe actuellement". Les Afghans "sont en détresse totale, ils n'ont nulle part où aller, ils sont très tristes, dévastés", affirme l'envoyée spéciale. "Ça me brise le cœur car la jeunesse afghane est très motivée, elle est prête à tout pour réussir. C'est très triste de la voir dans cette situation qu'elle n'a pas choisie", partage-t-elle avec émotion.